jeu.
31
déc.
2020
Cela fera dix mois que le virus Corona, dit aussi Covid-19, a contaminé la Terre. Aucun endroit n’est préservé. 16.000 morts depuis mars 2020 rien que pour notre petit pays, champion des contaminés par cent mille habitants.
Le chiffre des morts augmente chaque jour dans le monde entier, et l’Europe annonce une troisième vague après la Noël.
Les efforts de discipline populaire exigés en Novembre, les fermetures de magasins non essentiels, celles de tous les restaurants, bars et cafés, des salles de sport, des théâtres et cinémas, des espaces culturels, ont fait baisser durant deux ou trois semaines les courbes graphiques, achevant de ruiner beaucoup de commerçants, d’indépendants, d’artistes.
Les coiffeurs qui gagnent déjà difficilement leur vie, sont interdits d’activité en permanence.
Aussitôt que les autorités dé-confinent pour donner un peu d’oxygène à l’économie, une hausse des contaminations suit, de plus en plus rapide, qui oblige à reconfiner de toute urgence. On resserre toujours plus d’autres boulons, on alarme les citoyens sur l’état des hôpitaux qui sont à nouveau surchargés, avec un personnel toujours plus épuisé. Beaucoup d’opérations chirurgicales sont reportées, faute de lits disponibles tous occupés par les Covid-19 ; les malades classiques retardent leurs demandes de diagnostic, on attend le vaccin qui nous sauvera, qui va venir, qui viendra.
Après les nombreux ratés de l’épisode masques, de l’épisode respirateurs, de l’épisode testing, on espère que ces vaccins créés en à peine une année nous sauveront. Ils nous sont présentés dans des caissons hermétiques soumis à une température nécessaire de – 80°.
Les politiques belges exigent que les patients aient l’accord préalable d’un médecin avant de recevoir le vaccin.
Pour le premier vaccin Pfizer, il faudra deux inoculations séparées l’une de l’autre de 20 jours. On espère qu’il y aura encore assez de vaccins pour la deuxième prise et que cette fois l’organisation sera efficace.
On raconte que 40% de la population est méfiante. « Passez d’abord, après vous, je vous en prie, je veux voir si cela fonctionne. »
Ce sont les vieillards des maisons de repos qui seront les premiers servis, car le vaccin ne sera pas obligatoire. Et s’ils refusent ? S’ils meurent du vaccin, ce seront des dégâts collatéraux.
On dit : « Chaque génération a connu une guerre. La nôtre c’est contre l’armée invisible des virus, moins cruelle que la bataille de Verdun (février à décembre 1916) ou Omaha Beach en Normandie (6 juin 1944) ». Exact. Pour ceux qui y réchappent. Mais la mort reste la mort quelle que soit la forme de l’attaque.
Le virus accentue les éloignements, rapetisse les contacts aux communications téléphoniques, enlaidit les rares dialogues « présentiels » avec les masques de zombies qu’on voit partout, même à la télévision, rendant la diction des journalistes et autres animateurs, peu audible, assourdie, déformée.
Il faut être reconnaissant à ceux qui n’oublient pas les vieillards, qui font leurs courses, qui leur téléphonent sans vouloir tâter leur pouls.
Beaucoup de magasins ont compris que pour survivre, il doivent avoir un service livraison apportant à domicile repas, livres, vêtements, etc. commandés par mails ou par téléphone, et payés très vite aussi.
Un jeune ménage : le mari est traiteur, cuisine dès 3 heures du matin, et son épouse vient livrer en auto avec une petite remorque, chaque jour, à la clientèle entre 10 heures et midi les commandes cuisinées par l’époux. Un potage, un plat, un dessert. C’est bon. C’est le menu du jour, identique pour chacun. Et il faut faire moins d’achats dans les magasins. Et c’est pas trop cher.
Y a-t-il de la gentillesse entre tous ces humains masqués ? A les voir s’écarter vivement des passants qui les frôlent de trop près, j’en doute. C’est du chacun pour soi et personne n’aime personne. Sauf dans les cliniques et hôpitaux où des hommes et des femmes s’épuisent à garder en vie les victimes du Covid.
Une troisième vague ? Et pourquoi pas dans x temps, une quinzième vague plus meurtrière, si le vaccin rate la cible, ou protège insuffisamment, ou si faute d’être obligatoire, il ne stoppe pas les contaminations.
Le spectacle des écoles à moitié ouvertes, puis fermées, puis réouvertes, est affligeant, tant pour les élèves de tout âge, privés des bases les plus essentielles de leurs études, que pour les parents incapables d’intervenir, rongés par leurs soucis, et pour le corps professoral et leur direction, soumis aux ordres des ministères et à des stop and go perpétuels, courageux et dépressifs, démissionnaires ou malades chroniques.
On découvre maintenant que les petits enfants peuvent être tout aussi contaminants que les adolescents et les adultes. Ce virus est complexe, disent les virologues, infectiologues, et autres épidémiologistes, qui n’ont pas réponse à tout.
Le clergé catholique se soumet aux prescriptions sanitaires : 15 personnes pas plus à la messe, même si l’église est immense. Les fidèles prendront l’habitude de ne plus s’y rendre. Il y a déjà si peu de monde en temps normal. Les laïcs anti-religieux remportent une victoire facile avec ce virus, les jeunes générations étant de plus en plus indifférentes à l’égard de l’Eglise, de sa morale, de sa discipline. Ce sont les personnes âgées qui ne reviendront plus. Travail réussi du démon.
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Voici les mesures relatives au culte : Depuis le 2 novembre, plus aucune cérémonie religieuse ne peut avoir lieu à travers tout le pays, à l'exception des funérailles, avec maximum 15 personnes, et de l'enregistrement et la diffusion d'une messe par Internet, avec la seule présence des personnes nécessaires d'un point de vue technique.
Pour les mariages, seuls les conjoints, leurs enfants jusqu’à l’âge de 12 ans accomplis, leurs témoins et l’officier de l’état civil ou le ministre du culte peuvent assister à la cérémonie. Un maximum de 15 personnes, les enfants jusqu’à l’âge de 12 ans accomplis non-compris, peut assister aux enterrements et aux crémations, sans possibilité d’exposition du corps.
Les lieux de culte restent ouverts, avec des groupements de maximum 4 personnes avec port du masque. Aucun service religieux n’est permis.
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Grande panique le 18 décembre 2020 : un virus mutant du Corona a envahi à toute vitesse le sud-est de l’Angleterre et la ville de Londres. Il serait soixante fois plus contagieux que le covid-19 classique. Du coup, les frontières avec l’Angleterre sont fermées par la France, la Belgique, la Hollande, le Danemark, l’Allemagne. Des milliers de Français, qui souhaitaient fêter la Noël en France, sont immobilisés en Angleterre. On ajoute du drame au drame, plaisir médiatique. Ils disent : c’est plus contagieux, mais ce mutant serait moins dangereux, on se rassure comme on peut mais on ne se fie à personne. On vient de le signaler en France, à Tours. Il court, il court le furet du Bois-Joli ….
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Qui a vu l’horrible crèche installée sur la Place St Pierre à Rome ? Le haut clergé vaticanesque a perdu la tête, en tolérant ce blasphème « artistique » qui se moque de la naissance du Christ.
Selon la presse : Une crèche de Noël et son sapin haut de 28 mètres ont été inaugurés vendredi 11 décembre à Rome sur la place Saint-Pierre. Une crèche bien trop excentrique, s'indignent certains fidèles. L’installation de "santons cylindriques" a provoqué la colère de certains internautes sur les réseaux sociaux. Ils voient dans ce projet inspiré de l’art contemporain une véritable "honte". D’autres espèrent même qu'il s'agisse d'un "canular". Qui proteste ? Personne … et silence du Pape.
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Lettre d’un ami ermite reçue pour la Noël de 2020 :
Cher ami,
Une chose importante, je suis persuadé que Dieu n’attend pas de l’homme qu’il corresponde à une religion, quelle qu’elle soit. Une religion est une manière de correspondre à une croyance collective établie au moyen d’un cahier de charges. Jésus est venu démontrer que l’homme ne peut correspondre à un cahier de charges, que chacun de ses enfant a une nature unique, individuelle, mystérieuse et elle ne peut correspondre à des règles préétablies. La religion qui est, au départ, une institution servant de base de référence pour établir les règles de civisme d’une société, n’est pas du tout ce que Dieu attend. Cela, les hommes l’ont déjà bien adopté.
Au contraire, Jésus est venu s’opposer au fanatisme du règlement. En cela, il s’oppose à l’uniformisation de l’être humain, qui oppresse sa nature individuelle. Jésus démonte le pharisianisme et tout autre obsession de l’ordre sur base de règles uniformisantes. Il en appelle à un regard neuf comme celui d’un enfant qui ignore les lois et qui découvre chaque situation comme nouvelle, comme un enfant qui découvre le monde.
Le regard religieux est un regard qui exige une uniformisation du groupe, Jésus ne veut plus de cette attitude téléphonée, il ne veut pas de fonctionnaires rigides. Il vient demander au gens d’oublier ce qu’on leur a appris pour laisser toute la place à la spontanéité du regard de l’enfant qui découvre le monde au fur et à mesure. C’est la nouveauté de toute situation qui prime sur toute règle préétablie.
Il vient accomplir la finalité de toute l’histoire humaine : être capable de regarder avec le regard neuf de l’amour. De plus, Jésus ne se fâche que dans la maison de son Père, là où règne l’institution religieuse avec des hypocrites, des bandits, une engeance de vipères, etc. Il ne se met en colère nulle part ailleurs que dans le monde dit “religieux”. C’est aussi par les institutions religieuses qu’il est condamné à mort. Par contre, il pose un regard tendre sur les gens qui ne sont pas téléguidés par des règlements. Il regarde chaque personne comme une personnalité unique qui ne peut, en aucun cas, correspondre à un cahier d’uniformisation. Il considère les religieux comme des gens qui ne peuvent être sincères, vu leur choix de vie. Dès lors, je ne vois vraiment pas comment on peut encore, de nos jours, parler de religion avec le Christ. Lui qui a osé pointer du doigt toute l’institution religieuse, au prix de terribles souffrances et de sa vie, on ose encore dire qu’il est venu pour établir une religion. C’est un scandale et de
la récupération par escamotage !
Il n’est pas venu refaire ce qui existe déjà et il ne reconnaît pas les religieux de son temps comme ses véritables disciples, mais bien comme ses véritables ennemis ! Devrait-il changer d’attitude aujourd’hui. Vous connaissez la réponse.
Le Dieu de Jésus n’attend pas du tout que ses disciples entrent en religion, il est bien clair sur le sujet, il ne veut plus d’attitude préformée, appuyée sur un règlement, il attend tout autre chose : la foi intime, spontanée, non-structurée, improvisée dans la confiance, c’est tout.
Le mot religion est accolé à Dieu par les médias, parce que la société n’accepte que ce qu’elle reconnaît. En parlant de religion dès qu’on parle de Dieu, on récupère la foi pour l’intégrer aux lois de la société. Jésus est parfaitement non-instituable. Dieu est parfaitement non-instituable.
L’amalgame de Jésus dans une institution, une religion, résout (neutralise, affadit) la nuance dangereuse de la marginalité de Jésus.
En récupérant les disciples de la foi en Jésus et en les regroupant dans une religion, on les met au pas de la société, et le tour est joué! Et dès qu’on parle de Dieu, il n’y a plus qu’à s’adresser à ses représentants officiels reconnus par la société des hommes.
On se fiche de qui ? On met Dieu dans le bac religions, on pose une étiquette par religion, et le tour est joué, rien ne va plus. Dieu est classé, contenu, Lui l’Infini.
Dieu = les différentes religions comme dans un magasin où on peut choisir ce qui est proposé. Dieu, c’est dans les religions, là-bas, deuxième bac à gauche ! Et quand on parle de Dieu, on convoque les différents représentants des différentes religions !
C’est téléphoné, emballé, étiqueté, et cela convient à l’ensemble des intellectuels, des spécialistes, qui adorent correspondre à ce type de classement bien clair et établi. On se fiche de qui ? Pauvre Jésus qui, justement, ne veut plus de religion, mais vient mettre en valeur la foi spontanée et jamais forcée. Une foi intime, individuelle, qui met en valeur les particularités spécifiques de chaque être humain comme un aspect très précieux pour celui qui les a créés. La foi d’un enfant plutôt que la religion des adultes.
Ne pas écraser les gens en les uniformisant est le message de Jésus. C’est bien évidemment, un message qui devait être, au plus vite, récupéré et dissous par l’amalgame Dieu = religion !
Bien joué, le Christ a été placé dans une boîte avec, sur elle, l’étiquette: religion. Cette entourloupe permet, entre autres, de comparer la “religion” du Christ (qui n’en veut pas!) et les autres religions, comme on compare Citroën avec Peugeot, comme on compare tout dans un monde où le “moutonisme” fait foi.
La société ne veut pas de gens qui redeviennent comme des enfants au comportement imprévisible, il faut se comporter en adulte et le montrer, il n’y a qu’a choisir parmi ce que les institutions proposent, et rester dans ce cadre. On a bien résolu ce problème depuis longtemps, “Dieu = religion et ses représentants”, et “Jésus = une religion parmi les autres ! » Merci aux camoufleurs, aux escamoteurs, pour cette très adroite entourloupe que personne ne dénonce jamais, tant les penseurs, les nombreux intellectuels, spécialistes, théologiens, exégètes ont succombé à l’uniformisation de leur propre pensée. A croire que cette corruption du langage et de la pensée, finalement, arrange bien les “affaires” de chacun d’eux, c’est tellement plus facile comme cela ! Car ce qui échappe à leur classement et à leurs lois, fait peur et dérange. Ils ont même corrompu la manière de penser et de parler de Dieu dans le monde entier ! Ils ont UNIFORMISÉ la manière de parler de Dieu. Mais Dieu ne se laissera pas mettre en boîte !
Bien à toi,
A.
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PROTESTATION
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(Avertissement : PROTESTATION est un récit imaginaire d’Henri de Meeûs, publié dans les Carnets de ce site littéraire, soit : 1ère partie : Carnets janvier 2020 ; 2ème partie : Carnets février 2020 ; 3ème partie : Carnets mars 2020 ; 4ème partie : Carnet juin 2020 ; 5ème partie : Carnets juillet 2020 ; 6ème partie : Carnets Août 2020 ; 7ème partie : Carnets septembre 2020 ; 8ème partie : Carnets octobre 2020 ; 9ème partie : Carnets novembre 2020.)
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A vingt heures, Yagi n’était pas encore rentré, et l’Ambassadrice malgré trois appels téléphoniques à la clinique du Zoute, ne recevait aucune information, sauf, « Patientez Madame, le médecin est très occupé, il vous appellera. »
Violet Westwood avait décidé que nous logerions chez elle car Yagi sortirait de l’institut médical peut-être cette nuit.
L’Ambassadrice dit qu’elle ne supportait plus d’attendre, qu’elle verrait le médecin, ou toute personne au courant de l’état de santé de son fils. Elle était fâchée d’être traitée avec désinvolture, et son émotion grandissait avec le silence qui se prolongeait.
L’Ambassadrice nerveuse, crispait ses doigts sur un mouchoir rose. Elle avait rempli un verre d’eau gazeuse et buvait fréquemment, se levant, s’asseyant, se relevant du canapé, ou marchant sur les tapis du salon, pour finalement se rasseoir en soupirant. Elle avait téléphoné quelques minutes à l’Ambassade de l’Inde, expliqué la situation à son mari qui lui conseillait de loger la nuit chez Violet.
Elle alluma les phares de la Rolls dont elle claqua la portière, et démarra. Elle avait refusé que je l’accompagne. « Non, Daniel, vous avez été choqué, cela suffit, attendez le retour de mon fils, j’espère que je pourrai le récupérer. N’hésitez pas à vous mettre au lit comme le propose Violet, et reposez-vous. »
Celle-ci me conduisit à une chambre au premier étage. Une servante ordonnait le large lit recouvert de couvertures jaunes et d’un drap blanc éclatant. « Vous avez à côté le cabinet de toilettes pour vous rafraîchir » dit Violet.. Elle sortit d’une armoire un pyjama bleu à lignes rouges. « C’est celui que je prête à mon neveu quand il passe quelques jours au Zoute. Il est amateur de golf et réussit des championnats. » Si vous avez besoin de quelque chose, n’hésitez pas à pousser sur le bouton de la table de nuit. Ma bonne Léa ne quitte pas la maison cette nuit vu toutes les emmerditudes qui nous tombent dessus. Je vous avoue que je suis dépassée, et je vous assure de toute mon amitié après ce que vous avez vécu cet après-midi avec Yagi couvert de sang. Cette attaque est ahurissante. Heureusement que vous avez échappé à temps. »
Et là-dessus, elle quitta la pièce. Je me fis couler un bain . Rien de tel pour me détendre.
Je me réveillai en sursaut, on frappait fort à la porte, il était dix heures sur le cadran du réveil phosphorescent, la nuit était sombre, je tâtai le cliquet de la lampe de chevet. Le temps de crier qui est là, c’est Violet qui entrait, criant Yagi est revenu, il est en bas avec sa mère, descendez vite, ils vous attendent. Elle me tendit un long peignoir et je la suivis, descendant un escalier de bois clair avec aux murs des tableaux de paysages écossais.
L’Ambassadrice s’était versé un whisky, et debout, regardait son fils, allongé sur le grand canapé du salon, Yagi son chéri, revêtu d’un polo bien propre et d’un pantalon de toile, qui remplaçaient les vêtements souillés de l’après-midi, mais hélas trois fois hélas pour son cœur de mère, son Yagi unique très aimé, avait le bras « en écharpe » collé au torse et emballé d’un épais pansement.
« Il a eu l’épaule déchirée par un couteau ou un poignard », dit la mère. « L’os ne fut pas atteint. Mais il a beaucoup saigné. Un chirurgien du Zoute a désinfecté et recousu la plaie. Il ne peut pas bouger le bras. Son pansement sera enlevé à Bruxelles, et on verra s’il faut encore des soins. C’est très malheureux pour sa rentrée des classes dans deux jours au Collège Saint Michel. Tout ira bien, j’espère, n’est-ce pas mon chéri ? »
Yagi gardait les yeux fermés, son visage était pâle, je crus qu’il allait pleurer. Je m’approchai de lui, et d’un geste rapide, sans réfléchir, je lui posai un baiser sur la joue. Je dis : « Je suis content que tu sois revenu. J’ai eu très peur quand tu es sorti couvert de sang de cet estaminet. » Il sourit. Comme le soleil chasse les lourds nuages. Eclair de vie dans la nuit.
« J’ai apprécié la vitesse de ta course pour me suivre et échapper à cette horreur. Merci Daniel, tu m’as aidé, c’est certain ».
Ce fut le tour de l’Ambassadrice et de Violet de me serrer contre elles.
Tout à coup, les pelouses de la villa Westwood s’éclairèrent des phares d’une voiture de police, une Volvo blanche. Des portières claquent. Deux agents débarquent et sans sonner entrent dans le hall où l’Ambassadrice venait à leur rencontre.
– Avez-vous des nouvelles ? dit-elle.
– Oui mais pas celles que nous espérions. On ignore par qui votre fils fut agressé. Dans le café, le personnel prétend qu’il n’y a eu aucune bagarre, que votre fils est sorti brusquement en criant. La jeune serveuse a déclaré qu’elle l’avait à peine observé après qu’il eût payé les consommations. Il s’est rendu ensuite au lavatory, pour en sortir comme le diable d’une boîte, son polo couvert de sang, et fuir l’établissement. Le personnel certifie qu’il n’y avait personne dans les toilettes. Ils l’ont vu déguerpir avec son ami tous les deux à vélo, sans demander de secours, pour regagner votre villa.
– Celle de Miss Westwood, précisa l’Ambassadrice.
– Je suis obligé de prendre la déposition de votre fils. Il peut rester allongé sur la divan. Je vous demande seulement de quitter le salon.
Nous nous exécutâmes. Mon ami avait fermé les yeux. Qu’allait raconter Yagi ? Je n’étais pas dans l’estaminet lors de l’attaque. Ces Hollandais disaient-ils la vérité ? Protégeaient-ils quelqu’un ? Ce n’est pas Yagi qui s’était tailladé l’épaule. Sa mère ne disait rien mais semblait douter de la version recueillie par la police.
– Curieuse histoire, Daniel, ne trouvez-vous pas. Yagi sur le chemin du retour ne vous a donc rien dit pour expliquer ce qui était arrivé ? dit Violet.
– Non, il était terrifié, et nous avons pédalé le plus vite possible pour qu’il puisse être soigné. Il a crié à plusieurs reprises : « C’est horrible, horrible ».
– Attendons sa déclaration à la police, ajouta l’Ambassadrice. Mon fils n’est pas un menteur. Si vous n’aviez pas placé le garrot, chère Violet, il serait peut-être mort. Il a perdu beaucoup de sang, selon l’urgentiste. Mais les médecins n’ont pas donné plus de détails.
Un quart d’heure passa. Nous ne disions presque rien, attendant le retour des policiers afin de savoir enfin ce que dirait Yagi.
Et quand ils ouvrirent la porte de la salle à manger, nous vîmes que Yagi n’avait pas quitté le canapé, toujours allongé de tout son long. Les policiers debout nous regardèrent en silence, prenant un peu de temps pour nous observer, puis le plus âgé, un moustachu à chemise bleue, cravaté, et les cheveux coupés en brosse, nous dit : « C’est toujours aussi mystérieux. Votre fils ne nous a dit que quelques mots. Nous avons pensé qu’il allait s’évanouir. Il est encore sous le choc. C’est un fragile, votre fils, madame. Il nous a dit une seule phrase : « J’ai été attaqué dans les sanitaires de cet estaminet par un monstre armé d’une longue griffe ou d’un poignard. Je me suis débattu et j’ai fui ». Votre fils n’a pas voulu parler davantage. Il frissonne encore. Nous allons le laisser tranquille. Il faut qu’il se repose. Nous enquêterons demain dans ce café hollandais. Il y a peut-être des traces de sang, si elles n’ont pas été effacées. Au revoir, Mesdames, au revoir jeune homme, soyez prudent. »
Et la Volvo repartit dans la nuit silencieusement.
Je regardais le ciel d’un bleu noir qui se répandait au-dessus de la mer. Les mouettes avaient disparu. Une pleine lune éclairait les dunes. Un peu de vent frais glissait sur la terrasse. J’entendais le bruit des vagues. Que s’était-l passé ?
– Les deux garçons dormiront dans la même chambre, annonça Violet, afin que Yagi puisse avoir de l’aide s’il se sent mal. Daniel viendra nous avertir si nécessaire, n’est-ce pas, cher Daniel ? Ma chambre est en face de la vôtre.
Nous installâmes Yagi dans l’autre lit de ma chambre. Il fut revêtu d’un autre pyjama du neveu de Violet. On lui servit de l’eau de Spa reine pour rafraîchir sa bouche sèche. Il était décidé de ne plus parler. Nous n’insistâmes pas.
Je me couchai dans le lit jumeau. L’Ambassadrice éteignit les lampes. J’entendis bientôt que mon ami dormait et je ne tarderai pas à l’imiter tandis que, dans le corridor à l’étage où nous dormions, la lumière était encore allumée. J’entendais un vague murmure de la conversation des deux femmes qui descendaient lentement l’escalier vers le salon. Pauvres amies ! Je les plaignais. Je me plaignais aussi, ne comprenant rien de ce qu’il s’était passé.
(à suivre)
Henri de Meeûs
mar.
01
déc.
2020
PROTESTATION
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(Avertissement : PROTESTATION est un récit imaginaire d’Henri de Meeûs, publié dans les Carnets de ce site littéraire, soit : 1ère partie : Carnets janvier 2020 ; 2ème partie : Carnets février 2020 ; 3ème partie : Carnets mars 2020 ; 4ème partie : Carnet juin 2020 ; 5ème partie : Carnets juillet 2020 ; 6ème partie : Carnets Août 2020 ; 7ème partie : Carnets septembre 2020 ; 8ème partie : Carnets octobre 2020.)
(suite)
°°°
Yagi avait décidé de découvrir les paysages en bordure de la Hollande dont la frontière était proche. On pédalait ferme, avec le vent de face. A gauche et à droite de la piste cyclable, des remblais de sable où poussaient des chardons. Le chemin réservé aux vélos était couvert d’un béton gris, étroit, qui rendait difficile le croisement de cyclistes arrivant dans l’autre sens. Yagi menait. Je l’entendais chanter mais sans le comprendre.
Nos vélos empruntés à Miss Westwood étaient anciens, démodés, selle haute, guidon large, de couleur noire, avec des pneus épais bien gonflés. Je n’imaginais pas notre amie se promener souvent à vélo, et moins encore avec son amie l’Ambassadrice habituée aux limousines.
Mon vélo avait un compteur de vitesse qui marquait 20 km à l’heure sur terrain plat.
Je suivais facilement Yagi. On ne voyait personne. Des dunes, rien que des dunes, et parfois, sur un promontoire de planches pour la pause pipi-sandwich des touristes, avec cabines w-c, tables et bancs de bois, et les papiers gras qui débordent des hautes poubelles, on voyait la mer si belle, échevelée, d’une pureté grise, avec ses vagues crème fraîche roulant les unes après les autres, folâtres, coquines.
De loin la mer ne me faisait pas peur. Mais de l’approcher, je n’étais pas prêt.
L’expérience de ma quasi noyade à Zandvoort était trop récente ; je ne l’avais jamais racontée à Yagi.
De loin, on voyait un village aux maisons rouges autour d’ une église blanche. « C’est la Hollande », cria Yagi. « On va boire un café. »
J’étais content de m’arrêter après une demi-heure de pédalage. Nous rangeâmes les deux vélos à côté de la terrasse d’un café, et nous nous assîmes à une table de fer. Pas d’autres clients.
Une jeune fille blonde aux cheveux mi-longs apparut pour la commande que j’exprimai dans mon meilleur néerlandais. « Een koffie en een Cola, alstublieft ».
« Il n’y a personne ici » dit Yagi, « et nous sommes en pleines vacances. »
La plage vue de la digue était déserte aussi.
– Je suis content d’être avec toi , dis-je. Il était temps de nous revoir.
– Moi aussi, je suis content. Rien de tel que de faire un peu d’exercice.
– Tu m’as beaucoup manqué durant ces vacances après la mort de ma mère.
– Je suis désolé, mais revenir des Indes en Belgique sans le feu vert de mon grand-père était impossible.
Je le vois si peu.
Soudain, il se leva, se dirigea dans l’estaminet. « Attends-moi un instant », dit-il.
J’étendis bras et jambes pour assouplir les muscles. Quel calme ! De grands oiseaux blancs passent haut dans le ciel, pour un voyage surplombant la mer. Vont-ils en Angleterre ? me dis-je. Ce ne sont pas les canards qui filent en formation de triangle, non, ces oiseaux-ci volent plus haut, j’entends leurs cris, ils me saluent sans doute.
Mais je n’eus pas le temps d’admirer le ciel, tant la sortie hurlante de Yagi, hors de la salle du café, courbé, se tenant le bras droit ensanglanté, me stupéfia.
Je me précipitai. «Fuyons, dit Yagi, une chose que j’ai vue, m’a attaqué, je crois qu’il y a des morts dans la salle. » Il enfourcha son vélo et cria « Viens vite, dépêche-toi, ne reste pas ici, c’est horrible. »
Sur son vélo, debout sur les pédales, il avait pris 20 mètres tandis que je démarrais le cœur bouleversé sans rien comprendre. Le sang coulait de son biceps sur son polo.
Arrivant à sa hauteur, je vis sa pâleur, son visage cerné. « Ne veux-tu pas t’arrêter, dis-je, pour examiner ta blessure ? »
– Non répondit-il, d’abord rentrer chez Miss Westwood. On demandera un médecin. Courage. Ne traîne pas !
– Tu crois que tu auras assez de forces ?
Je parlais d’une petite voix que je ne reconnaissais pas.
Il roulait très vite, je l’entendais geindre, le sang descendait sur son pantalon, s’élargissant en tache rosée sur les cuisses.
Le vent était tombé, le retour à toute allure nous prit quinze minutes et nous débouchâmes dans le garage de Miss Westwood, jetant nos vélos à terre. Courant à l’intérieur, je criais « Yagi est blessé, il a été attaqué, au secours, un médecin vite ! ».
Les deux amies qui n’avaient pas quitté les canapés du salon et qui buvaient tranquillement un café, se levèrent d’un bond. Je revins soutenant mon ami.
Miss Westwood alerta SOS Urgences tandis que l’Ambassadrice allongeait son fils sur un des canapés, entourant le bras blessé d’un linge qui se teinta vite de rouge.
En attendant les secours, Miss Westwood décida d’appliquer un garrot au-dessus du coude pour arrêter le sang,
Dans les cinq minutes, une ambulance arriva sous la véranda, tous feux et sirènes allumés. Deux hommes en blanc entrèrent dans la villa avec un brancard, vérifièrent le lien noué par Miss Westwood entre l’épaule et le coude, le sang avait cessé de couler. Ils embarquèrent Yagi vers la clinique du Zoute non loin de la villa. « Avez-vous prévenu la police ? » furent les derniers mots des infirmiers, tandis que Yagi muet semblait terrorisé.
J’avais eu le temps de lui saisir la main quand le brancard fut déposé dans l’ambulance.
L’Ambassadrice n’avait pas perdu son calme. Elle téléphona à la police, me demandant d’être présent pour une déposition. Elle avait vaguement compris que Yagi avait subi une agression dans l’estaminet hollandais, qu’il y avait des morts. Mais l’essentiel pour elle était que son chéri ait pu s’échapper, avait repris son vélo malgré sa blessure, qu’elle l’avait récupéré, et que j’étais indemne.
– Il n’a pas décrit qui l’avait attaqué, une seule personne ou plusieurs ?
– Madame, j’ignore comment cela s’est passé. J’étais assis sur la terrasse quand il a voulu entrer dans le café, pour payer ou pour aller aux toilettes. Il m’a dit avoir vu une chose horrible et peut-être des gens assassinés. Il n’a rien voulu dire de plus. Il a mis toute son énergie dans le retour à vélo, nous étions seuls sur la piste cyclable, nous n’avons vu personne ni à l’aller ni au retour. Sauf la serveuse dans le café qui avait pris nos commandes. »
J’avais envie de pleurer, je frissonnais.
L’Ambassadrice m’attira vers elle : « Vous avez froid, Daniel, prenez ce châle bien chaud, étendez-vous sur le canapé, la police va venir. »
Les policiers du Zoute s’étaient installés dans le salon, recevaient des ordres sur leur talkie-walkie, informaient les collègues belges et néerlandais en poste sur la frontière afin qu’ils se hâtent de sécuriser les lieux de l’agression. Ils leur recommandaient la prudence. « Soyez armés » conseillaient-ils. Ils téléphonèrent ensuite au Parquet de Gand pour signaler l’affaire au magistrat de garde.
Violet Westwood une fois les policiers remontés dans leur Volvo blanche à ruban bleu central, vint s’asseoir au bout du canapé où, entouré du châle et d’une couverture écossaise, je réprimais difficilement un tremblement nerveux et des frissons grimpant dans le dos jusqu’au sommet du crâne.
Le domestique arriva avec une théière fumante et me versa une tasse bien remplie, Il dit : « Vous n’avez pas de chance pour vos vacances, Monsieur Daniel, mais vous avez sauvé votre vie. Monsieur Yagi est blessé, j’espère qu’il sera bien soigné à la clinique et qu’il pourra rentrer dès ce soir. Le monde est devenu dangereux même ici.La vie à la mer n’est pas toujours de tout repos. On n’est plus protégé nulle part. Des gens sans instruction envahissent les plages.»
Il se tut et repartit dans la cuisine où je l’entendais remuer des assiettes.
J’avalai trois gorgées de thé, croquai un biscuit au chocolat, et fermai les yeux.
J’entendis l’Ambassadrice dire à Violet : « C’est une affreuse histoire. Pourvu que mon fils n’ait pas perdu trop de sang. Je vous remercie, ma chère Violet, d’avoir posé un garrot. »
– Oui dit Violet, le garrot peut être réalisé avec n'importe quel lien capable d'entourer le membre à partir duquel se produit une hémorragie. J’ai utilisé une ceinture et serré assez fort pour que la veine soit comprimée au point de ne plus laisser sortir le sang.
Les infirmiers semblent avoir apprécié mon travail. Yagi rentrera peut-être ce soir. Attendons jusqu’à vingt heures. S’il peut revenir avec vous et Daniel à Bruxelles, ce sera l’idéal. Je vais promener mon chien. J’ai besoin d’air. Ce fut un choc de voir Yagi, le sang sur ses vêtements, et la blessure ouverte. Pauvre garçon. Je l’aime bien. Vous avez vu sa mine ? Un fromage blanc. Viens Peter, on sort ! »
(à suivre)
Henri de Meeûs
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De Simone Weil, extraits d’Ecrits de New-York et de Londres, 1942-1943, NRF, Gallimard, Novembre 2019
Simone Weil (1909-1943)
« Il n’y a pas d’espérance pour le vagabond debout devant le magistrat. Si à travers ses balbutiements, sort quelque chose de déchirant, qui perce l’âme, cela ne sera pas entendu ni du magistrat ni des spectateurs. C’est un cri muet. Et les malheureux entre eux sont presque toujours aussi sourds les uns aux autres. Et chaque malheureux, sous la contrainte de l’indifférence générale, essaie par le mensonge ou l’inconscience de se rendre sourd à lui-même. » (p.231)
« La beauté est le mystère suprême d’ici-bas. C’est un éclat qui sollicite l’attention, mais ne lui fournit aucun mobile pour durer. La beauté promet toujours et ne donne jamais rien ; elle suscite une faim, mais il n’y a pas en elle de nourriture pour la partie de l’âme qui essaie ici-bas de se rassasier ; elle n’a de nourriture que pour la partie de l’âme qui regarde. Elle suscite le désir, et elle fait sentir clairement qu’il n’y a en elle rien à désirer, car on tient avant tout à ce que rien d’elle ne change.
Si on ne cherche pas d’expédients pour sortir du tourment délicieux qu’elle inflige, le désir peu à peu se transforme en amour, et il se forme un germe de la faculté d’attention gratuite et pure. » (p. 231)
« Tout ce qui procède de l’amour pur est illuminé par l’éclat de la beauté » (p. 232)
« Quelqu’un à qui on fait du mal, il pénètre vraiment du mal en lui ; non pas seulement la douleur, la souffrance, mais l’horreur même du mal. Comme les hommes ont le pouvoir de se transmettre du bien les uns aux autres, ils ont aussi le pouvoir de se transmettre du mal. On peut transmettre du mal à un être humain en le flattant, en lui fournissant du bien-être, des plaisirs ; mais le plus souvent les hommes transmettent du mal aux hommes en leur faisant du mal. » p. 233
Notice biographique sur Simone Weil
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Simone Adolphine Weil est une philosophe née à Paris le 3 février 1909 et morte à Ashford (Angleterre) le 24 août 1943.
Sans élaborer de système nouveau, elle souhaite faire de la philosophie une manière de vivre, non pour acquérir des connaissances, mais pour être dans la vérité. Dès 1931, elle enseigne la philosophie et s'intéresse aux courants marxistes antistaliniens. Elle est l'une des rares philosophes à avoir partagé la « condition ouvrière ». Successivement militante syndicale, proche ou sympathisante des groupes révolutionnaires trotskystes et anarchistes et des formations d'extrême-gauche, mais sans toutefois adhérer à aucun parti politique, écrivant notamment dans les revues La Révolution prolétarienne et La Critique sociale, puis engagée dans la Résistance au sein des milieux gaullistes de Londres, Simone Weil prend ouvertement position à plusieurs reprises dans ses écrits contre le nazisme, et n’a cessé de vivre dans une quête de la justice et de la charité. S'intéressant à la question du sens du travail et de la dignité des travailleurs, elle postule un régime politique qui « ne serait ni capitaliste ni socialiste ».
Née dans une famille alsacienne d'origine juive et agnostique, elle se convertit à partir de 1936 à ce qu'elle nomme l'« amour du Christ », et ne cesse d’approfondir sa quête de la spiritualité chrétienne. Bien qu'elle n'ait jamais adhéré par le baptême au catholicisme, elle se considérait, et est aujourd'hui reconnue comme une mystique chrétienne. Elle est aussi parfois vue comme une « anarchiste chrétienne ». Elle propose une lecture nouvelle de la pensée grecque ; elle commente la philosophie de Platon, en qui elle voit « le père de la mystique occidentale » ; elle traduit et interprète aussi les grands textes littéraires, philosophiques et religieux grecs, dans lesquels elle découvre des « intuitions préchrétiennes », qu’elle met en parallèle avec les écritures sacrées hindoues et avec le catharisme. Ses écrits, où la raison se mêle aux intuitions religieuses et aux éléments scientifiques et politiques, malgré leur caractère apparemment disparate, forment un tout dont le fil directeur est à chercher dans son amour impérieux de la vérité, qu'elle a définie comme le besoin de l'âme humaine le plus sacré. À bout de forces, elle meurt d’épuisement moral et physique et de tuberculose dans un sanatorium anglais le 24 août 1943.
(sources Wikipedia)
lun.
02
nov.
2020
C’est reparti pour un second tour de carrousel. Certains disaient, ce sera une vaguelette. Non, en octobre c’est un tsunami qui vient sur nous, comme sur toute l’Europe, et les hospitalisés vont bientôt remplir les cliniques et empêcher, faute de lits, les médecins et les infirmiers d’effectuer leur travail. Certains médicaux menacent, il faudra bientôt choisir entre les arrivants : les soigner ou les refuser.
Malheur aux vieux !
Chaque fois que je sors de chez moi avec mon chien pour seule compagnie, j’entends des sirènes d’ambulances. Cela ne rate pas. Qui aurait cru qu’après une vie de travail, la retraite, période bénie de repos et de récupération, se passe maintenant dans l’isolement, le masque sur le visage dès qu’on met le nez dehors, l’éloignement des autres corps dangers potentiels ; on s’écarte de vous comme je m’éloigne aussi des personnes que je croise sur les trottoirs, au cours de promenades stressantes, irrespirables sous la chaleur du masque.
Cette fois, ce sont les jeunes les plus contaminés, surtout la génération de 20 à 30 ans, sur les campus universitaires notamment, où on a beaucoup fait la fête et donné des milliers de bisous en juin et juillet pour la fin des examens et la proclamation des résultats.
Leur chance est pour la plupart de ne pas être tous encore hospitalisés.
Si lors de la première vague, ce furent les villes et villages flamands les plus contaminés, cette fois ce sont les communes francophones et wallonnes qui sont touchées, même celles qui furent épargnées durant les 6 premiers mois de l’épidémie. Je pense au Brabant wallon et à la commune de Lasne, par exemple, à 20 kilomètres de la Capitale et commune la plus riche du pays, maintenant terrifiée par le nombre inattendu de ses malades.
Comme si le virus était programmé sur l’algorithme: Je dois entrer dans tous les corps et ne pas en manquer un seul.
Nous finirons tous par y passer.
Comment douter qu’après une seconde vague plus meurtrière que la première, il n’y en aura pas une troisième. Car le virus qui n’est pas idiot, arme diabolique, attend dehors, devant les portes fermées du confinement. Il a l’éternité pour lui, il est d’une patience satanique. Après plusieurs semaines de confinement, les autorités décideront de libérer un peu la population et d’ouvrir les portes, et permettre un semblant de vie sociale. Les jeunes sont les premiers à se relâcher. Retrouver les copains, copines, se donner des bisous, et les parlottes qui n’en finissent pas dans les groupes et autres maisons communautaires.
Tous ensemble ! Tous ensemble ! est leur devise.
Le virus n’attend que cela ; il fonce sur les créatures fraîches, offertes appétissantes, tandis que dans les maisons pour vieillards, on sortira les derniers cadavres morts de triste solitude.
Ce sera, alors, la troisième vague, pire que les deux précédentes. Les créatures humaines tomberont comme des mouches, chez eux, en rue, n’arriveront plus à l’hôpital vu que le personnel médical aura disparu, faute de combattants en fuite ou décédés.
On n’entendra plus la sirène des ambulances.
Les autorités ont eu sept mois pour prévoir cette seconde vague plus terrible que prévue. Qu’ont-ils fait ? Rien. Pas de nouveaux lits supplémentaires dans les hôpitaux, les assistants infirmiers ou médecins malades, épuisés, ne furent pas remplacés. Ceux qui ont tenu le premier choc et qui réclamaient une augmentation de traitement, et un engagement de personnel supplémentaire pour suppléer aux absents, n’ont pas encore reçu de réponses concrètes. « Pensez donc, on ne décide pas cela en une nuit », répond le nouveau Ministre fédéral de la Santé. Ils ont eu 7 mois, et ils n’ont rien prévu !
Malheur à ces chefs incapables, jamais coupables, jamais responsables !
Les médias et la presse sont fautifs de n’avoir pas averti de suite qu’il fallait se préparer au rebond. Non, les médias se sont contentés de terroriser la population en citant chaque jour la litanie des chiffres toujours plus dramatiques, ceux des contaminés, des hospitalisés, des soignés aux soins intensifs et des morts.
L’incroyable impudeur des TV qui osent montrer le spectacle des pauvres corps allongés sur le ventre dans leur lit, aux soins intensifs, corps désarmés, perforés par des tuyaux reliés à des machines de la Guerre des Mondes vue par Wells. Les responsables médicaux jouent là des rôles de film d’horreur. Leur but ne serait-il pas de terroriser la population qui ne reçoit jamais la moindre parole d’espoir, sauf celle d’attendre un vaccin sauveur dont la date est sans cesse reportée, cette fois à l’été 2021.
Sauveur dites-vous ? La moitié des Belges refusent déjà le vaccin. On les a trompés depuis le début avec la pénurie inouïe des masques, avec les respirateurs inadéquats et en trop petit nombre. Que de temps avant que les commandes effectuées dans l’urgence ne soient exécutées.
Les faibles sans défense sont très souvent accusés de fautes qu’ils n’ont pas commises.
En période de pandémie et de confinement tout azimut, il reste d’exprimer l’amour par des paroles, des écrits, des actes. L’amour doit se dresser dans sa plénitude à tous les étages de la société, entre époux, amants, enfants grands et petits, amis, vieux et jeunes. Une marée d’amour pour noyer les nuages de virus que nous traversons depuis des mois.
Sauterelles innombrables et sans fatigue, fléau d’Apocalypse, fichez-nous la paix !
Les bonnes intentions n’ont plus cours dans ce temps d’épidémies où la mort nous encercle. Seuls comptent les actes d’amour. Rien d’autre.
Comment les corps peuvent-ils se rejoindre dans l’amour vu les exigences obsessionnelles de la « distanciation » et des « gestes barrières » ? On va inventer un érotisme à distance et masqué ?
On ne dit jamais assez à un être beau, garçon ou fille, qu’il est beau. D’entendre cela, le remplit d’énergie, d’assurance, d’optimisme. Mais derrière le masque, qui voit leur beauté ?
Y a-t-il une limite d’âge pour cesser de tomber amoureux ? Non, si l’amour est un cadeau du Ciel. Dieu ne s’intéresse pas à l’âge pour gâter de temps en temps sa créature.
PROTESTATION
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(Avertissement : PROTESTATION est un récit imaginaire d’Henri de Meeûs, publié dans les Carnets de ce site littéraire, soit : 1ère partie : Carnets janvier 2020 ; 2ème partie : Carnets février 2020 ; 3ème partie : Carnets mars 2020 ; 4ème partie : Carnet juin 2020 ; 5ème partie : Carnets juillet 2020 ; 6ème partie : Carnets Août 2020 ; 7ème partie : Carnets septembre 2020.)
(suite)
Dans la Rolls conduite par l’Ambassadrice, Yagi m’avait expliqué qui était Miss Violet Westwood.
Miss Westwood connaissait depuis longtemps l’Ambassadrice car, au temps de leur jeunesse, elles avaient été élèves, plusieurs années, en Angleterre dans une pension chic du Surrey. Elles se voyaient ou s’écrivaient régulièrement. Violet avait décidé de s’installer en Belgique quand son amie lui annonça que son mari était nommé Ambassadeur de l’Inde à Bruxelles.
Violet, fille unique, toujours célibataire et sans enfant, mais à la tête d’une jolie fortune, quitta les beaux quartiers de Londres, celui des ambassades de Mayfair, et acheta au Zoute, en Belgique, une grande maison dont les terrasses avaient vue sur la mer.
Elle pouvait respirer l’air vif, se promener chaque matin sur la plage avec son caniche blanc Peter, améliorer la pratique du golf, et jouer au bridge dans un cercle de dames où elle retrouvait son amie deux fois par mois soit à Bruxelles soit à Knokke-le-Zoute. Violet, ne sachant pas conduire, utilisait les services d’un chauffeur pour ses déplacements en Belgique.
Elle connaissait bien Yagi pour l’avoir rencontré à de nombreuses reprises à l’ambassade.
Violet, par sa mère, descendait du clan écossais Colville, des vicomtes Colville of Culross, situé dans la région des Lowlands, avec pour devise Oublier ne puis !
Le père de Miss Westwood avait terminé sa carrière comme haut magistrat à la division criminelle de la Cour d’Appel d’Angleterre et du Pays de Galles.
On comprend, interrompit l’Ambassadrice, que Violet fille unique d’un père sévère, déteste le désordre, les retards, même si dans l’intimité, elle raconte à son amie des souvenirs de jeune fille rebelle et montre un esprit d’indépendance.
Connaissant mal à cette époque les clans écossais jamais étudiés au Collège St Michel, je fis semblant de m’intéresser au discours de Yagi toujours parfaitement documenté, et j’ouvris de grands yeux pour montrer mon vif intérêt.
Yagi me dit encore : « Les hommes écossais portent des jupes, des tartans aux couleurs différentes pour chaque clan, et en dessous des jupes …. ». Il ne put achever.
– N’exagère pas Yagi, et ne te moque pas de leurs traditions, dit sa mère.
°°°
L’Ambassadrice amena dans l’allée la lourde Rolls jusqu’à l’escalier qui montait vers les terrasses. Nous sortîmes de la voiture en claquant les portières.
Miss Westwood nous attendait, petite dame en tailleur aux couleurs du clan maternel, vert, rouge et noir. Ses cheveux courts étaient blonds, teints sans doute. Le visage encore jeune s’éclairait de fréquents sourires. Elle me plut de suite. Cette Miss est bien sympathique, me dis-je.
Notre hôtesse et l’Ambassadrice s’étreignirent. « Comme je suis contente de vous voir ! Quelle aventure ces garçons ont vécu ce matin avec votre chauffeur malade ! Venez, entrez, nous allons commencer par un apéritif maison. », dit Miss Westwood.
Elle embrassa Yagi qui lui baisa la main.
L’Ambassadrice me présenta : « Voici Daniel Baetens, un ami de collège de Yagi, ils sont dans la même classe et finissent leurs vacances à l’Ambassade. »
Je baisai la main de Violet en inclinant la tête comme Yagi.
Elle nous fit entrer dans la véranda de la maison, et nous invita à nous asseoir dans des fauteuils de toile rouge qui entouraient une table basse où s’éparpillaient des revues de mode.
La grande baie ouverte, le bruit des vagues, le gris et le bleu de l’horizon, le cri de quelques mouettes pressées, montraient combien cette maison où nous étions accueillis, respirait la paix.
Peter le caniche, bondissant de je ne sais où, des cuisines sans doute, vint nous saluer joyeusement et sans aboyer.
– Un déjeuner léger sera servi pour vous remettre de vos émotions. J’ai été avertie par l’Ambassade que vous viendriez vous reposer chez moi après les incidents de ce matin. J’espère que cela ne gâchera pas votre journée de vacances, dit Miss Westwood.
Se tournant vers Yagi, elle ajouta : « Vous pourrez quitter la villa quand vous le voudrez pour vous amuser. Il y a des vélos dans le garage. Mais d’abord, buvons ce Pineau des Charentes qui nous attend, dit Miss Westwood. Cela vous ravigotera avant de passer à table. Elle agita une clochette qui tinta.
Un domestique en veste blanche, cravate et pantalons noirs, apporta l’apéritif, la bouteille et les verres, sur un plateau d’argent.
– A la santé de ceux que j’aime, trinqua notre hôtesse.
Je n’avais jamais bu une liqueur plus exquise, dorée, fraîche, aux goûts de raisin.
– Je vois que vous l’appréciez, observa-t-elle en riant et fermant les yeux tandis que le divin liquide coulait dans la gorge écossaise.
Elle ajouta dans un parfait français : «Le Pineau des Charentes est toujours obtenu après un assemblage en fûts de chêne avec un 3/4 de volume de jus de raisin et 1/4 de Cognac distillé l’année précédente. Après il prend de l'âge ! C'est un mélange de moût, obtenu par pressurage du raisin, et d’eau de vie de cognac, de la même exploitation viticole et du même terroir. Mes parents en buvaient avant chaque déjeuner. Je continue la tradition.
Fermant les yeux, elle se mit à rire toute seule, et l’Ambassadrice heureuse l’imita.
A ce moment, la mère de Yagi compléta le portrait de son amie : « Ce que vous ignorez tous les deux, nous dit-elle, c’est que Miss Westwood fut à plusieurs reprises choisie par la reine pour être sa dame d’honneur lors de galas, inaugurations et fêtes officielles. »
- « Ce fut une belle époque » dit Violet à Yagi qui écoutait avec attention. « La reine, née Elisabeth Bowes-Lyon, le 4 août 1900 à Londres, était la neuvième des dix enfants et la quatrième fille de Claude Bowes-Lyon, un noble écossais, alors lord Glamis, puis 14e comte de Strathmore et Kinghorne, et de son épouse, lady Cecilia Nina Cavendish-Bentinck. Le roi Georges VI, le roi bègue, fut son époux bien-aimé. »
- Pourquoi, Miss Westwood, avez-vous accepté ce job de dame d’honneur ?, dis-je.
- Parce que on ne refuse rien à la reine, née dans une famille de la noblesse écossaise, qui eut toujours un faible pour les Ecossais et connaissait bien la famille de ma mère, les Colville, ses amis d’enfance, compagnons de promenades à cheval et de chasse à courre.
°°°
Ensuite, nous passâmes à table dans la grande salle à manger dont les fenêtres hautes et larges ouvraient sur les dunes de Knokke, sans voisins, sans constructions disgracieuses, car la côte belge très bâtie est une des plus laides du monde. Partout du béton, partout des immeubles clapiers à appartements multiples où s’entassent locataires ou propriétaires respirant l’air de la mer du Nord pour décrasser leurs poumons de citadins. La vue était belle si on regardait vers la mer et la plage. La vue était affreuse si, sur la plage, on regardait derrière soi le mur des immeubles tous plus laids les uns que les autres.
Le même domestique nous servit. Au menu : omelette aux crevettes, ni trop cuite ni trop baveuse, des feuilles de salades assaisonnées avec adresse, des frites, le tout accompagné d’une bouteille de Haut-Médoc qui avait reçu un grand prix dans l’année et que nous dégustâmes sans restrictions. Ensuite pour terminer, de la mousse au chocolat que la cuisinière invisible avait préparée pour notre gourmandise, sur les instructions de Miss Westwood qui connaissait bien l’Ambassadrice et son fils.
Le café servi et bu, Yagi se leva, demanda la permission de prendre l’air avec moi pour le temps qui restait avant de rentrer à Bruxelles.
Nous décrochâmes les deux vélos rangés dans le garage de la maison. Il était quinze heures. Beau soleil, vent léger et mouettes nombreuses qui passent devant la véranda.
Je suivis mon ami.
(A suivre)
Henri de Meeûs
jeu.
01
oct.
2020
Quand on lit l’interview de l’écrivain américain Philip Roth accordée au Journal Libération du 30 septembre 2010, à la question s’il est très pessimiste sur l’avenir des livres et de la littérature, Philip Roth répond :
"Je suis pessimiste et je suis sûr d’avoir raison. C’est une question de temps. Les gens sont face à la dictature de l’écran de la télévision, de l’ordinateur, de l’Ipad… Ces écrans sont plus importants que les livres. Même les livres numériques, je ne suis pas sûr de ce qu’il en restera dans dix ans. Les gens ont perdu la faculté de se concentrer sur un livre. Les gens qui lisent vont devenir une secte très réduite. L’écriture va continuer mais le nombre de lecteurs va diminuer. Et à un moment ou à un autre, plus personne ne va lire. Mais bon, l’avantage d’avoir 77 ans, c’est que je ne serai plus là pour le voir.
Philip Milton Roth, né le 19 mars 1933 à Newark dans le New Jersey et mort le 22 mai 2018 à New York, est un écrivain américain, auteur d'un recueil de nouvelles et de 26 romans, dont plusieurs ont fait l'objet d'adaptations cinématographiques.
°°°
Anniversaire de la mort de Montherlant : 21 septembre 1972
Quand le 21 septembre 1972, jour d’équinoxe, à quatre heures de l’après-midi, Montherlant, assis dans son fauteuil dessiné par David, se tira une balle dans la gorge, après avoir croqué une ampoule de cyanure pour être certain de ne pas se rater, la France du XXe siècle perdait un de ses plus grands écrivains.
L’existence de cet homme avait duré 77 années. Sur son bureau, trois lettres, la première à son héritier Claude Barat, les deux autres au Commissaire de Police et au Procureur de la République pour les informer de son suicide et éviter à ses proches les tracasseries d’une enquête.
Dans la lettre à Claude Barat, son héritier, datée du même jour, il avait écrit :
“Mon cher Claude, je deviens aveugle. Je me tue. Je te remercie de tout ce que tu as fait pour moi. Ta mère et toi sont mes héritiers uniques. Bien affectueusement.”
Sur ce document, l’écriture est grande et ferme malgré l’horreur de l’instant. Cependant, aux dernières lignes, il y a quelque chose de tremblé et de poignant. Le “Je’’ devient tout petit, et la finale des mots s’amoindrit. La mort est là qui va l’emporter.
“Fermez-vous, Portes éternelles”. Certains ont jugé sévèrement cet acte. Peut-être ont-ils eu tort, car un suicide appelle le silence, la pitié ou la prière. On ne se suicide pas par plaisir. Le suicidé est un être qui, confronté à un degré insupportable de douleur physique ou morale, décide d’en finir. L’Eglise l’a compris : elle accueille désormais leur cadavre et leur chante le Repos éternel. Mais la mort de Montherlant, où l’angoisse n’est pas absente, est davantage celle d’un stoïcien. Habitué à respirer à une altitude hors du commun, Montherlant a voulu que sa mort soit libre, “un acte de sa seule volonté”.
Ce stoïcien affirmait qu’il ne croyait pas en Dieu. Le général de Gaulle le décrivait “longeant indéfiniment le bord de l’océan religieux, que son génie ne quitte pas des yeux, ni de l’âme sans y pénétrer jamais” (lettre à Philippe de Saint Robert). Mais cet athée écrivait des pièces de théâtre où la religion est un des principaux ressorts : Le Maître de Santiago, Port-Royal, La Ville dont le Prince est un enfant, Le Cardinal d’Espagne.
Dans ses derniers Carnets, je note ceci, qui me semble ne pas être l’attitude d’un athée convaincu :
“On peut se suicider et avoir la foi.” (Carnets 1971).
“Cet homme qui se veut chrétien, s’est tiré un coup de revolver parce qu’ il n’était plus d’accord avec le monde qu’on nous a façonné. Il a fait un signe de croix sur le revolver, l’a baisé et allez-y.” (Carnets 1970).
“Qu’il serait tentant d’aller dans une chapelle sombre derrière le maître-autel, que ne peuplent que deux vieilles femmes et vous, que n’éclairent que vos “péchés”, bouquet de cierges brûlant à la gloire du Très-Haut, assister à une messe basse dite par un prêtre qui croit.” (Carnets 1970).
Montherlant, célèbre académicien, dont les pièces de théâtre et les romans faisaient la gloire, était un mal-aimé. La critique, surtout celle des intellectuels de gauche, le dénigrait ou s’en moquait, au cours des dix dernières années de sa vie. Elle le traitait de momie, mais à chaque livre publié, elle était obligée de reconnaître au milieu de sarcasmes, que le style et le ton restaient royaux. Elle ne lui pardonnait pas sa solitude et son mépris.
“C’est en 1927 avec “Aux Fontaines du Désir” que l’on commença à m’insulter. En somme, cela ne fait que quarante ans.” (Carnets 1967).
Cet hypersensible, trop de fois blessé, vivait solitaire dans un entresol du quai Voltaire à Paris, au bord de la Seine. Un grand écrivain, même vieillard, même au sommet des honneurs, n’est jamais à l’abri. Les envieux, les haineux et les jaloux veillent dans l’ombre, et s’ils ne l’abattent pas de son vivant, ils profanent sa tombe.
“Aussitôt que je serai mort, deux vautours, la Calomnie et la Haine, couvriront mon cadavre pour qu’il leur appartienne bien à eux seuls, et le déchiquèteront.” (Carnets 1972).
Montherlant reçut un coup terrible à 75 ans. Un pamphlétaire infâme, que Mauriac, victime aussi de ses calomnies, avait stigmatisé d’“assassin de lettres”, attaqua Montherlant de la manière la plus basse, cherchant à le ridiculiser dans sa vie privée, son œuvre, ses mœurs et son physique.
Quand on connaissait la sensibilité extrême de Montherlant, on peut parler vraiment d’assassinat. Il garda le silence. Se défendre, c’était descendre au niveau de l’insulteur. Mais le petit nombre de ses défenseurs et la faiblesse de leur défense ajoutèrent à sa détresse. Un an plus tard, parut son dernier roman Un Assassin est mon maître, description clinique et romancée de l’angoisse d’un homme intelligent, isolé et sans défense, persécuté par un chef tyrannique. Aucune haine contre celui qui le persécute, mais l’analyse d’une extrême anxiété.
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Je note ici quelques extraits pris au cœur du livre :
“Il ne trouvait pas en lui de haine, pas la moindre pour celui qui lui en montrait tant.”
“Le mal de l’âme mordait plus que jamais son organisme. Au réveil, pendant trente secondes, ses battements de cœur affolés (…) et tout cela dans une atroce odeur de bête femelle lui montant du diaphragme, et souvent il vomissait avec force pour s’en délivrer.”
“Le fait de ne pouvoir parler de son état à personne lui était pénible. Comment est-ce qu’on ne meurt pas de désespoir ? Sans intervention du cœur, du cerveau, ni de la moëlle etc. sans intervention de rien de physiologique. Foudroyé seulement par le sentiment moral du désespoir.”
Ce roman parût en 1971. Montherlant se suicida en 1972. Le titre était prophétique, Un assassin est mon maître… Montherlant se tuait, non seulement parce qu’il devenait aveugle, mais surtout parce qu’il ne supportait plus ce monde horrible de mensonges, de bassesses, de haines et de compromis. Il échappait aux temps infâmes dans lesquels, prévoyait-il, “l’espèce humaine s’enfonce”.
Henri de Meeûs
PROTESTATION
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(Avertissement : PROTESTATION est un récit imaginaire d’Henri de Meeûs, publié dans les Carnets de ce site littéraire, soit : 1ère partie : Carnets janvier 2020 ; 2ème partie : Carnets février 2020 ; 3ème partie : Carnets mars 2020 ; 4ème partie : Carnet juin 2020 ; 5ème partie : Carnets juillet 2020 ; 6ème partie : Carnets Août 2020.)
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Après une demi-heure d’hésitation, Yagi avait téléphoné à sa mère. Elle lui avait demandé de patienter, qu’elle interrogerait son mari, et elle retéléphonerait pour nous donner leurs décisions, que nous devions attendre sur place.
Yagi tournait en rond dans la cafétaria, remuant des sachets de chips, ou feuilletant des revues flamandes dont il ne comprenait pas un mot. Il avait les sourcils froncés et ne me parlait pas. Je restais assis sur une chaise devant une petite table où je buvais un chocolat chaud que j’avais commandé et payé.
Les ambulanciers du 900 arrivèrent sirènes glapissantes et feux d’alarmes clignotants. Après quelques palpations, ils déposèrent Alisha sur un brancard tandis que des clients pensaient que ce basané gênait l’accès à la caisse.
Yagi expliqua en français aux ambulanciers qu’ils devaient garder Alisha en clinique, qu’il était un employé de l’Ambassade de l’Inde, que l’Ambassadeur donnerait ses instructions après le diagnostic médical, soit ramener Alisha à Bruxelles ou le soigner à Gand. L’ambulance bruyante quitta l’aire d’autoroute avec notre chauffeur qui n’avait pas dit un mot depuis son évanouissement dans les toilettes.
Enfin, la cheffe de rayon, une grande rousse cria Mijnheer, Mijnheer, tendant le téléphone à Yagi qui buvait un troisième café : « Dat is voor U, uw moeder ! »
Je n’entendis pas la conversation avec la personne que je supposais être sa mère. Il raccrocha après 5 minutes.
« Voici les ordres de ma mère, dit Yagi. Alisha restera au moins une nuit en clinique pour divers examens. Maman a téléphoné à l’hôpital de Gand et tout sera mis en route pour un examen complet d’Alisha. Elle m’a demandé s’il se droguait. Comment veux-tu que je le sache ? D’ici une heure, elle viendra nous chercher avec un domestique de l’Ambassade et nous conduira elle-même en Rolls au Zoute, Elle a une amie, Miss Westwood, qui lui propose de passer l’après-midi avec elle dans sa grosse villa, et nous ferons ce que nous voudrons dehors jusqu’à 19 heures. Programme retardé mais inchangé ! Waf ! »
J’étais content que la mère de Yagi ait pris les commandes. Femme intelligente et décidée. Elle aimait son fils et devait être désolée que notre journée à la mer commençait avec le malaise du chauffeur. Il suffisait d’attendre maintenant. Je repris un chocolat chaud tandis que Yagi sortait seul pour s’installer dans la Rolls dont il avait récupéré les clés de contact. Il est de mauvaise humeur, pensais-je. Je me rendais compte petit à petit que ma présence près de lui ne l’amusait pas. J’étais intimidé par lui, je n’osais pas lui dire ce que je pensais de sa froideur apparente.
Savais-je moi-même ce que je voulais de lui ? Ma mère me disait souvent que j’étais un inquiet, qu’il ne fallait pas me tracasser, ne pas chercher toujours à bien faire les choses. J’avais la mentalité du premier de classe, obnubilé par le devoir, la réussite, et je me prenais trop au sérieux. Yagi très intelligent, plus que moi, avait de l’humour, moi non.
Je devais me rendre compte que des personnes ne m’aimeraient pas, seraient jalouses de moi. Mais Yagi ne pouvait envier Daniel Baetens, l’orphelin pauvre, recueilli par l’Ambassadeur de l’Inde et sa belle épouse. C’est moi qui aurais pu être envieux de lui. Mais je n’ai pas ce défaut. Je préfère naturellement vivre dans une famille riche, comme celle de l’Ambassadeur, à condition d’être libre, respecté, aimé. A treize ans, l’inconnu fait peur, et sans argent on devient dépendant et exposé à tous les coups. Je faisais confiance. Je sentais que ma mère morte me protégeait.
Je retournai m’asseoir à l’arrière de la Rolls où Yagi occupait la place du chauffeur. Il avait fait démarrer le moteur, la voiture restait immobile, le changement de vitesse maintenu sur Neutre. Il s’amusait à accélérer le moteur par à coup, comme le compteur du tableau de bord l’indiquait, le moteur grondait, mais la limousine ne bougeait pas. Il arrêta quand je lui fis remarquer qu’un peu de fumée sortait des pots d’échappement.
Finalement, il retira la clé de contact, et se tournant vers moi, dit : « Tu sais, je serais capable de conduire ce tank jusqu’à la mer, mais on risquerait trop si on se faisait arrêter par un policier. Attendons ma mère. J’espère que pour Alisha, ce ne sera pas grave. Mon père sera contrarié. Tu n’as pas de chance avec les séjours à la mer. »
Pensait-il à ma quasi noyade à Zandvoort en juillet et à la mort de ma mère à l’hôtel Zuiderbad la nuit qui a suivi ? Cette nuit où je me retrouvai seul, sans rien faire que suivre les conseils de l’hôtelier qui, je l’avoue, m’aida en effectuant toutes les formalités administratives hollandaises, et notamment celle d’avertir l’Ambassade de l’Inde à Bruxelles, comme je le demandais.
Je n’avais pas encore raconté à Yagi les détails de la mort soudaine, en pleine nuit, de ma mère. Elle avait sacrifié sa vie pour m’éduquer et me garder près d’elle. Son salaire peu élevé et le métier dont elle ne parlait jamais. Elle disait : « Je travaille chez des gens qui ont besoin de mes services, je suis bien contente d’avoir de quoi payer la location de l’appartement de Schaerbeek, notre nourriture, nos vêtements, et le minerval pour tes études à St Michel. »
Je ne lui posais jamais de questions sur ses activités, pressentant qu’elle serait humiliée, qu’elle ne voudrait pas me faire de peine. Elle disait souvent : « Moins on parle, mieux c’est. »
Soudain, nous vîmes apparaître de loin, derrière les grands panneaux publicitaires de TOTAL, et feux d’alarme allumés sur le toit, une Volvo de la gendarmerie conduite par un chauffeur à képi et uniforme bleus, et assise derrière lui, la mère de Yagi qui nous faisait de grands signes.
Elle ouvrit la portière et se précipita vers la Rolls d’où Yagi s’extirpa en vitesse.
La mère et le fils s’embrassèrent.
« Je suis là mes enfants. Vous m’avez fait courir ! J’ai reçu l’aide du responsable de la gendarmerie de Bruxelles, le Général Beaurire, ami de mon mari, car il n’y avait plus de véhicules disponibles à l’ambassade. Il m’a proposé un chauffeur pour me conduire jusqu’à cette station d’essence de Sint-Denijs-Westrem, et me voilà, je vais dire merci au gendarme conducteur, et nous repartirons vers le Zoute dans la Rolls. Mais d’abord un petit passage aux toilettes. Yagi, allume le contact ! Et remercie monsieur l’officier d’avoir bien voulu me conduire jusqu’ici. »
C’est ainsi qu’à 13 heures, nous arrivâmes à la grande villa du Zoute « Les Mimosas » de Miss Westwood, amie de l’ambassadrice et passionnée de bridge.
Beau soleil, petits nuages, vent léger.
Un temps idéal pour causer sur la terrasse et boire un verre de Pineau rouge des Charentes, apéritif que nous offrait Miss Westwood pour nous remettre de nos émotions.
(A suivre)
Henri de Meeûs
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mar.
08
sept.
2020
Je plains les enfants affublés de masques toute la journée dans leurs écoles, ainsi que leurs maîtres ou maîtresses obligés de parler fort sinon les élèves entendent mal, et dans la cour de récréation forcés de tenir les distances. Le virus est capable de sauter comme une puce d’un corps sur l’autre pour bien l’infecter. On terrorise, on se méfie des uns et des autres, on est monstrueux de laideur ; ces masques ne feront plus apparaître bientôt que les sourcils.
Le bureau de poste de ma commune a une immense salle d’accueil. Il est interdit d’y entrer si trois clients sont aux guichets. Il faut attendre une sortie pour y accéder et respecter ainsi le chiffre maximum de 3 clients autorisés dans la salle. Obligation d’entrer masqué. Les employés aux guichets sont protégés par une double paroi de verre avec de petites ouvertures pour le transfert des lettres et des colis postaux.
Au guichet, je pose une question sur le coût de l’envoi vers Paris d’un paquet contenant un livre. L’employée répond. Je ne comprends pas un mot de ce qu’elle dit. Je fais répéter. Idem. A la quatrième reprise, elle se décide d’ouvrir une petite fenêtre de l’épaisse paroi de verre, et je comprends enfin ce qu’il faudra payer. Je m’excuse. Mon grand âge …
Chez Proximus, le plus grand opérateur téléphonique, je voudrais parler à un être humain pour :
– modifier la teneur de mon abonnement TV, – supprimer certaines chaines superflues – , téléphone fixe, gsm, et mon ordinateur.
– recalculer vers le bas le coût de l’abonnement complet pour l’ensemble.
Mais ce sont toujours des robots qui répondent et me renvoient de l’un à l’autre. Impossible d’entendre une voix humaine à qui expliquer le détail de ce qui ne va pas, tandis que mon argent est pompé chaque mois.
Les médias ne protestent pas face à la robotisation accélérée des affaires et des procédures. La population entière est exploitée. Population d’esclaves et stratégie hypocrite de profiteurs qui font les sourds pour ne rien solutionner.
Même chose dans une puissante banque qui a décidé qu’il ne serait plus permis de recevoir les extraits papiers de mes comptes sinon en payant 1 ou 2 eur par envoi mensuel. J’essaie d’atteindre la banque au n° de téléphone du service « Easy » chargé de la mise en place de cette nouvelle procédure robotique qui met en difficulté les personnes âgées. Pendant vingt minutes, un répondeur et une musique guillerette m’annoncent que je dois patienter, que le personnel est à mon écoute. Après 20 minutes, je raccroche. J’essaierai une autre fois à une autre heure. Le client est roi.
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Dans le monde littéraire, peu de vrais amis. C’est du chacun pour soi. J’ai été avocat. Les chers Maîtres se détestent et disent du mal les uns des autres. On se chipe les clients, surtout en matière pénale.
Certains avocats feront attendre celui de la partie adverse en négligeant de répondre rapidement au courrier reçu, en envoyant tardivement les conclusions, après plusieurs rappels. On s’étonne des retards pour la fixation des audiences ; les juges sont les victimes de ces querelles masquées.
Les médecins, les dentistes, ne se ménagent pas non plus. Ils infirment souvent avec une moue méprisante le diagnostic ou le travail opératoire d’un confrère.
Personne n’aime personne.
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Pourquoi les dirigeants francophones de Belgique, les nombreux ministres de la Culture, les responsables médiatiques TV et radio, les critiques musicaux, ont-ils permis, durant les quarante dernières années, la destruction et la disparition de la grande et mélodieuse chanson française aux textes bien écrits, celle des chanteurs poètes à belle voix, (tels Brassens, Ferré, Béart, Reggiani, et plus récemment Michel Berger, notamment…) qui furent remplacés par un tsunami de musique anglo-saxonne, peu harmonieuse, avec des textes incompréhensibles ou idiots.
Les Beattles, parfaits symboles du basculement dans la vulgarité décadente, inaugurèrent cette mise à mort du français dans la chanson.
Maintenant, jour et nuit, la langue française quand elle est entendue dans un programme musical, ne produit plus que laideur et bêtise. Comme les chants religieux actuels dans les églises, insipides et niais.
Quel désastre pour l’esprit et la sensibilité des jeunes à qui manquera le goût de la Beauté, de la Poésie, et de la Musique. Le français bientôt une langue morte ?
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PROTESTATION
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(Avertissement : PROTESTATION est un récit imaginaire d’Henri de Meeûs, publié dans les Carnets de ce site littéraire, soit : 1ère partie : Carnets janvier 2020 ; 2ème partie : Carnets février 2020 ; 3ème partie : Carnets mars 2020 ; 4ème partie : Carnet juin 2020 ; 5ème partie : Carnets juillet 2020.
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A neuf heures, nous étions embarqués dans la Rolls blanche conduite par Alisha le chauffeur au turban. Une vitre en verre nous séparait de lui. Yagi éteignit le microphone.
– Nous aurons la paix, dit-il. Il conduit souvent mes parents qui aiment se distraire au Zoute le week-end, mon père pratique le golf et pour ma mère, c’est le bridge avec ses amies dans cette station chic. Tu connais Knokke-le-Zoute ?
– Je n’ai jamais vu la mer en Belgique. Pour mon malheur, en juillet j’ai découvert le littoral hollandais à Zandvoort et j’ai cru m’y noyer.
Il me regarda rapidement et dit :
– Tu es content d’être avec moi ? De m’avoir retrouvé ? Ce fut une longue absence. Mais il était impossible de rentrer des Indes plus tôt. Mon grand-père ne le permettait pas et mes parents n’ont pas voulu le mécontenter pour une fois que je passais quelques jours avec lui dans son palais à la lisière de l’Himalaya. Mais en réalité, je souhaitais revenir en Belgique car cette vie en Inde est formaliste, ennuyeuse. Je ne pouvais rien faire sans l’autorisation du grand-père qui me conseillait de ne jamais sortir seul. Il y a des menaces populaires et il ne voulait prendre aucun risque. Je vivais accompagné de gardes du corps. Beaucoup de domestiques nous servaient, mais pouvions-nous leur faire confiance ? That is the problem !. Mon père n’était pas favorable à ce séjour et ma mère ne voulait pas faire de peine à son père qui ne m’avait plus revu depuis quatre ans. Je suis son seul héritier. Il insiste toujours sur le fait que c’est moi qui devrai lui succéder. Tu parles d’une charge ! Quand il m’interroge si je suis prêt à accepter cet héritage, je ris, je ne réponds pas, ou je dis : « Ne meurs pas, je suis trop jeune. »
– Tes parents racontent que tu as chassé le tigre.
– Oui un jour, ce fut magnifique, une battue à dos d’éléphants. Cinq éléphants ! Celui en tête était occupé par mon grand-père et par moi et les quatre autres, à la queue leu leu étaient réservés pour les invités, chacun dans leur howdaw. Un howdah, tel que ceux utilisés par les princes de l'Inde, est un siège de bois formant deux compartiments, recouvert de feuilles d'argent et d'or, et fixé solidement sur le dos de l'éléphant
De nombreux traqueurs très excités devaient rabattre les fauves vers les tireurs perchés dans leur howdaw.
Un spectacle très coloré et bruyant. Nous étions en tête du groupe des pachydermes. Il y eut un moment de stress quand notre éléphant qui avait senti la proximité du tigre se mit à barrir de toutes ses forces et à danser sur place. Plus moyen de le faire avancer. Mon grand-père se saisit de sa carabine Winchester pour faire face en cas d’attaque du tigre. Notre jeune cornac avait toutes les peines du monde à calmer l’éléphant. Je saisis ma carabine aussi.
Mais très vite, le tigre fila devant nous dans les hautes herbes et on ne le revit plus. Voilà, c’était fini, après deux heures de chasse. J’avais eu le temps de vivre une émotion, le cœur battait plus vite, mais finalement, les autres invités très honorés par l’invitation, n’ont rien dû voir. C’est la chasse ! En réalité, tuer un tigre est interdit par la loi sauf dans notre région, où ils sont nombreux encore. Nous aidons les éleveurs de troupeaux en tuant un tigre ou deux chaque année.
Ce fut mon unique chasse. Ne raconte pas cette histoire au collège St Michel. D’ailleurs, tout ce que je te dis doit rester secret. Tu comprends ? C’est très important pour moi de te faire une confiance totale. Si tu me trahis, on ne se verra plus jamais.
Il me regarda à nouveau. Ses yeux sombres ne riaient pas.
– Tu peux me faire confiance, Yagi. Je ne te trahirai pas.
Etais-je sincère ? C’est une réponse obligée même si on n’y croit pas. Yagi ne pouvait savoir si je disais vrai. Je n’avais pas encore vécu une occasion où j’aurais pu le trahir. Nous ne nous étions jamais disputés au collège.
Mais si sa famille m’accueille en son sein, les occasions seront plus nombreuses où nos esprits pourraient se combattre. Je ne le voulais pas, mais je ne suis pas docile. Vivre protégé par les parents de Yagi me sauvait, mais je n’étais pas leur fils. Ils n’accepteraient pas que je prenne des libertés que ma mère m’accordait parfois. Et dans ce cas, la relation amicale cesserait.
Nous roulions depuis une demi-heure environ. La limousine rapide, souple, silencieuse, toujours à gauche sur la troisième bande de l’autoroute, dépassait à 140 km à l’heure les autres voitures sans craindre les radars qui, cachés, flashaient sans scrupule les téméraires.
– Le chauffeur ne roule- t-il pas trop vite, Yagi ?
– Cela n’a pas d’importance. Corps diplomatique. On ne paye jamais les amendes.
Mon ami riait. Sentiment de ma puissance dans ce véhicule luxueux aux sièges de cuir rouge. Si ma mère m’avait vu ! Elle, la plus modeste des mères, la sacrifiée, morte durant ses premières vacances avec moi, mais qui fut toujours fière de l’intelligence de son fils.
– Tu comptes nager là-bas ? Dis-je.
– On verra. Il faut d’abord déjeuner. On cherchera un restaurant. J’ai reçu de l’argent. On peut aussi regarder les vitrines des magasins luxueux du Zoute. Il y a de belles montres à admirer chez des bijoutiers. C’est la plus belle plage et la plus riche du littoral belge
– Où ira manger Alisha ?
– Ce n’est pas mon affaire. Il ne doit pas nous accompagner. Il sait où parquer la voiture. Le bourgmestre et la police connaissent bien la Rolls de mes parents. Je ne m’en fais pas. Il n’y aura pas de procès-verbaux. Alisha nous attendra. Parfois, il se promène sur la digue. Je ne le surveille pas. Mes parents ont confiance en lui, sinon ils ne nous auraient pas permis de venir à Knokke avec lui conduisant la Rolls. Il a vingt-cinq ans.
J’allongeai mes jambes devant moi sur le tapis grenat, et fermai les yeux comme si je voulais dormir un peu. Mes paupières n’étaient pas closes car je regardais la nuque et le profil du chauffeur, du siège où j’étais assis, à droite derrière lui. Je fus frappé tout à coup en voyant que ses lèvres bougeaient comme s’il marmonnait ou disait une prière. Et sur son front, perlait de la sueur.
Je saisis le bras de Yagi pour attirer son attention sur Alisha.
– Cela ne m’étonne pas qu’il prie, il est très pieux, a dit mon père. Il a été engagé il y a un an. Je ne lui ai guère parlé jusqu’à présent. Chez nous, on ne cause pas trop avec les domestiques. On commande, ils exécutent. Mais ceux qui nous servent avec respect, nous les traitons bien.
Yagi alluma le microphone et dit en langue indi, qu’il me traduisit aussitôt : « Alisha, tout va bien ? Vous dites vos prières ? Vous avez peur de vous endormir au volant ? Sinon, il faut vous arrêter. On boira un café à la prochaine station d’essence, le temps de prendre un peu d’air dix minutes. »
Alisha hochait la tête, mais restait silencieux. J’eus l’impression qu’il accéléra la vitesse. La cadran indiquait 160.
– Pourquoi roule-t-il plus vite ? Dis-je.
– Je pense qu’il va s’arrêter au prochain Lunch Garden qui est celui de l’aire de Sint-Denijs-Westrem.
Yagi lui parla d’un ton sec. Je vis le chauffeur lever la main droite signifiant qu’il comprenait et cinq minutes plus tard, la Rolls quittait l’autoroute pour se garer dans le parking de la station Total, le long de la cafetaria annoncée par Yagi.
Mon ami n’était pas content. Je ne compris pas leur échange mais il fit signe à Alisha de se rendre vite aux toilettes tandis que nous nous dirigions vers une table libre pour commander un café.
– Je ne comprends pas pourquoi il s’est mis à accélérer brusquement, dit Yagi. Je crois qu’il devait pisser. Tu as eu peur ? Il conduit correctement cette lourde voiture tant appréciée par mon père qui ne souhaite pas utiliser d’autres marques.
– Il a raison d’aimer les belles voitures, répondis-je.
J’aurais voulu ajouter : « et les belles femmes », en pensant à l’Ambassadrice, l’épouse distinguée qui ne passait pas inaperçue.
Après avoir bu chacun notre café, et ne voyant pas Alisha revenir des toilettes, nous décidâmes de le chercher, s’il était encore dans les toilettes ou s’il avait repris sa place dans la Rolls sans oser se joindre à nous.
Dans l’espace sanitaire réservé aux hommes, il n’y avait personne. Le verrou d’une porte était fixé sur le rouge. Yagi cria en indi : « Alisha, es-tu là ? On doit repartir. ». Aucune réponse. Yagi s’agenouilla au ras de la porte dont l’extrémité basse permettait de contrôler si le w-c était occupé ou non, il cria : « Il est ici à terre, il a eu un malaise, appelle vite du personnel pour forcer la porte. »
Je courus jusqu’à la caissière pour signaler que notre chauffeur enfermé dans un sanitaire était évanoui, qu’il fallait ouvrir la porte d’urgence et appeler les secours.
Aussitôt dit, aussitôt fait.
Alisha fut extrait inanimé du cagibi, et étendu sur le dallage. On lui ôta le turban, on lui déboutonna le col de la chemise. Une employée humecta les tempes d’un linge mouillé. Tout à coup, il ouvrit les yeux, releva son buste et un vomi jaune jaillit de sa bouche inondant son torse. Quelle odeur, Seigneur !
Il frissonnait. On l’aida à se relever, mais ne tenant pas droit sur les jambes, il s’assit livide sur l’unique chaise du local, attendant le 900 qui avait été alerté.
Je me dis, sans chauffeur, on va être bloqué ici avec la Rolls. Il faudra prévenir l’Ambassade, afin qu’elle envoie un autre chauffeur pour continuer cette journée de vacances à la mer, tandis qu’Alisha sera transporté dans une clinique proche ou obligé de rentrer à Bruxelles en ambulance. Zut, zut, et rezut !
Yagi restait silencieux. Il commanda un jus d’orange et un verre avec une paille.
Il ne demanda pas si je voulais boire quelque chose. Ma bouche était sèche.
– Tu devrais téléphoner à ta mère pour expliquer notre situation.
– Attendons de voir si Alisha a un simple malaise qui va passer, ou bien si c’est plus grave et qu’il est emmené en clinique pour des examens. Il y a d’autres voitures à l’Ambassade. Si ma mère ne peut venir, elle nous enverra une voiture avec deux serviteurs sachant conduire. Le premier restera avec nous, continuera notre excursion en pilotant la Rolls, et l’autre rentrera dans la seconde voiture à Bruxelles avec ou sans Alisha. Restons calmes.
Henri de Meeûs (à suivre)
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mar.
04
août
2020
Le virus suite au déconfinement trop rapide, est revenu, plus vite que prévu. On avait annoncé après la gripette de mars, des vaguelettes pour juillet. Il semble que c’est la seconde vague qui arrive, avec de nombreux contaminés en Flandre et à Anvers, et sans doute à Bruxelles. Ce sont les jeunes entre 20 et 40 ans qui sont touchés cette fois. Trop de liberté d’un coup nous replonge dans la situation du confinement de début mars : à nouveau les masques plus nombreux dans les rues, exigés dans les quartiers commerciaux ; dans les magasins, les commerçants sont obligés de le porter du matin au soir sous peine d’amendes, ou de la fermeture de leur négoce par la police.
Jours terribles où les indépendants calculent leurs derniers sous, et la manière de garder leurs clients devenus rares.
Dans certaines communes, de plus en plus nombreuses, le masque doit être porté dès la sortie du domicile, dehors, dans l’espace public. Dans les cafés, les restaurants, si certaines terrasses ont du monde, à l’intérieur, souvent, les tables sont séparées par de hautes cloisons transparentes en plexiglas. Il y a moins de monde à l’intérieur sauf le vendredi et samedi soir et dans ce cas, les distances entre les personnes ne sont plus guère respectées.
Vous devez entrer masqué dans le restaurant. Une fois assis, vous ôtez votre masque pour ouvrir la bouche et mastiquer le repas délicieux que le serveur masqué vous apporte. Il y a moins de serveurs. On espère qu’ils ne perdront pas leur emploi. Il faut remettre le masque pour gagner les lavatory au sous-sol.
Il y a quelque chose d’incohérent dans toutes ces mesures de prudence vu que le virus flotte dans l’air comme on commence enfin à le dire.
Je remarque l’étonnant silence des autorités ecclésiastiques qui semblent ne pas assister leurs ouailles. Peu d’empathie apparente. Pas de lettres pastorales, pas de déclarations d’évêques ou du cardinal pour remonter le moral et conseiller les secours spirituels face à la calamité. Le confinement a transformé les églises en désert. Et le déconfinement exige le respect des « gestes barrières » dans les lieux du culte. Chacun garde ses distances.
Beaucoup s’en vont en voyage, se mêlent à des groupes dans les aéroports et sur les plages, se fondent dans la masse des touristes, et ne craignent pas les contaminations ou sont inconscients. Beaucoup, victimes d’annulations de leurs réservations avion, bateau, ne sont pas contents et cherchent par tous moyens de récupérer les provisions versées aux agences de voyage ou aux sociétés d’aviation et de train, ou car. Leur cher argent !
L’erreur magistrale est d’avoir permis un déconfinement trop rapide en ne fermant pas les frontières ; on transporte le virus tout azimut. Certaines communautés allochtones trop resserrées sont contaminées, peut-être victimes d’une communication qui ne les atteint pas. Ces personnes récemment arrivées en Belgique ont de fort liens familiaux avec leurs nationaux. C’est à leur tour cette fois d’être atteints par le virus.
A l’occasion de réjouissances familiales ou religieuses ? Les experts semblent le dire.
Le sourire a disparu derrière ces masques si laids. On se parle vite sans s’entendre. On est stressé dans la file d’attente du magasin, on ne serre plus les mains, on craint les postillons, et les gouttelettes de sueur répandues par les joggers qui vous frôlent, sans compter les nombreux cyclistes casqués, masqués (époux, enfants), à la queue-leu-leu, ou qui roulent de front dans la rue.
Je ne suis plus entré dans une librairie depuis six mois. La lecture n’est pas une vraie détente. Je préfère voir des films où l’imagination, transportée dans un autre monde, une autre ville, un autre peuple, un autre pays, détend votre esprit avec plus de succès que la lecture d’un livre.
S’il n’y a que 0,40 % de contaminés depuis 6 mois dans la population de ma commune, pourquoi nous terrorise-t-on en annonçant les pires présages chaque jour ? Il y a une tension entre les politiques et les spécialistes des virus, qui ne parviennent pas à ajuster leurs discours sur la même longueur d’onde.
Les virus sont comme les nazis. Il est difficile de leur échapper. Ils sont partout. On vit une guerre silencieuse.
Avec la remontée du virus et du chiffre des hospitalisés, le partage d’un déjeuner au restaurant avec une personne aimée est de moins en moins une fête. L’être aimé s’il n’est pas contaminé, ne vous accompagnera pas aux soins intensifs pour les derniers adieux. On le lui interdira.
Les pauvres dans les pandémies sont des héros. Ils accomplissent des actes que les riches refusent : par exemple, prendre le bus ou le métro.
Dans la boulangerie, j’entre masqué. La vendeuse, vu la chaleur de plus de 30 ° à l’extérieur, et qu’il n’y a pas d’autre client, s’est débarrassée de son masque et me sert.
Je me permets de lui rappeler les règles en vigueur : Tout le monde masqué dans les magasins y compris la patronne. Elle remet vite son masque. J’ai l’impression d’être le salaud de service.
P.S m’envoie son remarquable Journal de la Peste, récit des 5 premiers mois de la Calamité. Je suis d’accord sur presque tout ce qu’il écrit. Nous avons le même âge. La musique et la littérature ont nourri nos vies. Montherlant reste pour lui comme pour moi un grand maître. Comme moi, il ne l’a pas renié. Il aime Thomas Bernhard et moi aussi. Il est bien agréable de lire son livre dans ces temps affreux. Cet homme est bon.
Finies les invitations et les fêtes, les concerts dans les salles remplies, les théâtres du soir, les mariages où cinq cents personnes se pressent. Même les funérailles sont célébrées courtement dans la plus stricte intimité, « vu les circonstances ».
Les êtres humains, si cette épidémie continue encore des mois, comme l’annonce l’Organisation Mondiale de la Santé, finiront par ne plus se parler et peut-être se détester.
Attendre l’arrivée du vaccin pour commencer de nouvelles danses ?
L’Enfer, un confinement éternel ?
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Vu que ce virus n’a pas quitté le champ de bataille, et que les morts augmentent chaque jour, pourquoi ne pas poser la question : Dieu punirait-il nos dérapages et autres turpitudes, et notre adoration de l’argent ?
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Quelques conseils lus sur le Net pour éviter de devenir cinglé :
Pensez à vous
Les problèmes de santé mentale sont fréquents. Voici quelques conseils pour lutter contre le stress et vous sentir mieux
Prenez du recul. Respirez. Méditez
Échangez avec vos proches
Gardez un mode de vie sain
À faire :
· Levez-vous et couchez-vous à des heures régulières tous les jours.
· Prenez soin de votre hygiène personnelle.
· Mangez sainement et à heure fixe.
· Faites de l’exercice régulièrement. Trois à quatre minutes d’activité physique légère, comme de la marche ou des étirements, peuvent être bénéfiques.
· Prévoyez du temps pour travailler et du temps pour vous reposer.
· Consacrez du temps aux choses que vous aimez faire.
· Éloignez-vous régulièrement des écrans.
À éviter :
· Ne consommez pas d’alcool ou de drogue pour lutter contre la peur, l’anxiété, l’ennui ou l’isolement.
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Nulle part, on ne cite un médicament qui est conseillé pour affronter la maladie. Mystère. On ne parle plus de la chloroquine du professer Raoult. Pourquoi ?
Grâce à quels miracles guérissent ceux qui sortent des hôpitaux ?
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PROTESTATION
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(Avertissement : PROTESTATION est un récit imaginaire d’Henri de Meeûs, publié dans les Carnets de ce site littéraire, soit : 1ère partie : Carnets janvier 2020 ; 2ème partie : Carnets février 2020 ; 3ème partie : Carnets mars 2020 ; 4ème partie : juin 2020).
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Je me détendais dans l’eau bleuâtre du grand bassin, ma sueur épicée bue par les vaguelettes. Je flottais sur le dos, bras et jambes écartés dans cette tiédeur exquise qui venait et revenait sur ma peau, des ongles des pieds à mes cheveux courts.
Il y eut un coup frappé à la porte. C’était l’Ambassadrice : « Daniel, on vous attend au salon pour manger la petite glace. Allez-vous bien ? ».
Je répondis : « Oui, oui, mais je suis fatigué, je vais me coucher, je dois me reposer ». Elle ne répondit pas et j’entendis les claquements des hauts talons s’éloigner sur le dallage qui menait au grand escalier.
Yagi n’avait pas accompagné sa mère. Si j’avais eu un malaise seul à l’étage ? Qui m’aurait secouru ?
Je sortis du bain, me séchai, gagnai ma chambre pour me mettre au lit après avoir réglé le réveil criard sur 7 heures, et m’endormis d’un coup.
Je fus réveillé par le soleil. J’avais oublié de fermer les tentures.
Courte toilette. Revêtu d’un long pantalon en toile beige, d’un polo rouge et de sandales, je descendis au rez-de-chaussée, entrai dans la salle-à-manger pour le petit déjeuner.
L’Ambassadeur était là, assis, habillé d’un costume bleu sombre, d’une chemise blanche et d’une cravate de soie noire. Il dégustait des corn-flakes dans une assiette à soupe remplie de lait chaud. J’aimais son air distingué et sa gentillesse.
Une jeune domestique en sari de couleur verte assurait le service ; elle avait disposé sur la nappe de couleur rose, à fleurs ressemblant à des pavots, deux petits paniers pour les brioches et les croissants. Une grande théière entourée de tasses en porcelaine était déposée sur un plateau en argent.
En s’inclinant, la domestique versa le darjeeling brûlant dans nos deux tasses puis nous présenta des confitures colorées pour les toasts de l’Ambassadeur et les deux croissants que j’avais choisis.
« Etes-vous en meilleure forme que hier soir ? », dit l’Ambassadeur. « Vous n’êtes pas un habitué de plats trop épicés, vous l’avez mal supporté, excusez-nous. Nous veillerons à vous nourrir plus à l’occidentale à l’avenir. »
Il rit en essuyant sa moustache où s’égouttait un peu de lait.
« Je vous conseille cette délicieuse confiture d’orange pour un toast. En voulez-vous ? » La domestique s’empressa de me l’apporter sur une petite assiette. L’Ambassadeur me regardait. J’aurais voulu lui dire :
« Je n’ai jamais connu mon père mort à Hambourg détruite par les bombes, la nuit du 27 au 28 juillet 1943 quand ma mère enceinte de moi, se sauva dans une fuite digne de son titre de championne olympique du 1.500 mètres. Mon père n’était pas sorti de l’immeuble. Dormait-il encore ?
Ma mère me raconta tout. Le quatrième raid de l’aviation anglaise fut de loin le plus meurtrier. Planifié afin de maximiser les victimes et les dégâts matériels, il a d'abord touché le centre-ville afin d'y attirer les pompiers, puis les quartiers périphériques (où résidaient mes père et mère), au moyen de bombes incendiaires. La chaleur extrême dégagée par les incendies créa un phénomène appelé Feuersturm (tempête de feu). Un souffle puissant mélangeant air et gaz inflammables propagea l'incendie sur 21 km2 de la ville.
On estime que la tornade de feu avait atteint une vitesse de 240 km/h et une température de 800 degrés, consommant par endroits l'essentiel de l'oxygène de l'air. Des dizaines de milliers d'habitants furent tués, brûlés ou asphyxiés, y compris dans les abris anti-aériens.
On m’a posé souvent la question si la mort de mon père m‘avait fait souffrir. En réalité, ne l’ayant jamais connu, sauf par une petite photo où on le voit à trente ans, assis torse nu sur des ballots de paille tout en haut d’une grande charrette devant la ferme familiale, je n’étais pas en manque de paternel. Ma mère me suffisait. Elle m’aimait sans m’étouffer.
Mon père avait une mère allemande, (grand-mère Lola comme on la désignait), propriétaire d’une ferme dans les environs d’Hambourg, entourée de vergers dans l’Altes Land, la grande région de culture d’arbres fruitiers avec ses vieilles fermes bâties par des Vikings au Moyen-Age. Mes grands-parents riches cultivateurs habitaient et exploitaient une de ces fermes. Mon père n’était pas intéressé par les travaux agricoles et avait étudié la comptabilité qu’il pratiquait avant la guerre à Hambourg dans un bureau privé au rez-de-chaussée d’une haute maison, dans laquelle au deuxième étage, il s’était installé avec ma mère. En juillet 1943, ma mère était enceinte et eut la force de s’extraire de la ville en feu, sauvant ma vie.
La guerre tua mon père et ruina ma famille paternelle qui détestait les nazis.
Maman, sans un sous, rentra en Belgique où elle avait vécu avant son mariage, me plaça dans un logis d’accueil, comme je l’ai écrit au début de mon récit, avant de me récupérer, sans vouloir jamais plus fréquenter les survivants de la famille allemande. Elle a toujours gardé le silence sur cette période où elle s’était séparée de moi et fut obligée de gagner sa vie.
– Vous pensez à quoi ? » dit l’Ambassadeur. « Vous rêvez, vous êtes triste ? »
– Monsieur, dis-je, je suis encore sous le coup du décès en juillet de ma mère en Hollande. Je n’ai jamais connu mon père mort en 1943 sous les bombes à Hambourg. Je n’ai plus aucune famille. Ni du côté maternel ni du côté de mon père. Je suis orphelin. Seul, seul, seul. Cela me fait peur. La rentrée des classes a lieu au Collège St Michel dans quelques jours. Que vais-je devenir ? Je voudrais vous parler plus longuement de mon avenir quand vous aurez un peu de temps à me consacrer. »
–Très cher Daniel, je m’occupe de vous, faites-moi confiance. Je suis en pourparlers avec le Notaire Jean Leblanc, un ami, qui va régler la succession de votre mère et vous permettre de quitter l’appartement de Schaerbeek pour vous installer à l’Ambassade durant vos années d’études à Saint-Michel. Vous êtes accueilli par ma famille, vous êtes l’ami de Yagi qui m’a encouragé à vous recevoir chez nous. Consacrez-vous d’abord à vos études. C’est l’essentiel.
Le Notaire ou moi, nous serons désignés par le Juge comme votre tuteur pour tout officialiser. Le Bourgmestre de Woluwe St Pierre a donné son accord aussi de vous domicilier à l’Ambassade. »
Il ajouta : « Ne trouvez-vous pas que le séjour de Yagi en Inde chez mon beau-père fut trop long ? Vous ne vous êtes pas beaucoup amusé ces derniers jours en attendant Yagi. Je suis désolé, je n’ai pas eu le temps de m’occuper de vous distraire. Mais le conflit Inde-Pakistan au sujet des frontières risque de s’aggraver et je suis content que Yagi soit rentré à temps avant qu’une guerre n’éclate. Tout est possible. »
Je me taisais.
Il continua : « Figurez-vous que mon beau-père voudrait léguer son palais à mon fils ! Mais Yagi est beaucoup trop jeune pour se charger de responsabilités de maharadjah même si cette caste a perdu, hélas, beaucoup de ses pouvoirs dans les provinces qu’ils dirigeaient. Ils sont devenus des conseillers intermédiaires entre le gouvernement et les populations. C’est ingrat… »
Il se tut.
Je regardais avec attention son visage, ses yeux et son sourire d’homme bon, doux intelligent, et qui aimait rire.
Il se leva après avoir essuyé sa bouche moustachue avec la petite serviette que lui tendait la domestique en sari vert, et dit : « A ce soir Daniel, ne vous tracassez pas pour votre avenir. »
« Vous avez tout ce qu’il vous faut ? » L’Ambassadrice entrait dans la salle à manger suivie de Yagi. Cette fois, elle ne me parla qu’en anglais : « Mon mari est parti pour d’importantes discussions à l’Ambassade du Pakistan. Il reviendra ce soir. Avec l’accord de Yagi, après le petit déjeuner, le chauffeur vous conduira tous les deux à Knokke-le-Zoute pour profiter de la douceur de cette fin août, et vous pourrez vous baigner tous les deux dans la mer. Ma seule exigence, et je le dirai au chauffeur, vous devez être rentrés à Bruxelles au plus tard à 20 heures. J’ai fait préparer pour vous, Daniel, une petite valise avec une serviette, un slip de bain et un pull-over afin de ne pas vous refroidir après la baignade. Il y a des cabines sur la plage. Yagi en louera une pour votre après-midi. Vous pourrez déjeuner vers 13 heures face à la mer dans un des nombreux petits restaurants sur la digue. Yagi a reçu de l’argent.
J’espère que vous vous amuserez bien tous les deux. Il ne faudra pas vous occuper du chauffeur qui est responsable de la Rolls et vous reprendra à un point de rassemblement et à l’heure que vous fixerez avec lui avant de vous éloigner de la Rolls. C’est bien compris ? Daniel, Yagi je vous fais confiance. Ne me donnez pas de mauvaises émotions. »
Et ils s’installèrent autour de la table à nappe rose pour manger les croissants et les confitures servis par la jeune domestique en sari vert.
(A suivre)
Henri de Meeûs
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lun.
06
juil.
2020
PROTESTATION
(suite 4ème partie)
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(Avertissement : PROTESTATION est un récit imaginaire d’Henri de Meeûs, publié dans les Carnets de ce site littéraire, soit : 1ère partie : Carnets janvier 2020 ; 2ème partie : Carnets février 2020 ; 3ème partie : Carnets mars 2020.)
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J’arrivais au bout de mes peines. Yagi rentre ce soir. Atterrissage de l’avion à Zaventem à 18 heures. Le chauffeur au turban ira le chercher avec la Rolls blanche. J’étais nerveux. L’ambassadrice avait prévenu, nous nous mettrons à table quand Yagi sera rentré, peu importe si l’avion a du retard.
Son mari avait répondu en me regardant : « Le fils chéri passe avant l’époux, ma femme est tellement contente. »
Ils riaient. Mon sourire était forcé. Yagi supportera-t-il ma présence au milieu des siens ?
Je n’en voulais pas aux parents de Yagi de m’avoir accueilli à l’Ambassade de l’ Inde à Bruxelles, depuis la mi-août, alors que mon ami, leur fils, chassait le tigre chez son grand-père en bordure de l’Himalaya.
Ce furent de longues heures de solitude, dans ma chambre ou dans le jardin fleuri. Je ne parlais pas au personnel qui ne comprenait pas un mot de français. Je ne lisais aucun livre. Comme distraction, je regardais la télévision. Pour prendre l’air, je marchais pieds nus dans les pelouses autour du bassin des carpes. Je m’asseyais sur le banc de pierres bleues et je trempais les pieds dans l’eau pour sentir les gros poissons me caresser.
Les paons faisaient la roue, joyeux de me voir.
Chaque jour, je déjeunais seul à 12h30 dans l’office à côté de la grande salle à manger. Ni l’Ambassadeur ni son épouse ne partageaient avec moi le repas de midi ou du soir, toujours en représentations diplomatiques dans la capitale de l’Europe, cocktails, dîners, blabla, blablablas, et sourires à crisper les joues.
Une petite servante noiraude me servait, muette et souriante. La nourriture indienne, c’est bon, mais on s’en lasse vite. Et seul, j’avais peu d’appétit.
J’attendais avec impatience le retour de mon ami qui m’avait laissé sans nouvelles, qui ne demandait pas à sa mère, quand ils se téléphonaient, de me confier le cornet pour me dire quelques mots.
J’avais perdu toute envie d’escapade. Je manquais d’argent pour des achats dans les magasins ; l’Ambassadeur m’avait déconseillé, après mon unique échappée d’un soir, toute sortie de l’enceinte, sous prétexte qu’il était responsable de moi vis-à-vis de la Commune de Schaerbeek jusqu’à la rentrée des classes.
L’Ambassade était entourée de hautes grilles. Un policier montait la garde le jour et la nuit.
La Belgique autrefois paisible devenait un Etat où la liberté rétrécissait. On craignait les attentats, les manifestations populaires, et les cortèges d’écologistes obsédés par le réchauffement climatique.
En Belgique, le gouvernement était faible. Les partis se battaient pour les places, sans trouver d’accord pour réunir une majorité sur le long terme.
Internationalement, une tension s’exacerbait entre la Chine et l’Inde. La Bourse était mauvaise. La télévision chaque soir regardée seul dans le petit bureau me donnait des nouvelles du monde. Je m’ennuyais de plus en plus.
Quitter mes hôtes, sans revoir Yagi, rentrer à Schaerbeek dans la chambre que ma mère avait louée, mais au loyer payé maintenant par l’Ambassadeur, c’était la brouille assurée, un affront pour ceux qui m’avaient accueilli, et la certitude d’être sans secours. Je n’avais aucune idée de mon avenir, j’espérais continuer mes études au collège Saint-Michel, commencer les humanités gréco-latines, mais les maigres économies de ma mère placées à la banque du Crédit Communal ne me permettraient pas de tenir longtemps. Sans doute, devrais-je être protégé par un tuteur ? Je n’avais plus de famille. Je voulais parler de tout cela à Yagi vu que son père ne semblait pas se soucier de mes problèmes matériels. Il fallait que je m’occupe de mon sort après avoir réglé la succession de ma mère. Et je n’y connaissais rien.
A vingt-heures, on entendit la Rolls qui rentrait et les portières qui claquaient.
Je vis au travers des rideaux du salon deux servantes, affairées autour de la voiture, se saisir des valises et des sacs du fils bien aimé, en long pantalon blanc et polo bleu ciel, qui avait attendu que le chauffeur en turban lui ouvre la portière.
« Yagi est là », criais-je.
Le père et la mère souriaient, ne disaient rien, assis dans leur fauteuil, regardant droit devant eux et moi toujours immobile, je guettais la porte du salon qui allait s’ouvrir devant mon ami.
J’entendis la voix de Yagi, il interpellait un domestique.
D’un bond, il fut avec nous, baisa la main de son père toujours assis, puis entourant de ses bras les épaules maternelles, s’abandonna à elle qui s’était levée couvrant de baisers le visage de son fils. Je ne comprenais pas les mots d’amour qu’ils se disaient. Enfin, il s’écarta d’elle, vint vers moi et me tendit la main en disant : « Excuse-moi de t’avoir laissé sans nouvelles, le temps passe si vite, mes parents t’ont expliqué mon séjour chez le père de maman. J’ai beaucoup pensé à toi et à la mort de ta mère en Hollande. C’est trop affreux. » Je bredouillai oui, oui, puis me tus, les écoutant parler sans comprendre le premier mot. Ils riaient. Moi, non. Crispé intérieurement, avec un sourire figé, je les observais.
On apporta des rafraîchissement sur un large plat d’argent : verres de grenadine à l’eau, jus de pêches, biscuits au chocolat, thé darjeeling, et un whisky pour l’Ambassadeur.
Yagi assis à mes côtés sur le petit canapé rouge, était chic comme toujours. Son visage, où poussaient quelques petits poils sur les joues, était éclairé par des yeux d’un bleu profond, presque noir. Il me regardait rapidement comme s’il avait besoin de retrouver mon image.
J’étais en short , jambes nues, les pieds dans des sandales de cuir ; sur mon dos, une chemisette échancrée à carreaux bleus et blancs.
Dans la grande salle à manger où nous entrâmes, sur la table recouverte d’une longue nappe blanche, avaient été déposés trois plateaux contenant ce qu’aimait Yagi.
L’Ambassadrice choisit pour moi un blanc de poulet Biryani. Yagi, agitant les bras, penché vers moi, entonna en français un petit chant : « Un plat de poulet biryani est appréciéééé pour son onctuooositéééé, sucrées-saléééées et ses différentes saveurs … cannelle ! fenouil ! cardamome ! gingembre ! » Et surtout dit-il en me pinçant l’oreille droite : « Ne pas oublier oignons, tomate, curcuma, cumin en poudre, citron, noix de cajou et un yaourt. Le poulet Biryani est servi avec du riz basmatiiii. Ouf ! » Et il s’assit en riant, me prenant par les épaules et me serrant contre lui.
« Mon fils est un clown », dit l’Ambassadeur.
L’Ambassadrice remplit mon assiette.
«Yagi est un expert de la cuisine indienne. J’espère que vous avez faim » me dit-elle.
Yagi lui tendit son assiette : « La même chose pour moi.»
L’Ambassadeur préféra se servir une portion de Chicken tikka masala qui, m’expliqua-t-il, est un des plats indiens les plus populaires. Yagi se leva de nouveau et dit à voix très haute, aigüe, en détachant les syllabes : « Servi avec du riz basmati et du blanc de poulet, la sauce doit être concoctée avec douceur et patience puisqu'elle contient de nombreux ingrédients : cardamome, cannelle, oignons, gingembre, ail, cumin, curcuma, piment, paprika et d'autres épices indiennes. Du yaourt ou du lait de coco ainsi que du coulis de tomate doivent être ajoutés à cette préparation pour un Chicken tikka masala parfait. Je suis parfait, n’est-ce pas ? »
« Tes explications ennuient ton ami », dit sa mère.
« Mais non, pas du tout, Madame, répondis-je, je suis étonné de tout ce qu’il sait, il ne m’a jamais dit qu’il s’y connaissait en recettes de cuisine. »
Yagi se mit à rire, une main devant la bouche et se rassit.
Pourquoi avait-il débité, de mémoire, la compositions de plats de son pays ? A côté de lui, je ne connaissais pas grand-chose à la cuisine belge.
Ma mère ne cherchait pas les complications : des pâtes ou une pizza, le plus souvent, suffisaient. Nous étions des pauvres.
L’Ambassadeur et l’Ambassadrice étaient assis côte à côte et Yagi et moi, nous leur faisions face.
Les parents de mon ami étaient beaux et Yagi avait beaucoup de chance d’être leur fils. Je n’étais pas jaloux. Je me chauffais le cœur à proximité de ces êtres pour moi presque divins.
Intelligence, argent, beauté, ils étaient privilégiés. Mes pauvres parents avaient combattu toute leur vie pour un très maigre résultat ; et leur mort précoce fut un raté magistral car ils me laissaient seuls aux prises avec tant de difficultés.
Qui me protègera, qui m’aimera ?
Tandis que L’Ambassadeur servait un vin rouge sombre, un délicieux cabernet Shiraz Grover, un domestique habillé d’une longue tunique rouge à manches longues et d’un pantalon blanc apporta sur une assiette d’argent des pakoras qui sont des beignets de légumes. Il est possible de faire des pakoras avec des aubergines, des courgettes, et des pommes de terre. Il n’y a pas d’épices.
Mon visage est en sueur. Des gouttelettes de transpiration descendent de la racine des cheveux jusqu’au menton, tombent dans le cou, inondent le dos et le ventre.
J’avais bu trois verres sans pouvoir calmer le feu des épices.
L’Ambassadeur dit : « Cela suffit maintenant, car il ne faut pas vous enivrer. »
Yagi avait eu droit à un unique verre.
L’Ambassadrice demanda qu’on aille chercher une serviette à l’office pour essuyer ma transpiration. « Otez votre polo, Daniel, vous suez trop ! »
Je me levai de table et une petite servante sécha mon torse nu. On finit par m’allonger sur le canapé du salon pour que je puisse récupérer. La tête tournait. « Vous n’avez pas l’habitude, disait l’Ambassadeur. Nos plats sont toujours très « chaleureux », mais c’est une nécessité pour nous car la cuisine occidentale est fade. »
Yagi ne disait rien, je ne voulais pas le regarder, il devait me trouver ridicule.
« Le mieux serait, Daniel, que vous montiez vous rafraîchir, une douche dans la salle de bains, et changez de vêtements, conseilla l’Ambassadrice. Vous reviendrez dans une demi-heure. En attendant, mon mari et moi, nous écouterons Yagi raconter ses souvenirs de vacances. Nous mangerons une glace à la pistache pour le dessert quand vous reviendrez. »
Je compris qu’il était inutile de demeurer avec eux ; je quittai le canapé et regagnai lentement ma chambre par l’escalier de service.
Je pleurais intérieurement, je me sentais mal. Le vin et les plats épicés étaient trop relevés pour moi. Ils ont voulu fêter le retour de Yagi avec une nourriture qu’il aimait.
Mon ami n’avait pas exprimé beaucoup de joie à me revoir. C’est ce que je craignais.
Son silence durant le séjour chez son grand-père. Pas une conversation téléphonique entre lui et moi depuis le début des vacances !
Orphelin sans parents ni cousins ni amis, qu’allais-je devenir ? Il était temps de parler à l’Ambassadeur, de lui exprimer mon inquiétude.
Je me résolus à me baigner dans l’eau tiède de la salle de bain qui séparait ma chambre de celle de Yagi. Reprendre mes esprits. Refroidir cette chaleur qui enflammait ma tête. Je fermais les yeux, flottant bras écartés dans le bassin bleuté. J’étais seul. J’avais pris soin de fermer la porte à clé pour avoir la paix. Je plongeai la tête sous l’eau, puis tout mon corps, afin de tempérer le feu qui m’avait allumé.
A Zandvoort, j’ignorais tout de la nage au risque de me noyer dans les vagues.
Ici les jours d’attente à ne rien faire m’avaient donné l’occasion de nager seul chaque jour dans la pièce d’eau aux robinets d’or.
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(A suivre)
Retour sur la pandémie de mars 2020
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La Belgique, un des pays champions du monde de la surmortalité, (soit le nombre de morts par cent mille habitants), reprend souffle. Il n’y a plus, fin juin-début juillet, chaque jour, que 85 nouveaux contaminés et 9 décès. Certains virologues-infectiologues annoncent la probabilité d’un rebond après les vacances et l’apparition des malades dans la catégorie des jeunes de 2 à 12 ans (vu les nombreuses écoles qu’on a rouvertes) et des adultes de 30 à 40 ans, qui n’ont pas respecté les « gestes-barrière », les « mesures de distanciation » durant leurs vacances et voyages.
C’est de leur faute, disent-les virologues, ils font la fête, se serrent les uns contre les autres, ne se protègent plus avec un masque. Mais s’asseoir deux ou trois heures dans un avion, être assis dans un métro, un tram, un autobus, collé à un voisin, est-ce la faute du futur contaminé ?
Les restaurants ne démarrent pas ou très lentement. Les gens se méfient. Voir les serveurs masqués qui transpirent en vous servant, vous engage à ne pas revenir.
Penser que les chefs dans leur cuisine surchauffée portent un masque, est une illusion. Pauvres gens, pauvres esclaves !
J’ai renoncé à porter un masque au cours de mes promenades avec Lola dans le Parc de Woluwe en semaine, soit le matin soit l’après-midi, car il y a très peu de monde, et donc peu de risque d’être frappé par les « gouttelettes » des piétons, coureurs de jogging, cyclistes, vieillards accrochés l’un à l’autre.
Mais le samedi et le dimanche en cas de soleil, attention danger ! Car le parc est rempli d’adultes, d’enfants, jouant, se poursuivant, sans masques, s’embrassant jeunes et vieux dans les rires et les cris, insensibles aux menaces des virologues.
Bouger est essentiel. Il est nocif de respirer avec un masque qui coupe le souffle, fait transpirer, accélère vos pulsations cardiaques et la buée sur les verres de lunettes.
En outre, c’est une grande fumisterie ces masques ! Agé de plus de 65 ans, j’ai reçu, de ma commune de Woluwe St Pierre, un seul et unique de couleur noire pour affronter le virus. Un seul masque ! C’est grotesque. Un cadeau de deuil.
Les millions de masques commandés par l’armée belge furent livrés fin mai-début juin quand le virus se calmait, mais ces masques ne répondaient pas aux critères de sécurité tels qu’exigés dans la commande de l’Armée. Le peuple belge rigole. Qui sera puni, poursuivi, car les masques sont non conformes et iront dans les poubelles ? Personne sans doute. Payera-t-on la facture du fabricant- vendeur de ces millions de masques ? Le dossier devenu politique à toutes les chances d’être classé sans suite. Ni coupable, ni responsable, comme souvent en Belgique.
La population devient hystérique malgré le déconfinement peu réussi : ce ne sont que cris et fureurs à propos de racisme, de féminisme, de sexisme, d’écologie, d’actes de vandalisme sur les statues des rois Léopold II et Baudouin Ier. On veut débaptiser des rues. Des analphabètes donnent des cours d’histoire. La haine monte. Les valeurs anciennes sont ridiculisées. Qui viendra calmer le jeu ? Un second virus peut-être plus violent encore, de Chine ou d’ailleurs, et tout le monde sera à nouveau confiné dans la terreur.
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jeu.
28
mai
2020
La pandémie quitte l’Europe si on lit les courbes graphiques des contaminés, des soins intensifs et des décès. Tant mieux. Soulagement. Finie la terreur de chaque jour. Finies les obsessions des gestes préventifs, de distanciation, de lavages compulsifs des mains avec des gels à base d’alcool, de se moucher dans le creux de l’épaule ou dans des mouchoirs en papier, de porter un masque derrière lequel on respire difficilement – (de toutes tailles et de toutes couleurs, en rupture de stock pendant le premier mois du confinement par la faute des hauts responsables politico-sanitaires jamais coupables) – finies les consultations données chaque jour devant les télévisions hagardes par des soi-disant spécialistes trop jeunes, ignorant tout du virus, mais heureux d’apparaître, on parlera d’eux, de leur mine contrite ou de leurs sourires niais, jamais convaincants, lecteurs de statistiques qui accumulent les morts, distinguant les pauvres décédés dans les maisons pour vieillards et les défunts dans les cliniques de La Guerre des Mondes, avec les entubages par des araignées aux longs bras qui entrent dans les poumons pour apporter le dernier bol d’air des condamnés à mort.
Les Médias photographient les corps nus à peine revêtus d’un drap, leur lit encadré par des machines de science-fiction et servis par des hommes et des femmes habillés en astronautes. La mort solitaire dans un film de terreur.
Plus de 5.000 morts dans nos hôpitaux si modernes, si en pointe dans la recherche, la meilleure médecine au monde disaient les docteurs et doctoresses belges ! Et plus de 5.000 morts encore, dans les maisons des horreurs dénommées « séniories » où les médecins responsables n’ont ni le temps, ni l’organisation pour envoyer leurs malades âgés vers les hôpitaux, ceux-là obsédés de garder des lits destinés à d’autres malades plus jeunes qu’il faudra sauver d’abord.
On a compris qu’à partir de 65 ans, la créature humaine ne compte plus pour grand-chose : elle est « à risques », vous comprenez ? En cas de débordement dans les arrivées des malades, il faudra trier à l’entrée de la clinique et réserver les respirateurs et autres techniques sophistiquées aux jeunes, car on annonce des centaines de milliers de morts, ont crié dès le début de l’épidémie, certains spécialistes Infectiologues, virologues, dont les prévisions étaient relayées jour et nuit par des médias aux pages, aux écrans, nourris d’angoisses multiples.
C’est le fait d’avoir cru à ces oiseaux de malheur au début de l’épidémie qui a paniqué les politiciens ignorant tout du dossier épidémie, qui faisaient confiance aux spécialistes. Ils ont appliqué le principe de précaution tardivement à propos des masques, du gel, des respirateurs, tous manquants ou trop insuffisants encore en mars, ils ont voulu ne plus faire d’erreur, ils ont mobilisé tous les hôpitaux, dégagé les espaces réservés aux services soignant d’autres maladies, pour prévoir assez de lits de soins intensifs où allonger les victimes du Covid-19. Des lits ! Des lits ! D’abord et avant tout ! Que les agonisants ne s’entassent pas dans les couloirs !
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Je lis dans L’Echo de la Bourse du 23 mai :
« Nos sociétés occidentales semblent avoir oublié l’existence des maladies infectieuses pandémiques. (…) L’évolution de la médecine, de l’enseignement et de la recherche en portent la marque. L’infectiologie, la virologie, l’épidémiologie ne rencontreraient pas l’adhésion nécessaire. L’infectiologie est une sous-spécialité de la médecine interne, elle-même une des filières les moins prisées. Les meilleurs étudiants se détournent de ces spécialités moins rémunératrices requérant plus de présence et d’engagement, et préfèrent se tourner par exemple vers la radiologie. Cela expliquerait en partie notre déficit de réaction face à l’épidémie ou la pandémie.
(Professeur Olivier Faure, Historien de la santé)
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ODE AUX TREPASSES
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Qui verra le sourire de la dame quand
Sortie de l’ambulance feux allumés
Les infirmiers portent la civière
Ils sont quatre, il est minuit, les draps ont des ailes blanches
Le vent du soir est le vent de la maladie
Elle est si fatiguée
Ils ont téléphoné aux urgences
Elle est tombée dans la maison des vieux
Ne pouvant se relever
Du sang coulait de l’oreille gauche
Il a fallu la soutenir, titubante, Avez-vous mal ?
Elle ne disait rien
Elle n’avait pas vu les anges, ni ses chers chiens morts
Ses seuls chéris
Car les vieux des Mimosas sont gentils, jeux de cartes, parlottes,
Guetter la mieux habillée aux repas et celle qui rit jamais.
Ils l’ont embarquée dans l’ambulance et Mariette accompagne
On va à Saint Luc, c’est la clinique des contaminations
Elle a le covid-19, elle a entendu l’infirmier qui la croit sourde
Bon à mon âge, pas de chance, même si la vie n’est pas drôle
Vieillesse cauchemar, petits pas, peur de mourir, ou la chute.
A tous les repas les médicaments du Docteur.
La voilà dans un lit aux couvertures bleues
On l’a déshabillée, enfilé une chemise de nuit blanche qui touche ses orteils
Tout ira bien Madame, tout ira bien, on s’occupe de vous
Voici un masque à vous mettre sur le nez, la bouche
Attention aux élastiques
On croit que vous avez le Corona
Na na na
Je ne vois plus Mariette
Leur racontera l’expédition sirènes mugissantes
Passée à rouge sur l’avenue de Tervuren
Derrière les autos lentes
Bonsoir petite Madame a dit le docteur moustachu
En survêtement blanc,
Les médecins aiment bien l’uniforme
Qui fait peur et donne mauvaise mine
Stéthoscope autour du cou
Un serpent compte mes battements de cœur
Si j’en ai un
Vous avez de la fièvre, 38 degrés, quel est votre âge ?
J’ai quatre-vingt-deux ans dis-je dans un souffle
Il n’a pas entendu Il feuillette quelques papiers.
Il se lève, on l’appelle, d’autres entrées sans doute
Deux heures du matin
Qui va me soigner, regarder mon crâne fracturé
Je voudrais savoir
Mes enfants ne m’ont plus vue depuis le trente mars,
Un mois de confinement, concon,
Cela ne fait pas rire les vieux neu neu
Qui pense encore à sa maman ? c’est moi leur mère
Je suis malade.
Des gens passent dans ma chambre
Je ferme les yeux, j’ai froid et chaud dans la tête
Je suis une théière sous un chapeau de laine
Une grosse blonde m’a tendu un verre d’eau, j’ai bu, soif, soif.
Merci, j’ai dit, lui ai pris la main,
Elle a de beaux yeux de vache
Sont gentilles les vaches, des innocentes
Un autre lit à trois mètres du mien
On y dépose une dame plus jeune
Je crois qu’elle pleure
Trop de bruit, de monde,
On a saisi mon lit, on le pousse dans un long corridor
La salle des examens à trois heures du matin
On va radiographier votre crâne et vérifier si vous êtes contaminée
Il y a des cas de Covid dans votre home.
C’est une immense clinique aux mille couloirs
J’ai le tournis, je danse la valse au plafond
Si je perds pied comment retrouver mes bébés ?
J’ai trop chaud, je vais vomir, où est le docteur ?
Ma civière attend devant la porte grillagée des radiographies
On me fait une piqûre dans le bras.
Ma pauvre fille me dit un ange en saisissant ma main
Tu n’as pas ri beaucoup sur cette terre.
J’ai vu le soleil ce matin,
Mes chiens morts sont revenus.
Henri de Meeûs
Mai 2020
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mar.
28
avril
2020
J’admire le calme des Belges au milieu de cette pandémie. Ils sont résignés, obéissants à 95% aux consignes de distanciation, même si certaines familles avec parents et enfants déambulent groupés sur les trottoirs et arrivent face à vous l’isolé, le masqué, cherchant un espace pour ne pas s’y frotter, même si certains fanatiques de jogging s’époumonent dans les rues et les avenues, au risque de vous asperger de leurs gouttelettes à longue portée.
Les Belges ne crient pas, et hurlent encore moins. L’absurdité d’avoir 9 ministres de la santé, régionaux ou fédéraux, ne semblent pas les émouvoir, cela fait partie du folklore, on s’habitue, même si personne ne connait le nom de ces ministres, sauf celui de la célèbre Maggie De Block l’unique ministre fédérale, embrouillée dans le dossier des masques manquants, renvoyés avant l’épidémie parce que périmés et parce qu’ils occupaient de trop coûteux espaces de stockage. Plus on commande de masques à la Chine, plus on constate à la livraison, qu’ils sont défectueux et doivent être renvoyés à l’expéditeur. Bravo aux fonctionnaires acheteurs !
Peuple belge pacifique enterrant ses morts discrètement, annonçant que plus tard, une messe ou une cérémonie plus officielle seront prévues, « en raison des circonstances actuelles ».
La Belgique est victime de la densité de sa population. Trop de villages, trop de villes, serrées les unes contre les autres, en Flandre, dans le Limbourg et le Hainaut. Seules les provinces de Namur et de Luxembourg, aux larges espaces où les petits villages, dispersés entre les prairies, les bois, et les forêts, échappent à l’hécatombe.
Certains sont héroïques, les femmes surtout, à la recherche de nourriture dans les grands magasins, empoignant les caddies, traversant les rayons pour saisir ce qui nourrira leurs progénitures, comme ces oiseaux qui toute la journée picorent des insectes pour les rapporter au nid.
Honneur aux femmes clientes, honneur aux femmes vendeuses collées à leur caisse durant des heures, au début sans masque, tardivement protégées, souriant encore mais « une boule dans le ventre », honneur aux femmes jeunes et moins jeunes, emprisonnées volontaires dans les séniories avec les vieux et les vieilles.
Ô vous pauvres malades, créatures qui furent si belles jeunes, pimpantes, joyeuses, et maintenant isolées, plus seules que seules, sans l’espérance d’une visite, ni celle de revoir les enfants et les petits-enfants, prisonnières dans l’Enfer de Dante. Et toujours la perspective qui les hante, être déplacées vers l’hôpital, et y mourir dans les salles de tortures, les entubages, le curare, le coma prolongé trois semaines parfois, les cauchemars, les morts qui rôdent autour de votre lit.
Ils vous appellent, les morts : « Venez, venez, accompagnez-nous, notre train est là. »
Et les machines techniques à qui elles seront obligées de confier leur pauvre corps épuisé, et se laisser pénétrer par les anneaux de poulpes respirantes qui vous soufflent dans les poumons un air aseptisé.
Les vieux meurent comme des mouches, car pas testés à temps, contaminant leurs soignants, et ceux avec qui ils jouaient aux cartes ou à qui ils murmuraient toujours la même histoire qui ne faisait plus rire personne.
Des anges médecins et infirmiers les assistent, malades aussi, ayant décidé de ne pas les abandonner. Honneur à ces saints et à ces saintes, qui exposent leur vie au risque de la perdre, pour apporter aide et assistance aux vieillards oubliés que le Gouvernement n’a pas sauvés, préférant les hôpitaux aux maisons de retraite, de déments, d’handicapés. Qui oubliera les victimes ? Plus de 7.000 le 26 avril 2020.
Horreur, on est obligé de crier, c’est insupportable ce cauchemar qu’on retrouve au réveil chaque jour, depuis des semaines,!
Que d’êtres prêts à sacrifier leur vie pour d’autres. Le matin à 7 heures, je promène mon chien, profitant qu’il n’y a personne dehors. Un tram passe chaque jour, à la même heure, dans l’avenue. Je salue ce courageux conducteur qui commence sa journée et devra respirer tout le jour l’haleine de centaines de passagers, avec masques ou sans masque. Et il a une femme et des enfants, et il est payé mais pas beaucoup.
Admirables personnes dévouées à la société dans toutes les activités nécessaires à maintenir la vie, soyez remerciées et bénies. Ces personnes, si elles meurent, retrouveront le Christ dans l’infini de l’Amour, car « il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime. » (Jean, 13, 15).
Et Dieu dans tout cela ? Notre Père Créateur, maître des mondes visibles et invisibles, Pur Esprit, par qui tout provient, Amour infini, Puissance infinie, Justice infinie, est-ce Vous qui avez lancé cette pluie de virus sur la moitié de l’humanité ? Pour quelles raisons ? Etes-vous le semeur actif ou l’observateur passif qui contemple avec désolation le malheur de ses créatures ?
Voici ma réponse :
1°) Notre terre n’est pas encore le Royaume de Dieu. Le Notre Père, prière universelle des chrétiens, insiste bien sur la demande « Que Votre règne vienne ».
Dans les Evangiles, il est dit plusieurs fois : « Le Royaume de Dieu est proche. »
Proche veut dire qu’il va venir, qu’on l’attend, mais il n’est pas encore là.
Il y a donc une béance, une absence de Dieu, provisoire sans doute sur la Terre.
Mais le Royaume de Dieu est proche !
2°) Qui est le maître de cette Terre, de ce monde visible où les hommes et les femmes travaillent, font des petits, usent leur vie à gagner leur pain quotidien, vieillissent, tombent malades et meurent ?
Ces êtres humains sont aussi très intelligents, ont conquis les zones les plus reculées de la planète, se sont posés sur la Lune, ont mis au point les inventions les plus inouïes tant pour la défense de l’être humain que pour sa destruction.
Et qui organise cette vie de plus de 6 milliards d’êtres humains ? Si ce n’est pas Dieu dont le règne est attendu ? C’est le Démon (anagramme du mot Monde), c’est lui le Démon roi du monde, le roi du fric, de la jouissance, de la corruption, des maffias, des nazis, des fanatiques tueurs de chrétiens sur toute la planète, c’est lui l’auteur de tous les maux, c’est lui qui est derrière les attentats du 11 septembre comme c’est lui qui met en place les mécanismes de guerres épouvantables et meurtrières, c’est lui qui a inspiré la Shoa aux criminels allemands, c’est lui qui accompagne les mourants après les avoir soumis aux maladies les plus épouvantables, c’est lui qui agite les tremblements de terre, les tsunamis, les typhons, les éruptions volcaniques, et autres déluges, c’est lui qui invente les fusées de l’Apocalypse.
Le Démon est le pire ennemi de l’humanité. Derrière chaque agonisant, se cache le Démon qui ricane. Cette pluie de virus le remplit d’aise.
Mais c’est Dieu qui a le dernier mot, chaque fois, dans la Vie éternelle, dans l’infini de son Amour.
Dieu permet au Démon une action relative, mais pas complète. Il tolère certaines de ses pratiques afin de montrer aux hommes que Lui, Dieu, est toujours à l’arrière-plan, qu’il voit tout, sait tout, mais permet certains maux afin de réveiller ses créatures qui L’ont oublié, qui croient qu’Il est un mythe, une superstition, une ineptie dont on peut se moquer, (« la mort de Dieu »), qu’Il ne compte pas, qu’il ne faut pas Le révérer, L’adorer, alors que Dieu veut que nous le prenions comme l’auteur et le centre de notre vie, plutôt que de nous gaver de plaisirs, de consommations les plus diverses, de dépenses, de foot, de sexe, et d’argent ?
L’obsession du monde est l’argent. Le dieu Mammon ! Qui pense à Dieu dans cette vie de cocooning et de parfait égoïsme, de gains tout azimut ? Jusqu’au jour où une catastrophe mondiale, soudaine, inattendue, fracasse les tranquilles certitudes. Dieu reprend sa place et son Royaume est proche. On entend les cris de sa Création : Il vient, le Seigneur vient ! Panique chez les intendants des domaines qui ont tout abîmé. Ils vont devoir rendre des comptes. La Justice de Dieu est infinie.
Quand je sors un masque sur le nez et la bouche pour la promenade avec mon chien, à mes risques et périls, le premier bruit, à peine dehors, est la sirène d’ambulances. Mes pensées vont à au malade ou au mourant qui par ce beau soleil d’avril, est seul, transporté à toutes vitesse, vers la chambre des horreurs, où les médecins le sauveront. Espoir.
Mon chien ne sera pas malade. Les virus n’ont sur lui aucune prise. Ma fragilité montre la supériorité du chien indemne de toute maladie dans cette période calamiteuse. Lola est joyeuse, fraîche, a un appétit excellent, râle que je ne l’emmène pas au parc où il y a tant de personnes qui ne respectent aucune mesure de distanciation, pourtant répétées sur tous les tons de toutes les radios et de toutes les télévisions. Mais les jeunes très peu touchés par la maladie se fichent de frôler les vieux qui, derrière leur masque, leur lancent des regards noirs, si noirs que certains vieillards sont obligés de lever leur canne pour écarter les freluquets porteurs de mort.
Des amis ont choisi depuis plusieurs années de vivre en Algarve, au bord de la mer et sous le vent du large. Très peu de maisons autour de la leur. Aucun contact avec personne. Sauf pour la recherche de provisions une fois par semaine. Logiquement, leur vie n’est pas en danger. Mais les conséquences économiques du virus sont pour eux catastrophiques, avec une profession active dans le tourisme : locations d’appartements, de gîtes, dans ce pays tranquille, accueillant, où le beau temps règne toute l’année. Ils gagnent leur vie et remboursent leurs emprunts.
C’est maintenant l’heure des décomptes, des hypothèses construites sur le retour des touristes anglais, allemands, rentrés chez eux. Reviendront-ils ? Le désert touristique, les frontières fermées, à quand le beau temps des touristes qui avaient choisi le Portugal comme paradis ?
Leur jeunesse est inquiète, ils ont beaucoup travaillé, Ils voient que les projets humains reposent souvent sur des châteaux de sable que la mer emporte sans prévenir.
Investir est toujours un risque. C’est tantôt la Bourse qui s’effondre, tous les 10 ans maintenant, ou bien c’est l’échec d’une affaire tenue par un indépendant, ou celui de toute une industrie qui mènera des centaines de travailleurs au chômage.
Il ne faudra pas s’étonner que les classes sociales sans métier se révoltent. Bonjour les dégâts. Ceux causés par les Gilets Jaunes à Paris ne seront que de petites échauffourées à côté de ce qui viendra.
Prière en temps de calamités
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Mon Seigneur et mon Dieu,
Humblement devant votre présence invisible
Je vous remercie de nous tirer de cette épidémie du Diable
Qui nous fait peur du plus petit au plus âgé
Ce n’est pas drôle du tout
De marcher dans la rue avec un masque sur le nez
De faire la file dans les grands magasins pour chercher notre pain quotidien
Ayez pitié de nous, vous qui savez tout, qui voyez tout,
Suspendez votre courroux si vous êtes fâché
Parce qu’on ne pense plus à vous
Que nos prières sont absentes, intéressées ou trop froides
Ou parce que nous n’aimons pas assez les malheureux.
Comme les Juifs dans le désert qui avaient construit l’idole d’un Veau d’or
Plutôt que de faire appel à Vous
Amour infini, Joie du Ciel,
Créateur des mondes visibles et invisibles
Aie pitié de nous, mon cher Dieu,
Pitié pour les malades, les mourants
Le virus épargne les animaux,
Ils sont si beaux
Il y a eu assez de morts que Tu as rappelés auprès de Toi
Délivre-nous.
Amen.
_________
H de M (avril 2020)
jeu.
02
avril
2020
Sommaire 1 : Commentaire sur la calamité
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Les créatures humaines de la planète sont soumises à une épidémie qui traverse tous les pays. Certains habitants sont plus touchés que d’autres : Chine, Italie, Espagne, mais les plus protégés voient les chiffres des décès et des contaminés grimper à leur tour, provoquant la fermeture des frontières et l’interdiction d’atterrir dans leur pays. Chacun se barricade. La mondialisation, les multi-échanges, l’Europe a du plomb dans l’aile, si pas dans le ventre. C’est bientôt le retour des Etats souverains qui seront libres de fabriquer chez eux leurs mesures de protection et de ne plus, naïvement, confier à la Chine l’exclusivité des fabrications de masques, respirateurs, lunettes et autres protections. Décision insensée et imbécile de nos dirigeants des Etats européens, peu préparés à cette calamité et maintenant face au débordement, vu – ils le proclament eux-mêmes – la vague qui arrive !
Malheureuse population de brebis bêlantes, une de fois de plus tondue, parquée dans leur enclos sans pouvoir en sortir, à la merci de nouvelles ou quotidiennes mesures de confinement, familles resserrées dans de petits espaces toute la journée, du matin au soir, cri des petits, fureur des ados privés de leurs copins-copines, sorties limitées et surveillées, et les courses à effectuer, souvent par les mères qui courageusement viennent respirer l’air des grands-magasins en bravant tous les risques. Honneur au courage de ces femmes en première ligne ! Infatigables et sans exprimer de plaintes, le plus souvent.
Et ces autres martyrs, les prisonniers, à trois ou quatre par cellule, et leurs gardiens, sans masques pour les discipliner. Qu’on laisse les fins de peine rentrer chez eux ! Qu’on accroche aux chevilles des libérés anticipés, si nécessaire, un bracelet de contrôle, mais ôtez-les de cette nasse insupportable avant qu’il y ait des morts ou que les bâtiments pénitentiaires soient mis à feu et à sang.
Honte aux responsables-coupables de n’avoir pas conservé un stock de masques et autres moyens protecteurs. Pourquoi avoir fait disparaître un million de (?) de masques qui auraient servi plus efficacement qu’une absence totale de masques ?
Les responsables ne doivent-ils pas répondre de leur incurie ? Ou comme souvent, quand il y a trop de politiques coupables, on posera le couvercle pour éteindre la marmite. Responsables mais jamais coupables. Comme ceux qui au début disaient : « Nous sommes prêts, c’est une gripette ».
Les médecins généralistes se sont protégés, et c’est naturel, en ne donnant pour la plupart que des consultations par téléphone. Mais j’entends que des médecins héroïques ont dominé leur peur et ont rendu visite aux malades, les réconfortant, et leur administrant des médicaments pour les aider.
Combien de temps les confinés-citoyens-obéissants supporteront leur enfermement, même si certains font du jogging, du vélo, de la marche avec ou sans chien, avec ou sans enfants ? Des parents à vélo sont suivis par deux, trois, quatre enfants, aussi à vélo, et prennent l’air, leur beau souci, en espérant que l’air respiré ne croisera pas le virus !
Ceux qui souffrent d’autres maladies que celle du virus, refusent de passer par la case hôpital de crainte d’être contaminés. Les graves maladies ? On attendra !
L’humour permet de lutter contre l’angoisse et le stress. Certains films comme la parodie du texte prononcé par Hitler réfugié dans son bunker sont irrésistibles de drôlerie tant ils s’appliquent bien à notre réalité vécue et enfermée dans un autre bunker en 2020.
J’ai la chance que, vu mon âge, des nièces héroïques viennent m’approvisionner et certaines firmes me livrent des plats à réchauffer. Je déteste cuisiner. Un plat chaud à midi. Une ou deux tartines le soir.
Quelle durée ce confinement ? C’est de ne pas connaître la fin du cauchemar qui mine les esprits.
La hargne de certains médecins français contre le professeur Raoult, virologue spécialiste, connu mondialement, qui propose comme seul remède utilisable sur le marché, vu qu’il n’y a pas d’autres molécules encore agissantes, la Chloroquine, ancien médicament administré depuis quarante ans contre le paludisme et le lupus notamment, est incompréhensible. Il a fait un test à Marseille, avec 25 patients qui, à peu près tous, ont été débarrassés de leur charge virale. « Ah non, disent les adversaires de Raoult ! Il faut recommencer d’autres tests, cela prendra des semaines, mais nous devons suivre les protocoles avant que la Chloroquine ne soit autorisée ! ». Les morts attendront !
Un ami m’écrit, atteint du Corona, que ce virus est vicieux et puissant. Il croit l’avoir attrapé dans un « lounge » d’aéroport dans l’attente de son avion qui avait quatre heures de retard.
En rue, à pied, tranquillement sur le trottoir, vous êtes brutalement dépassé par des cyclistes qui soufflent et qui crachent, venant en face de vous sans masque de protection naturellement, ou des joggers dès sept heures du matin, qui sentent la transpiration, ou vous êtes forcé d’éviter, venant vers vous, courant, riant, une famille nombreuse de bambins à pied ou sur leurs tricycles, qui ignorent manifestement les règles de la distanciation.
Mon chien Lola est perplexe. Elle sort moins. Elle qui adore les restaurants à midi et la voiture où elle s’étend sur les sièges arrières, est confinée comme moi attendant ses repas du midi et du soir avec des promenades écourtées, elle qui adore prendre l’air, renifler les buissons et les taillis, et regarder de loin les congénères qu’elle déteste et qui n’ont pas à m’approcher, sinon gare à eux !
°°°
Sommaire 2 : 3ème partie de PROTESTATION (suite du récit des Carnets de janvier et février 2020)
Protestation (suite 3)
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Je passai huit jours agréables avec Anna qui, le matin, à huit heures, frappait à la porte de ma chambre. Je sortais du lit en pyjama, je disais entrez Anna.
Vêtue d’une robe de chambre de velours brun, elle déposait un plateau avec des croissants, du chocolat chaud et de la confiture d’orange, sur la petite table devant la fenêtre aux rideaux fermés. Elle ouvrait les tentures. La lumière du soleil entrait dans la chambre. Je voyais les toits rouges s’échelonner face au bleu du ciel de Zandvoort. Il fera beau disait-elle, tant mieux, nous pourrons nous promener.
Elle descendait dans sa chambre pour achever sa toilette. J’entendais l’eau du bain qui coulait. Je me contentais de me laver nu devant le lavabo de ma chambre, eau chaude eau froide, les dents, le visage, et le torse, c’était suffisant et cette chambre était plus joyeuse que celle de Schaerbeek.
Quand habillé, je descendais au rez-de-chaussée à neuf heures précises, comme elle me l’avait demandé, – elle avait pris son petit-déjeuner sans moi –, je la voyais bien coiffée, son corps mince dans un loden vert à capuchon pour se protéger du vent de la mer, prête pour sa promenade de neuf heures à midi.
« Respirons, le bon air chaque matin, rien de tel pour les poumons », disait-elle,
Elle riait. Elle me tendait un imperméable qui descendait jusqu’aux mollets, et une écharpe rouge en cachemire. Nous sortions.
Elle avait tenté de prendre ma main, mais je la lui retirai. Je n’étais pas son bébé. Et la promenade commençait. L’immense plage jusqu’aux dunes. J’étais un bon marcheur ayant hérité des gênes de ma pauvre mère sprinteuse.
La plage de Zandvoort s’étendait sur trois ou quatre kilomètres et longeait des dunes aux chemins labyrinthiques, couverts d’un dallage qui évitait d’enfoncer les chevilles dans le sable. L’heure de la promenade était calculée par Anna pour ne pas rencontrer trop de monde à la fin des vacances. D’innombrables chaises longues et des parasols de toutes couleurs étaient alignés dans la zone réservée aux loueurs de matelas, des sièges, des protège-soleil. Il fallait poursuivre notre marche au-delà, la plage était alors déserte. On se rapprochait de l’eau. Des vagues terminaient leurs courses sur la partie sombre brunie du sable que des mouettes criardes piquaient de leur bec à la recherche de bestioles aquatiques.
Les jours passèrent identiques, tranquilles. La gentillesse d’Anna m’offrait des distractions chaque jour différentes : tel restaurant à midi, ou visiter le manège des chevaux frisons dans l’arrière-pays, ou des courses dans le grand magasin de la Kerkplein, m’offrir un costume gris à longs pantalons, goûter des babas au rhum dans une pâtisserie la meilleure de Zandvoort, cueillir dans les dunes de hautes fleurs jaunes qu’elle plongera dans le pot de grès bleuâtre sur la commode du salon. Petites distractions tranquilles qui me faisaient oublier la mort de ma mère. Je n’étais pas seul . La semaine était écoulée. Je devais rentrer.
°°°
A Schaerbek devant la porte de l’immeuble, un fonctionnaire de la Commune m’attendait.
– Je suis l’échevin chargé de la Population, dit-il. Nous avons été avertis de votre retour par l’Ambassade de Belgique à La Haye. Vous ne resterez pas ici. Nous avons reçu des ordres du Ministère des Affaires étrangères. Vous logerez ce soir à l’Ambassade de l’Inde qui vous prend sous sa protection. J’ignore pour quelle durée. Je vous demande d’emporter vos affaires, vos livres et autres objets auxquels vous tenez. L’Ambassade de l’Inde paiera votre loyer à la propriétaire pour une durée d’un an. Il vous suffira de fermer la porte à clé, de couper l’eau, le gaz et l’électricité, et dans un an, ou plus tôt si vous le désirez, vous récupérerez votre logement.
Yagi me sauvait ! Son père et sa mère m’accueillaient chez eux ! Je fus transporté de joie. Joie, joie, pleurs de joie ! J’oubliais ma mère. Plus rien d’autre ne comptait ! Je retrouverais mon ami, le beau jardin, la fontaine et le bassin, les paons. Le soleil dissipait les nuages noirs, je revivais.
Je n’attendis pas longtemps. Une Rolls blanche arriva devant mon logis.
Le chauffeur à turban en sortit, me fit monter à l’arrière et déposa dans le coffre, la valise qui contenait tout ce que je possédais, les vêtements, les livres, les cahiers de classe et les deux Dickens que je relisais de temps en temps.
Je fus emporté à l’arrière de la longue limousine blanche aux coussins couleur grenat.
Vroum, vroum, nous filions vers l’avenue de Tervuren. Le soleil de la fin d’après-midi dorait la façade des immeubles et le ciel bleu se reflétait dans les vitres. Peu de monde malgré la sortie des bureaux. Je vis une petite dame courbée tenant en laisse un chien minuscule traverser malgré le feu rouge. On va l’écraser, pensais-je. J’entendis mon enturbanné gronder une insulte tandis qu’il appuyait sur le frein me projetant sur le dossier du fauteuil avant.
Nous pénétrâmes dans l’entrée de l’Indian Embassy aux grilles ouvertes. Le chauffeur arrêta la Rolls devant le perron. Les paons n’étaient pas là, mais au haut d’un mat flottait le drapeau indien à trois bandes, safran, blanc et vert, avec une roue au centre.
Yagi m’avait expliqué la symbolique du drapeau.
« Le drapeau, disait-il, se compose de trois bandes horizontales de largeur égale : safran au-dessus, blanc au milieu et vert pour celle du bas. Au centre de la bande blanche se trouve une roue bleue comportant 24 rayons et connue sous le nom de Chakra d’Ashoka. » La couleur safran exprime la renonciation et le désintéressement. Le blanc au centre est la lumière, le chemin de la vérité qui guide notre conduite. Le vert montre notre relation avec la terre, avec la flore de laquelle dépend toute vie. Au centre est la roue qui exprime le mouvement de la vie. La mort est dans la stagnation. L’Inde doit bouger et aller de l’avant. »
Beau programme, avais-je répondu en pensant sans le dire aux innombrables pauvres et aux vaches déesses qui encombraient les rues des villes.
Je fus conduit au salon où la mère de Yagi m’attendait assise dans le grand canapé doré. Elle était vêtue d’un sari immaculé avec autour du cou une longue écharpe de soie rose. Elle me tendit la main. Elle était seule et devant elle je vis un plateau d’argent avec deux tasses, une théière et des petits gâteaux.
– Comment allez-vous Daniel ? Je suis heureuse d’accueillir vous ici. Yagi is not here. He is in India with his grand-father for hollyday. Je suis triste pour votre mère. Pauvre femme morte si jeunette !
Elle tendit vers moi le plateau aux pâtisseries. J’en choisis une.
Mon ami n’était pas là. J’avais espéré qu’il serait là. Non, Yagi était aux Indes chez son grand-père.
Il fallait maintenant remercier l’ambassadrice de m’accueillir chez eux.
– Je veux vous dire merci d’avoir accepté que je vienne habiter quelque temps ici. C’est une grande surprise pour moi et un honneur.
– Vous êtes une friend de Yagi. Quand nous avons appris le malheur, mon mari et moi, nous avons parlé avec notre fils et nous avons décidé de vous loger à l’ambassade. You have time to see of this proposition agrée vous. Vous dormir dans la room à côté de la room de Yagi. Vous faîtes les mêmes études au collège Saint Michel. Ce sera plus facile pour vous deux. Vous êtes amis.
Elle se leva, demandant de la suivre. Dans le hall, elle frappa dans les mains. Aussitôt une jeune femme brune accourut.
– Voici Migga, dit la mère de Yagi. Elle est chargée de vous. Elle va conduire toi à votre chambre, pour déballage bagages. Nous nous retrouverons for the dinner at eight o’clock. Mon mari sera présent. Nous attendrons vous au salon. A tantôt. Yes, yes. Elle me sourit, agita sa main légère aux ongles rouges et s’éclipsa me laissant seul avec Migga qui me conduisit au premier étage par le grand escalier de marbre blanc.
°°°
La chambre était belle avec les murs drapés d’’or. Sur le sol d’épais tapis invitaient à marcher pieds nus. Un grand miroir faisait face au lit recouvert d’une cotonnade bleue.
Migga et moi nous rangeâmes mes vêtements dans une armoire du dressing, pièce sans fenêtre qui séparait ma chambre de celle de Yagi. Au fond du dressing, s’ouvrait la porte d’une salle de bains grande et lumineuse avec deux lavabos et au centre, un grand bassin de marbre bleuté de deux mètres sur quatre environ dans lequel se baigner. Migga fit fonctionner les robinets d’or. Derrière une porte, un w-c aux revêtements couleur de pêche.
Elle sortit de la chambre, et je restai seul.
Je m’approchai de la fenêtre qui donnait sur les parterres de roses tant appréciées par l’ambassadrice. Un jeune indien vêtu de blanc aux pantalons bouffants coupait des roses qu’il déposait dans un panier d’osier à ses pieds. Ce n’était pas le jardinier vu lors de ma première visite. Le soleil de fin d’après-midi l’éclairait. Si j’avais osé, je serais venu au jardin le rejoindre et demander qu’il m’accompagne jusqu’au bassin des carpes koï.
Inutile de me faire remarquer, me dis-je. Ayant pris soin d’ôter mes souliers, je m’allongeai sur le lit, et me tournant sur le côté, je ne tardai pas à m’endormir.
Il faisait noir quand je m’éveillai. Je regardai ma montre. Onze heures du soir déjà ! Et personne ne m’avait appelé pour le repas du soir auquel l’Ambassadrice m’avait prié. J’y devais voir le père de Yagi. Misère ! Trop d’émotions m’avaient terrassé. Maudit sommeil. Je me trouvai maintenant embarrassé. Sortir de la chambre ? Aucun bruit et le jardin était plongé dans l’obscurité. Ouvrant la fenêtre, j’entendais le jet d’eau d’une fontaine. J’enfilai mes souliers. Laissant la pièce allumée, j’ouvris doucement la porte et je me décidai à suivre le couloir menant au grand escalier. Pas de lumière.
Ignorant où se trouvaient les interrupteurs, j’avançai bras tendus, marchant sur des tapis épais. Aucun rai de lumière sous les portes. Nuit complète. Descente des marches, le bras droit agrippé à la rampe. Ridicule situation. Ils s’étaient couchés sans m’attendre. Dans le grand hall, ignorant comment me diriger, je m’assis sur la dernière marche. Mes yeux s’habituaient à l’obscurité.
Peu à peu je vis l’horreur. Là sur le tapis, au centre, deux corps étendus comme deux gros boudins l’un sur l’autre. Avec des soupirs, des râles, et des gémissements. Je poussai un cri strident tandis qu’un frisson glacé parcourait mon dos. La lumière du hall s’alluma et j’entendis la voix d’un homme dire dans l’escalier : « Vous ne dormez plus ? »
L’ambassadeur en robe de chambre venait vers moi, et me prenant la main, me leva : « Pourquoi ce cri ? Vous nous avez fait peur à ma femme et à moi. ».
Un domestique arrivait à qui l’ambassadeur fit un signe de s’éloigner.
– J’avais cru voir deux corps étendus sur le tapis », répondis-je.
– Vous voyez qu’il n’y a personne. Vous lisez des romans policiers ? ajouta le père de Yagi avec un petit rire. Venez, remontez dans votre chambre. Je vais vous faire apporter une collation légère avant que vous ne vous remettiez au lit. Nous nous verrons demain.
J’étais confus. Je remerciai l’ambassadeur et retournai à ma chambre comprenant que mon séjour dans la famille de Yagi commençait mal.
***
Ma mère hurlante et les cheveux sur le dos, en chemise de nuit, se précipitait hors de la chambre de l’hôtel de Zandvoort me criant, la bouche de travers comme celle des personnes atteintes d’une attaque cérébrale: « Ne reste pas ici, ils sont fous, ils vont nous tuer. » J’étais un petit enfant, j’eus de la peine à sortir du lit pour la suivre dans le couloir sombre et dans l’escalier qui descendait à la salle à manger où un groupe de personnes encombrées de bagages étaient assises en silence. Certaines esquissaient le geste de me tendre une tasse de café mais obligé de suivre ma mère dans sa course, je sortis sur le chemin qui longeait la dune et je courus, courus derrière ma mère, demandant Maman, Maman, où vas-tu. Elle m’avait saisi la main, m’emportait. Ils sont fous, disait-elle. Je l’entendais malgré le bruit des vagues. Enfin nous arrêtâmes. Le ciel noir était piqué de rares étoiles. Elle m’indiqua la direction de la mer.
– Ton père reviendra, sois en certain, mais j’ignore quand. Je vais mourir.
Elle haletait. Puis poussant un cri, elle tomba sur le côté en agitant les bras et expira.
°°°
Je me réveillai en sursaut. J’étais dans le lit. J’avais mangé la tranche de saumon et la salade apportées, avec une bouteille d’eau minérale, par le domestique sur l’ordre de l’ambassadeur. Ensuite je m’étais déshabillé et glissé dans les draps de soie. La chambre était si noire qu’étreint par l’angoisse, je rallumai la lampe de chevet qui coloria de rose la tête du lit, mon torse et le tapis de soie. Quelle erreur d’avoir accepté le séjour à l’ambassade sans connaître la famille de Yagi. Et Yagi, quand rentrera-t-il ? Sa mère n’avait pu me répondre, tout dépendra, avait-elle dit, du grand-père chez qui Yagi séjournait au fond d’une vallée de l’Himalaya.
Elle téléphonerait à Yagi, je devais patienter, il savait que j’étais chez eux, il connaissait mon malheur, il avait témoigné de sa peine, sa mère était son relai.
J’entendis frapper à la porte.
– Entrez, dis-je.
Comme la porte ne s’ouvrait pas, je me levai, il n’’y avait personne dans le couloir.
***
Cela fait huit jours que je traîne dans l’ambassade. Je vois peu les parents de Yagi qui se lèvent tard. Ils se rendent fréquemment en Rolls, midi et soir, à des réceptions. Je reste seul durant des heures à lire dans le jardin sous un parasol mauve des revues illustrées décrivant les villes de l’Inde, les industries, les pèlerinages à Lahore ou à Bénarès, ou s’il pleut, réfugié dans un petit salon, je zappe des programmes de la télévision au large écran.
J’ai demandé à sortir en ville. On n’a pas voulu. « Nous sommes responsables de toi, m’a dit l’ambassadeur. Il faut attendre le retour de Yagi, vous sortirez avec la voiture de l’ambassade. »
Les beaux jardins sont entourés de hautes grilles peintes en noir. Je mange seul dans l’office attenant à la grande salle à manger. Une jeune servante en sari bleu me sert. Je suis bien nourri. Mais la cuisine indienne épicée et le riz à chaque repas fatigue l’estomac, donne le brûlant la nuit, ce qui m’oblige à boire beaucoup d’eau et à faire de longs pipis blanchâtres.
Je parle peu au personnel qui ne connait pas un mot de français. Ils ont reçu des instructions pour limiter les contacts. Quand les domestiques me voient, ils s’inclinent avec un petit sourire et continuent leur chemin. Quand je leur pose une question, ils secouent la tête pour montrer qu’ils ne me comprennent pas.
Je les entends parfois rire dans les couloirs et le hall quand ils pensent que je ne suis pas là. Je voudrais connaître les raisons de leur hilarité. Se moquent-ils de moi ? Aller en ville, passer deux heures dans un cinéma ou manger une glace sur le boulevard de la Toison d’or, j’en ai envie. Me dégourdir les jambes, parler le français, regarder les vitrines. Mais les grilles sont fermées, le jardin est entouré de hauts murs, un policier est en faction à l’entrée et refuse de me laisser sortir. Je suis un prisonnier en attente d’une libération. Téléphoner à la police ? C’est un gros risque car dans ce cas, je ne pourrai plus revenir dans l’ambassade. Les parents de Yagi ne supporteront pas d’être accusés de me retenir contre mon gré, eux qui m’ont m’accueilli après la mort de ma mère. Je n’ose pas les affronter, je dois prendre mon mal en patience et attendre le retour de mon ami. Il pourrait me téléphoner car je suis certain qu’il a de temps en temps ses parents au téléphone, mais ceux-ci ne passent pas le cornet, ils disent seulement : « Yagi te salue, tu as ses amitiés ». Je suis bien avancé avec ses minuscules messages.
***
J’ai découvert les plaisirs de la salle de bain de marbre bleu.
Levé à huit heures, j’ouvre les robinets d’or. Dans la grande vasque, se détachent des mosaïques de dauphins chevauchés par des enfants. Pendant que l’eau coule ni trop chaude ni trop froide, je lave mes dents avec Colgate blancheur extra devant le miroir du lavabo. C’est un bon moment pour moi car je peux entendre la musique déclenchée par un interrupteur à droite de la porte. Je choisis des programmes d’opéras. Quand le bassin est rempli, je descends dans l’eau. Je nage nu quelques brasses. Puis bras et jambes écartées, je me laisse flotter sur le dos, les oreilles plongées dans l’eau, je regarde le plafond peint en ciel de nuit rempli d’étoiles. Délices et repos. J’oublie ma tristesse. La porte n’a pas de clé, cela me dérange.
Un matin sans frapper une servante est entrée avec une pile de serviettes de bain qu’elle a déposées à côté des lavabos. Ce fut si rapide que je n’ai pas eu le temps d’être saisi. En réalité, je m’endormais dans l’eau tiède, mes paupières fermées, mon corps flottant comme une plante. Je la vis au moment où elle ressortait sans bruit, fermant la porte. Qu’avait-elle pensé ? Elle rapporterait au personnel des sous-sols que le jeune ami du fils des patrons se prélassait nu dans la piscine-baignoire.
Ils glousseraient, demanderaient des détails.
Pourquoi l’ambassadeur et sa femme me gardent-ils dans l’ambassade ? Je perds mon temps, je m’ennuie, le personnel s’adresse peu à moi et je ne comprends pas leur charabia.
Après quinze jours d’impatience, je résolus de quitter les lieux. Yagi ne me contactait pas, il se fichait de moi. Ses parents restaient vagues quant à la date de son retour, s’abritant derrière les décisions du grand-père maharadja. Yagi chassait le tigre, disaient-ils. Il adore cela. Et moi, pourquoi ne pense-t-il pas à moi enfermé dans cette ambassade à m’ennuyer du matin au soir. Je ne comptais pas pour lui. Le temps précieux de mes vacances à l’attendre en vain ! Zut et rezut !
J’avais observé que le garde devant la porte vers vingt heures gagnait une petite pièce du rez-de-chaussée pour échanger les consignes de la nuit avec un collègue le remplaçant.
Parfois les grilles restaient ouvertes quand la Rolls blanche aux coussins rouges attendait, devant le perron, les parents de Yagi invités à un concert ou une soirée de gala. L’ambassadrice toujours en retard retrouvait avec des cris d’oiseau son mari moustachu qui s’impatientait dans la voiture dont le moteur tournait.
***
Un soir, après le souper solitaire dans le petit bureau du rez-de-chaussée, je me cachai dans le buisson de rhododendrons qui bordait la pelouse. La grille d’entrée était grand ouverte. Le garde en faction avait gagné la cuisine pour se restaurer d’un poulet pikka massala. La Rolls blanche, phares allumés, portières ouvertes, et moteur en marche, attendait l’arrivée de ses maîtres. Le chauffeur debout au bas du perron, regardait sa montre puis levait la tête vers l’étage de la chambre encore éclairée de l’ambassadrice. Il me tournait le dos.
Je me glissai à quatre pattes à travers les rhodos, bondis hors du buisson et sprintai vers le boulevard.
J’étais libre. Je courais de toutes mes forces sur l’avenue. Personne ne me suivait, personne ne m’avait vu. A la première rue, je ralentis et poursuivis mon chemin marchant à grand pas. Ils ne remarqueraient mon absence qu’au retour de l’ambassadeur et de sa femme, ou au mieux le lendemain matin quand Migga constaterait ma disparition, le lit non défait, la chambre vide.
Le soir tombait.
Je n’avais pas laissé un mot d’explications. Ma mère n’aurait pas apprécié mon impolitesse.
***
J’arrivai avenue de la Toison d’or, en nage, et m’assis sur un banc en face des cinémas Pathé qui projetaient des films comiques. Je reprenais mon souffle regardant les piétons nombreux au début de la nuit. Des jeunes en jeans et baskets mangeaient des frites ; leurs rires aigus montraient qu’ils avaient bu ou fumé des substances comme disait ma mère. Des femmes voilées avançaient à pas lents poussant des voiturettes d’enfants.
Ces passants qui se nourrissaient en marchant donnaient envie de manger quelque chose. J’avais un peu d’argent sur moi. Je me dirigeai vers un snack et commandai un sandwich au poulet curry avec une bière.
Je m’assis à une table libre. A la table voisine, une dame âgée et à ses pieds un bichon au collier rouge qui lui léchait les doigts.
Me voyant, elle dit : « Les chiens valent mieux que les humains. Boris ne m’a jamais déçue mais il devient vieux. »
J’acquiesçai. Je mangeai lentement mon sandwich, regardant devant moi, me posant la question s’il fallait rentrer à l’Ambassade ou réoccuper mon logement de Schaerbeek. Mais je n’avais pas d’argent.
– Vous avez des soucis ? dit la dame.
– Pas vraiment, répondis-je. Mais ma mère est morte et je suis seul dans la vie.
– Mon pauvre petit. Vous n’avez plus de famille ?
– Non.
– Où habitez-vous ?
– A Schaerbeek, près de la Place Meiser.
– Quartier bruyant, dit-elle.
Le bichon n’arrêtait pas de vouloir grimper sur ses genoux mais elle l’écartait maladroitement sans se soucier de chiffonner sa longue jupe noire.
Elle continua :
– Vous allez à l’école ?
– Naturellement. Mais ce sont les congés maintenant.
– Je parie, dit-elle, que vous êtes un bon élève.
Je restai silencieux.
Un monsieur aux cheveux gris coupés en brosse, nuque puissante, lunettes noires, arriva et s’assit lourdement à la table voisine. Il me dévisagea un instant, puis commanda un thé et des crêpes à la confiture, dépliant sur la table le journal Le Monde.
– Vous êtes élève dans un institut à Bruxelles ?
Elle poursuivait son interrogatoire.
– Je suis élève au Collège St Michel. Des Jésuites.
– Ah, dit-elle, mes deux fils y furent élèves mais ne purent suivre car le niveau est élevé et mes fils sont deux paresseux.
– Qu’ont-ils fait après leur départ de Saint Michel ?
– Ils ont choisi des études techniques. L’aîné est plombier et le second camionneur. Ils sont morts dans un accident, ils étaient dans la même voiture. C’était il y a deux ans.
– C’est terrible, dis-je.
Elle ne semblait pas émue.
A ce moment le monsieur aux cheveux gris prit la parole : « Toutes mes condoléances, Madame. Vous avez vécu une tragédie. Je remercie le Ciel de m’avoir épargné ce drâââme car j’ai des enfants et la mort d’un enfant est la plus grande douleur pour un père ou une mère. »
Je n’apercevais pas d’alliance à son doigt. Il me regarda de nouveau et j’évitai son regard. Il portait un costume bleu à lignes fines, une cravate bleu marine, une chemise blanche à manchettes. Son allure était soignée et ses souliers cirés brillaient.
Je ne comprenais pas pourquoi il s’adressait à la dame qui ne lui répondait pas.
Il me regarda et dit: « Jeune homme, vous êtes en vacances, je suppose ? »
Il mastiquait un dernier morceau de crêpe.
Pourquoi m’interrogeait-il à son tour?
Il continua : « Où habitez-vous ? »
– Oui, oui, je suis en congé. Près de la place Meiser.
Je terminai le sandwich au poulet et bus la bière et me levai.
– Puis-je vous accompagner, dit-il. J’ai achevé mon en-cas et comme j’ai un peu de temps, je puis vous ramener chez vous. Mon chauffeur attend avec la voiture sur l’avenue de la Toison d’Or. C’est à cinq minutes.
La dame toussota, me regardant avec insistance, et je vis dans ses yeux une lueur ironique. Nous voyant nous lever, le petit bichon s’arcboutait sur sa laisse pour s’en aller aussi.
– Je ne veux pas vous déranger, dis-je à l’homme.
– Mais non, mais non, je vois que vous êtes fatigué, dit-il. Ce sera plus facile pour vous. Il est tard, il est imprudent de sortir seul le soir.
Il ajusta une cape en loden vert et il me poussa devant lui. N’ayant personne qui m’attendait, je résolus de voir ce qui se passerait si je l’accompagnais. Il n’était pas question de lui parler de l’Ambassade de l’Inde.
Le chauffeur était un grand africain, aux yeux brillants, mince dans sa tenue de cuir noir boutonnée jusqu’au cou. Il souleva sa casquette quand il nous vit arriver. Il paraissait jeune. Une vingtaine d’années tout au plus. Il portait des gants jaunes. L’homme en cape de loden et moi, nous nous assîmes à l’arrière de la limousine, une voiture américaine, du genre Cadillac, couleur grise. Je n’avais jamais rencontré un véhicule aussi spacieux.
– Je me présente, je suis le baron de Bernardin, je suis écrivain, un romancier si vous voulez.
– Je lis peu, répondis-je. Quel genre de roman écrivez-vous ?
– J’essaie de diversifier ; chaque roman doit être différent des précédents. Il n’y a donc pas de genre. Ce sont des histoires réalistes et poétiques. Un mélange de tristesse, de rêve, de beauté.
Il toussa.
Dans la voiture qui démarrait, flottait un parfum discret semblable à l’odeur d’une rose. Un parfum ou un déodorant pour limousine
Remontant l’avenue Louise, nous arrivâmes à Uccle dans le joli quartier du Prince d’Orange. Après avoir franchi une courte allée, la voiture s’arrêta devant le perron d’une grosse villa des années trente où brillaient des lumières au rez-de-chaussée.
La nuit était tombée. Le chauffeur se hâta d’ouvrir la portière de son maître et moi je me débrouillai seul pour m’extraire de la profonde limousine.
– Venez, suivez-moi, dit l’écrivain, ma femme m’attend au salon. Vous mangerez bien quelque chose ?
A sa suite, j’entrai dans la villa. Un domestique en livrée apparut, tendant les bras vers le loden dont son maître se débarrassait.
– Préparez la chambre verte, ce jeune homme dormira ici cette nuit.
Il n’avait pas demandé mon avis.
De nombreuses statues le long des murs du hall, des déesses, des bustes d’empereurs romains, des athlètes nus, donnaient l’impression d’entrer dans un musée. Il poussa une haute porte. Le salon était vaste, orné d’une multitude de tableaux et de meubles. Le long d’un mur, un piano à queue. Sur le sol, des tapis d’orient s’étalaient avec des entrelacs fleuris et des dessins d’oiseaux ravissants.
Assise dans un fauteuil rouge près de la cheminée, une dame à chignon gris nous regardait venir ; à ses pieds, un caniche abricot se leva d’un bond, aboyant.
– Madeleine, je vous présente un jeune ami rencontré dans un snack de l’avenue de la Toison d’Or où il mangeait seul. Il n’a plus de famille, il est en vacances. Nous allons le loger cette nuit car il semble fatigué et a besoin de réconfort.
Je saisis la main que me tendait la femme de l’écrivain. Elle me regarda en souriant.
– Mon mari cherche des talents ; il vous a découvert. Soyez le bienvenu dans notre maison. Un petit souper nous attend. J’ai l’habitude. Mon mari rentre tard.
Et nous passâmes dans la salle à manger.
Après le souper léger, nous passâmes au salon et tandis que le baron tirait les lourds rideaux, je demandai la direction des toilettes qui étaient dans le hall au fond du couloir. Je n’hésitai pas longtemps. La porte donnant sur le jardin était grand-ouverte. Je sortis et m’enfonçai dans l’obscurité vers l’avenue éclairée par des réverbères à la lumière orange. Adieu baron, adieu baronne. Drôle de couple !
***
Je montai dans un tram et, après une demi-heure, je me retrouvai devant l’Ambassade de l’Inde où je fus bien obligé de sonner. Ma situation ne permettait pas la liberté. Je rentrais au bercail. Le domestique ouvrit la porte et je gagnai ma chambre à l’étage. Mon absence avait duré trois heures. L’ambassadeur et sa femme avaient-ils su que j’avais quitté les lieux ? Une heure plus tard, j’entendis l’ouverture des grilles, la Rolls blanche rentrait, le chauffeur, ses maîtres, je les voyais derrière mes rideaux, parlaient fort. Puis silence et nuit. Je m’enfonçai dans mon lit pensant au baron et à sa femme. Oui, drôle de couple.
Je préférais l’ambassade malgré l’ennui et l’absence de Yagi.
Le lendemain, à huit heures, Maggy frappa à la porte de ma chambre, l’entrouvrit, et dit passant la tête : « Madame veut vous voir. Habillez-vous vite. »
Je m’attendais à un sermon sur mon absence nocturne, révélée sans doute par la femme de chambre.
A mon grand étonnement, l’ambassadrice seule dans la salle à manger m’accueillit avec un sourire : « Daniel, grande nouvelle, Yagi rentre demain. Son avion venir à Zaventem à 18 heures. Je suis contente. Vous pourrez vous voir, vous parler, jouer in the garden, et excursionner. Le chauffeur conduira vous deux à la mer, au Zoute, si vous deux intéressés prendre bains de mer. »
Je n’avais pas oublié ma première expérience de nageur en Hollande à Zandvoort. Un désastre.
Cette nouvelle du retour de son fils me remplissait de joie. Finie la solitude.
Elle ne fit aucune remarque sur mon escapade. Sans doute, n’avait-elle pas été informée. Elle m’invita à m’asseoir, à déguster quelques toasts à la confiture d’orange que je puisais dans un ravier en cristal au moyen d’une cuillère d’argent à long manche.
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(à suivre)
Henri de Meeûs
lun.
02
mars
2020
PROTESTATION
(2ème partie du récit de Henri de Meeûs : voir Carnets janvier 2020)
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Ma mère s’acharna à allonger, élargir et nettoyer un costume que je ne mettais plus, qui me sembla étriqué. Je refusai de le porter et lui dis : « Non, il fait beau, je préfère la chemisette blanche et le short de toile beige, les sandales et les chaussettes rouges. »
Ma petite mère comprit que j’avais bon goût, qu’il était inutile de me déguiser sous prétexte d’une invitation chez les maharadjas.
Je pris un tram pour me rendre dans la belle avenue plantée de marronniers. L’ambassade de l’Inde était en retrait, cachée dans un parc protégé par de larges grilles et une porte de fer qui s’ouvrit après que j’eusse décliné mon identité dans le micro situé au-dessus du bouton de la sonnette. Une caméra au-dessus de la grille m’observait. La chevillette chut. Je me dirigeai vers le bâtiment large et haut, éclatant de blancheur, avec des colonnes, un escalier de marbre à gauche et à droite d’une vaste terrasse, où trois paons verdâtres, bleus, ocellés d’or, semblaient m’attendre perchés sur un banc de pierre.
A ma vue, un paon fit la roue, se tournant et se retournant avec un tremblement de longues plumes.
Une domestique en sari pourpre m’ouvrit la grande porte. Et derrière elle, Yagi, tout sourire, qui me prit par la main.
– Viens, je vais te présenter à mes parents.
Il portait un pantalon blanc et un polo rose échancré sur la poitrine.
Je pénétrai dans un grand salon aux murs recouverts de soies bleutées. Une baie vitrée permettait de voir la pelouse qui descendait vers un rideau d’arbres.
Sur les côtés du jardin, des buissons cachaient d’autres grilles.
Je vis devant la fenêtre, assis dans un canapé, le père et la mère de Yagi qui me regardaient en souriant. Le père, moustachu, mince, sec, tout en blanc, avec une veste longue, comme une redingote aux boutons en soie, fermée jusqu’au col, tandis que la mère, aux longs cheveux de jais ramenés en arrière et resserrés sur la nuque, était habillée d’un tailleur Chanel noir et blanc, une émeraude à chaque main et un fin collier d’or autour du cou.
Son fils lui ressemblait étonnamment.
– Comment t’appelles-tu, dit le père ?
Il devait connaître mon nom, Yagi n’ayant pu taire mon identité. Une ambassade ne s’ouvre pas devant quiconque.
– Je m’appelle Daniel Bayens, répondis-je, j’ai douze ans. Mon père est mort dans un bombardement.
L’ambassadeur parut intéressé. Mais la mère de Yagi lui coupa la parole et me présenta, posée sur une assiette, une tranche de gâteau aux fraises recouvertes de crème fraîche et une minuscule fourchette. Elle dit dans un mauvais français :
– Here, Daniel, mange toi le cake avant to play avec Yagi dans le parc de l’Embassy.
Je ne refusai pas. Yagi reçut un morceau de pâtisserie et nous nous installâmes sur la terrasse qui surplombait la grande pelouse. Un domestique habillé de mauve apporta sur un plateau des bouteilles de Coca, du thé, des limonades. Je choisis le thé darjeeling servi brûlant dans une tasse minuscule.
– Les Darjeeling teas font partie des thés les plus prestigieux au monde. Leurs saveurs et leurs parfums varient d'une récolte et d'un jardin à l'autre. La plus belle récolte est celle du printemps, dont les thés sont surnommés les "Champagnes du thé", dit l’ambassadeur qui nous observait.
– Ne te brûle pas, dit Yagi.
Le parc était vaste. Derrière les arbres, je voyais d’autres pelouses avec des fleurs et des fontaines.
– C’est la roseraie de ma mère, dit Yagi. Elle adore les fleurs. Un jardinier s’en
occupe du matin au soir et ma mère coupe les roses à la fin de l’après-midi.
On verra cela tantôt, dit-il la bouche pleine avec sur les lèvres un peu de crème fraîche que sa langue n’avait pas effacée.
J’étais content d’être avec lui. Le ciel était bleu sans nuage et l’air doux. J‘entendais des oiseaux se chamailler dans un tilleul odorant.
– C’est agréable ici, dis-je.
– Tu pourras revenir quand tu le voudras. Mes parents t’apprécient, je le sens.
– Volontiers. Mais ma mère ne veut pas que je t’invite chez moi.
– Pourquoi ? dit-il.
– Nous vivons dans un appartement minuscule. La mort de mon père quand je n’étais pas encore né fut un malheur pour ma mère.
– Je comprends, dit Yagi, et il me prit la main d’un geste rapide.
Je restai jusqu’au soir à l’Ambassade. Nous parcourûmes les allées, le jardin et la roseraie à bicyclette, puis nous nous déchaussâmes pour tremper dans la fontaine nos pieds et nos jambes jusqu’aux mollets, sensation délicieuse dans la douce chaleur de cette fin d’après-midi. Je remarquai ses jambes brunes à côté des miennes blanches comme des tiges de poireau. Nos doigts de pied se touchèrent. De grosses carpes Koï japonaises, de couleur grise, bleutée, rouge et blanche avec des taches oranges, frôlaient nos orteils.
Nous rentrâmes. Un film nous attendait, projeté dans une salle au sous-sol. La mère de Yagi nous fit asseoir dans des fauteuils profonds. Le film avait pour titre « Beautiful lady ». Une aventure sentimentale sous-titrée en français entre un Indien et une Anglaise au Bengale, avec des scènes d’amour bavardes et des charges de cavalerie dans de superbes paysages. Je ne pus m’empêcher de bâiller quand la lumière éclaira la petite salle de projection.
Je demandai la permission de rentrer chez moi. Il était vingt et une heures. Il ne fallait pas faire attendre ma mère. Ce fut la Rolls de l’Ambassade pilotée par un chauffeur à turban qui me reconduisit.
Yagi avait voulu me raccompagner. Au moment de l’au-revoir, il garda ma main dans la sienne quelques instants.
A lundi, au collège, dit-il. Je suis heureux de te connaître.
Je rentrai dans l’immeuble où ma mère m’attendait.
– Ton visage est comme un soleil, me dit-elle.
Elle me posa mille questions auxquelles je répondis à peine. Prétextant la fatigue, je dis : « Je vais me coucher, nous parlerons de cela demain. Bisous ! »
Je m’enfouis dans mon lit sous la couverture jaune et me tournai vers le mur pour ne plus la voir, rejoignant en esprit Yagi, sa mère en tailleur Chanel et les carpes Koï.
***
Yagi et moi nous terminâmes la dernière année des classes primaires aux meilleures places, moi le premier et lui le second. Nous n’étions pas jaloux l’un de l’autre. Les professeurs nous estimaient et nous citaient en exemple ce qui faisait ricaner certains. Ma mère était fière de mes succès scolaires et j’imagine qu’il en était de même pour les parents de mon ami. Les grandes vacances commençaient.
Ma mère n’avait pas l’argent pour m’envoyer à la mer ou me faire voyager. Je ne disais cela à personne, même pas à Yagi qui m’annonça qu’il partirait le premier juillet en Inde chez ses grands-parents paternels dans un palais situé le long d’un fleuve. Il me montra les photos des remparts, des salles d’apparat, le trône, les serviteurs, et même l’enclos des éléphants pour la chasse au tigre avec les bâches de cuir et les nacelles où s’installent les chasseurs.
– Les tigres sont nombreux dans cette province, me dit Yagi. C’est une chasse très excitante.
Je n’en doutais pas. Mes chasses à moi se réduisaient aux mouches qui s’égaraient dans notre minuscule appartement.
Durant le congé, je fus odieux avec ma mère. Ne supportant pas d’être enfermé seul à Schaerbeek dans l’immeuble sombre, – ma mère à son travail en ville toute la journée –, je me promenais dans le quartier, regardant les trottoirs qui s’allongeaient devant moi, un œil sur les vitrines, mais sans argent, n’entrant pas dans les magasins sauf celui de la pâtisserie pour acheter des lacets de réglisse ou des lards roses et blancs, pas chers, que ma langue savourait, ma seule consolation. Mon ami était parti. Je prenais un tram, je passais devant l’ambassade de l’Inde devant laquelle un policier belge montait la garde.
Je regardais les grilles, les arbres, essayant de distinguer le bâtiment blanc au travers des feuillages. Parfois, j’entendais le cri des paons qui s’interpellaient Léon, Léon. Quels drôles d’animaux si beaux et si bêtes comme les stupides snobs que je rencontrerai plus tard.
Yagi ne se doute pas de la solitude où je suis plongé durant ces vacances au soleil à Bruxelles. Mes pensées vont vers lui, n’ayant pas d’autres amis, mes compagnons de classe ne s’intéressent pas à moi, ils sont avec leurs parents en voyage dans les hôtels ou des campings, sur des plages ou en montagne. Personne ne sait que je n’ai jamais vu la mer, que mes oreilles n’ont pas encore entendu le bruit des vagues ni le cri des mouettes rasant les flots. Pauvre de moi, oui pauvre est le mot exact, ma pauvreté m’enferme dans un cercle qui m’empêche de bouger, qui me lie à ma mère de qui je dépends entièrement car elle me nourrit, me vêt et paye mes études.
Ma pauvre petite mère très fatiguée qui ne prend pas l’air, trop occupée par son travail, (j’ignore lequel et où elle l’effectue). Elle ne m’a jamais parlé de sa profession. Je commence à penser qu’elle est la domestique d’une famille bourgeoise ou la serveuse dans un restaurant car je vois qu’elle rapporte régulièrement des tabliers blancs souillés qu’elle introduit dans la machine à lessiver en même temps que mes sous-vêtements. Est-elle honteuse d’avouer ce qu’elle fait pour gagner sa vie et qui attriste son visage fatigué, de plus en plus fatigué, quand je la regarde le soir et que devant moi, elle mange en silence des pâtes recouvertes de sauce tomate, plat qu’elle sait que j’aime, et qui n’est pas cher ?
Parfois, mes lèvres sont barbouillées de la délicieuse sauce rouge car ma mère est une bonne cuisinière, et elle dit : « Chéri, tes lèvres sont rouges comme celles d’un clown, tu pourras travailler dans un cirque. » Cette réflexion tant de fois entendue ne me faisait plus rire.
J’essuyais ma bouche dans la serviette et je continuais à manger sans rien dire.
A midi, durant mes congés, pour mon déjeuner solitaire, je beurre deux ou trois tartines et les recouvre d’une tranche de fromage de Hollande. Boisson ? De l’eau du robinet. Je mange chaud le soir vers dix-neuf heures quand ma mère rentre avec quelques provisions achetées chez Nopri. Elle dit : « Tu as passé une bonne journée ? ». Je réponds: « Oui, oui » sans entrain, car je m’étais ennuyé toute la journée à marcher dans les rues ou dans les chemins empierrés du parc de Woluwe où je me repose assis sur un banc de bois et contemple tout le vert des arbres, des pelouses, la beauté des étangs, et sur l’eau les poules d’eau, les canards colverts, les cygnes blancs, les cygnes noirs, et les oies bernache couleur de sable.
Mais cette beauté, ce calme et la grande étendue du ciel bleu qui surplombe le paysage, me rendent plus triste encore.
Je regardais les couples d’amoureux qui marchaient enlacés, main dans la main.
Un jour, je vis un gros monsieur bedonnant serrer étroitement, ventre contre ventre, une mince jeune femme. Ils s’embrassaient bouche à bouche. Je trouvais incroyable qu’une jolie dame se laissât entreprendre par un bonhomme plus âgé qu’elle d’au moins trente ans. Cela me dégoûtait. C’est cela l’amour, pensais-je. Mais pour moi, l’amour était en Inde où j’aurais voulu y passer au moins une semaine de vacances.
Je rentrais en nage d’avoir tant marché, j’avais soif, je sortais du frigo une bouteille de Spa reine et je buvais à même la bouteille en me regardant dans la glace au-dessus du lavabo. J’admirais les gouttes de sueur qui glissaient nombreuses de mon front vers les ailes de mon nez, touchant mes lèvres. Ma langue goûtait le sel de ma sueur, puis je passais sur mon visage et mes bras un gant de toilette mouillé d’eau froide pour me rafraîchir. J’allumais le poste de radio, j’écoutais des chansons, je m’allongeais torse nu sur mon lit avec une bande dessinée et je finissais par m’endormir. Ma mère me trouvait dormant quand elle rentrait. Je n’osais pas lui dire que je m’étais ennuyé mais elle le voyait à mon visage fermé, peu aimable – c’est à peine si j’appuyais ma bouche sur sa joue pour la saluer –, et je ne faisais rien pour l’aider dans la préparation du repas ou le service de la table car j’étais fâché de n’être pas récompensé pour ma première place à l’école. Je savais que nous étions pauvres, mais je refusais d’être pauvre depuis l’invitation à l’ambassade de l’Inde où tout m’avait ébloui : la Rolls-Royce, les serviteurs nombreux, les trois paons sur le perron, la roseraie, l’élégance de la mère de Yagi, son sourire magnifique, les émeraudes à ses doigts, la moustache brune de l’ambassadeur grand et mince.
« Il joue au polo », m’avait dit Yagi.
Ma tristesse grandissait d’avoir vu la richesse et le bonheur, et d’en être privé, moi le Daniel sans père tué dans un bombardement, et collé à une mère qui s’épuisait à des tâches quotidiennes qui ne la rendaient pas heureuse. J’aurais voulu l’aider et je ne savais pas comment. D’autre part ma colère m’empêchait de lui rendre des services minuscules comme celui de dresser la table ou de faire la vaisselle. J’avais répondu sèchement : « Ce sont mes vacances ». Quand elle m’avait demandé de compter le linge, j’étais resté sur le lit bras étendus et yeux fermés. Elle n’avait rien dit. Elle faisait mine de ne pas remarquer ma mauvaise humeur. Je n’étais pas fier de moi.
***
Trois jours après le début des vacances, elle me dit brusquement : « J’ai pris un congé de huit jours, nous irons en Hollande nous reposer, nous verrons la plage et la mer, nous irons en train, j’ai réservé une chambre au Zuiderbad, un hôtel familial à Zandvoorde non loin d’Amsterdam. » Je fus étonné car nous n’en avions jamais parlé. Voyager avec ma mère n’était pas une récompense car je souhaitais rencontrer de nouvelles personnes, avoir des amis intéressants, mais j’eus pitié d’elle dont le visage se crispait d’une grimace quand je la regardai. Je l’embrassai.
– Quand partons-nous ? dis-je.
– Dans deux jours, répondit-elle. Un train pour Amsterdam quitte la gare du Nord à 9 heures vingt-cinq. Je ferai les bagages ce soir. Il faudra que tu achètes demain à l’Innovation un slip de bain pour nager dans la mer et une crème solaire de puissance 9 pour nous protéger des coups de soleil. Tu es content ? Tu vois que je ne t’oublie pas, tu mérites un voyage pour avoir bien travaillé.
J’étais satisfait de ne plus rester dans cette chambre alors qu’il faisait chaud durant ce mois d’été. Difficile d’aérer malgré la fenêtre ouverte jour et nuit car ma mère ne voulait pas ouvrir la porte donnant sur le palier de crainte que des voisins nous aperçoivent ou nous entendent. Je m’approchai d’elle et je dis : « Je te remercie, je suis content de ce voyage et de voir la mer. C’est une bonne idée. Je te demande pardon de n’être pas plus gentil depuis le début du congé, mais seul je m’ennuie. »
– Je sais, répondit-elle. Cela nous fera du bien.
***
Le train s’ébranla à neuf heures trente, nous étions assis ma mère et moi face à face en seconde classe. A mes côtés, un gros monsieur qui soufflait d’avoir trop chaud, ôtait veste et cravate et en bras de chemise, ouvrit très grandes les feuilles du Soir qu’il effeuilla page après page en poussant des soupirs. Il m’écrasait un peu de sa masse. Ce n’était pas agréable.
Assise près de ma mère, une jeune fille blonde, maigre, portant des tresses et des lunettes, en uniforme bleu marine et chemisier blanc d’élève d’une école catholique. Contre sa hanche, une serviette de cuir pour ses livres de classe de fin d’études sans doute. Elle avait des boutons d’acné sur le front et le nez et me regardait de temps en temps. Je portais un short de toile beige. Mes jambes longues et nues et mes pieds dans des sandales semblaient l’intéresser.
Le trajet dura trois heures avec des arrêts. Enfin, nous débarquâmes dans la gare d’Amsterdam, et nous prîmes un autre ticket pour la gare de Zandvoorde située à vingt minutes d’Amsterdam, au bord de la mer.
Aussitôt sortis de la gare de Zandvoorde, nous vîmes la vaste étendue de mer en dessous des digues. La première chose qui me frappa fut le vent frais qui soufflait avec force sur nous. La plage immense et la mer à perte de vue m’impressionnèrent si fort qu’ému par tant de beauté, j’avais de la peine à reprendre souffle. Partout des drapeaux de toutes les couleurs agités par le vent.
La plage était occupée par les vacanciers, les parasols, les lits de plage et les transatlantiques. D’innombrables enfants accompagnaient leurs parents.
Je voyais des chiens courir vers les baigneurs puis revenir ventre à terre vers leurs maîtres qui les rappelaient.
Ma mère me dit : « Allons d’abord nous installer à l’hôtel où j’ai réservé deux chambres. Nous nous promènerons ensuite. »
Nous parcourûmes deux cents mètres suivant les indications d’une femme qui comprenait le français et nous vîmes, perché au-dessus de la dune face à la mer, un petit hôtel aux murs blancs, au toit de tuiles rouges, avec une terrasse et des parasols sous lesquels des clients causaient en buvant du café.
– C’est sympa, ici, dis-je.
Ma mère souriait. Elle semblait heureuse. Nous entrâmes dans le petit hôtel où un grand jeune homme aux cheveux blonds bouclés nous accueillit.
– Mevrouw Bayens ? dit-il.
– Ja, répondit ma mère.
Saisissant les deux valises, il nous conduisit par un petit escalier recouvert d’un tapis plain au second étage. Il ouvrit les portes de deux étroites chambres à un lit avec vue sur la mer. Ma mère avait bien fait de ne pas m’obliger à dormir dans sa chambre.
– Quelle chambre veux-tu ? dit ma mère.
– Je choisis la chambre de droite, dis-je.
Me penchant à la fenêtre ouverte, je vis un chemin de sable qui descendait de l’hôtel à la plage où il y avait beaucoup de monde. Dans la rue le long de l’hôtel, les voitures occupaient tous les parkings. Les Hollandais prenaient des vacances comme les Belges.
Il était seize heures quand nous descendîmes, ma mère en jupe rouge légère qui s’arrêtait aux genoux, le buste pris dans un corsage bleu marine de la marque Polo inscrite au-dessus du sein gauche. Elle voulut me donner la main mais je la repoussai. Je n’étais plus un bébé. J’étais un premier de classe. A moi l’espace, les nuages et le vent. A moi l’horizon sans limite, la ligne grise de la mer que le ciel rejoignait, à moi les vagues innombrables, à moi le fracas des flots s’échouant sur le sable.
Même si l’après-midi était avancée, ma mère loua deux transatlantiques qu’elle fit placer en première ligne face à la mer qui montait. Elle paya le préposé et dit tout bas : « C’est cher. »
Ensuite nous nous assîmes, regardant les flots mousseux qui s’approchaient de nous. Elle me dit « Si tu veux te baigner, n’hésite pas. Je garderai tes affaires. »
Je ne me fis pas le dire deux fois, ôtai ma chemisette et mon short sous lequel j’avais revêtu le slip de bain jaune acheté la veille à l’Innovation, et courageusement, à pas lents, je me dirigeai vers les premières vagues, croisant des bambins occupés avec leur mère et leur père à barboter dans des mares d’eau stagnante. De nombreux baigneurs s’amusaient sur les vingt premiers mètres de la marée montante. Plus loin quelques téméraires se lançaient dans les flots sans plus avoir pied. Ne sachant pas nager, je me contentai de progresser jusqu’à ce que l’eau froide atteignît le nombril. Puis debout, écartant les bras, je pliai les genoux pour sentir l’eau fraîche recouvrir mon dos jusqu’aux épaules, ce qui me fit pousser un gémissement.
Je n’avais jamais expérimenté les plaisirs de la plage ni les sensations sous la plante des pieds, un peu effrayantes, celle de coquillages invisibles dans le sable, la peur des crabes et des méduses dans l’eau rendue opaque par la force des vagues qui remuaient le sable. La mer devenait une soupe verte et sale.
Me retournant, je vis ma mère dressée bien droite dans son fauteuil, elle me faisait un signe du bras comme pour m’encourager. Elle m’observait. Si j’avais eu un malaise, si j’étais emporté par une lame puissante, elle qui ne savait pas nager, n’aurait pu que se dresser debout et hurler en français Au secours, au secours, mon fils se noie, en agitant une main dans la direction où ma tête aurait disparu entre deux vagues. Ma pauvre mère grimaçante devait être inquiète mais elle voulait aussi que je trouve à Zandvoorde un dérivatif, une distraction, une récompense et le bon air après des mois de confinement dans la chambre de Schaerbeek.
Je marchais dans l’eau froide. Des garçons rieurs se poursuivaient en criant, me dépassant, bruns de peau, tandis que moi, le pâlot, le légume des villes, je faisais semblant de nager, avançant accroupi, imitant la brasse. Mes amis, si vous m’aviez vu ! Mais personne ne me regardait. J’essayai pour la frime de garder le menton au ras de l’eau face aux vagues jusqu’au moment où une vague inattendue, plus haute, orgueilleuse, méchante, me submergea, me renversa tête en arrière, avec l’eau que j’avalais par le nez et la bouche, dans la vaine tentative de me redresser car chaque fois que j’essayais de me relever, une vague plus haute de la marée montante me recouchait sur le sable. Je voulus crier mais ce fut pire car je commençais à étouffer dans mes étranglements. Tout à coup, une main me saisit le bras et me tira en arrière. C’était un grand garçon revêtu du maillot orange des sauveteurs qui avait vu ma détresse et qui, en quelques bonds – nous étions à quinze mètre du rivage-, me tira d’affaire. Il me ramena dans ses bras. Ma mère, qui s’était avancée dans la mer avec de l’eau jusqu’aux cuisses, hurlait debout face au vent, la jupe rouge plaquée sur les jambes. Elle courut vers le saint Christophe qui lui avait sauvé son bébé.
Ils m’étendirent le dos sur le sable. Quelques personnes s’étaient approchées, parlant une langue incompréhensible tandis que je crachais, toussais, pleurais, honteux et confus, frissonnant, claquant des dents. Mon sauveteur m’emballa dans une couverture et me porta à la force des bras, en compagnie de la sprinteuse maternelle, vers le Zuiderbad. Je dus m’asseoir dans la salle à manger où un thé chaud me fut servi pour reprendre mes esprits. Voulant me sécher, ma mère me demanda d’ôter le slip de bain de l’Innovation. Emballé dans la couverture, je refusai. Il n’en était pas question. J’avais ma pudeur devant les quelques clients auprès de ma mère en pleurs qui leur racontait en français les malheurs de sa vie. J’étais son seul fils, douze ans, un brillant élément, son mari mon père était mort dans un bombardement durant la guerre, elle avait été bien malheureuse. Je restai silencieux conscient d’être celui qui lui avait gâché le plaisir de la première après-midi.
Ma mère décida que je resterais au lit jusqu’au lendemain, qu’on apporterait le repas du soir dans ma chambre, qu’il fallait me réchauffer et digérer les litres d’eau que, pensait-elle, j’avais ingurgités durant ma noyade.
Je m’étais endormi après le souper qui me fut servi au lit. Ma mère avait tiré les rideaux. Le soleil se couchait sur la mer. Elle voulait que je dorme.
Je fus réveillé en pleine nuit par des coups frappés à la porte. Quelqu’un entrait. La lumière de la chambre allumée, je me dressai, assis dans le lit, les yeux à moitié fermés, éblouis par la lampe du plafond.
C’était le jeune homme de l’accueil qui me cria : « Votre mère malade, venir vite ! ». Je sortis du lit. En pyjama et le cœur battant, je gagnai la chambre voisine, où deux personnes se tenaient debout près du lit de ma mère couchée, les paupières closes, très pâle, cernes noirs, les bras allongés le long du corps.
– Qu’a-t-elle, dis-je ?
– Maman pas bien, dit le garçon de l’hôtel. Docteur est là.
Je voyais que les deux hommes debout restaient silencieux, sans mouvement. Ils observaient ma mère du haut de leur taille imposante de Hollandais et je ne comprenais pas ce qui n’allait pas. Le teint livide de ma mère, ses paupières de plus en plus noires, sa respiration inaudible, m’inquiétaient. Je pris sa main. Elle était froide.
– Ta maman est morte, dit le grand type. Tout fini. Nous donner piqure pour le cœur. Trop tard. Cœur cassé. Kapot. Infar, tu comprends ?
Et ils quittèrent la chambre me laissant seul face au corps de ma mère dont les yeux avaient été fermés par le garçon de l’accueil.
***
J’étais en Hollande avec le cadavre d’une mère, dans un hôtel inconnu, sans argent, ne connaissant personne ici, et sans famille en Belgique. L’hôtelier me permit de rester gratuitement à l’hôtel huit jours, le temps pour l’ambassade de Belgique à La Haye avertie par lui, de désigner une entreprise des pompes funèbres.
Durant la semaine, j’adressai un télégramme à l’Ambassade de l’Inde à Bruxelles, destiné à Yagi pour signaler mon malheur. A qui d’autre confier mon désastre ?
J’accompagnai le cercueil de bois clair sans croix ni ornements porté par les hommes des Funérailles Pasteels jusqu’à la petite église protestante à cinquante mètres du Zuiderbad. Le pasteur en clergyman accueillit le corps de ma mère sans poser de questions. L’ambassade de Belgique supportait tous les frais.
Dans le temple, pour écouter la prière du pasteur, il y avait l’hôtelier, un employé de l’Ambassade, et moi. Le cercueil fut béni et transporté jusqu’au trou profond creusé au coin du cimetière protégé du sable des dunes par un mur de briques rouges. L’employé de l’ambassade de Belgique me tendit une rose blanche à jeter dans le trou.
Trou, trou, trou, je ne pleurais pas. Voilà, c’était fini. La sprinteuse ne courait plus. Les accompagnateurs me serrèrent la main avec des mines attristées, et je repris le chemin de l’hôtel. Pas de nouvelles de Yagi. Toujours en vacances sans doute. On me donna de l’argent pour le voyage du retour muni des deux valises, celle de ma mère et la mienne. L’Ambassade avait conseillé : « Rentrez à Schaerbeek, la Commune s’occupera de vous, elle est avertie. »
L’hôtelier me déconseilla de rentrer déjà à Schaerbeek pour me retrouver seul dans l’appartement minuscule alors que la rentrée au collège saint Michel était fixée dans trois semaines. Il me dit qu’une cousine à lui, demoiselle âgée de soixante ans, émue par ce qui m’était tombé dessus, m’invitait à passer la semaine chez elle dans sa maison du centre de Zandvoorde. Elle s’occuperait de moi, j’aurais une chambre, un vélo pour des excursions, et tous mes repas, sans devoir rien payer. Il me conseilla vivement d’accepter et me dit que si cela ne me plaisait pas, je pourrais rentrer à Bruxelles à condition de l’avertir car il devait informer l’Ambassade de Belgique à La Haye sur mes intentions durant le mois d’août, et la date de mon retour à Schaerbeek. J’acceptai l’offre de l’hôtelier.
Mademoiselle Lievens Denoot, longue femme maigre à cheveux gris, aux yeux très bleus, au teint pâle, au nez long, à la bouche petite, parlait très bien le français ayant étudié durant ses humanités latin-grec à l’Institut pour jeunes filles du Berlaymont, aux environs de Bruxelles.
Sa mère française, une baronne, avait épousé par amour un sportif hollandais, roux de poils et de barbe, et champion de concours hippique.
Le couple avait habité vingt années en Frise un domaine réputé pour son haras et les cours d’équitation.
Anna Lievens, intelligente et cultivée, adorait les chevaux. Son père avait interdit toute participation comme cavalière dans un concours hippique car, disait-il, dans ce milieu, les jeunes se méconduisent. Il citait souvent l’histoire de deux jeunes qu’il avait surpris dans la paille d’un box d’écurie, et qu’il avait dû expulser du haras.
L’hôtelier m’accompagna jusqu’à la maison blanche, de trois étages, rue Peterman située en face du temple protestant de Zandvoorde.
Coup de sonnette. La porte s’ouvrit. Mademoiselle Lievens Denoot m’ouvrit les bras, me serra contre elle, et me fit entrer avec ma valise tandis que l’hôtelier, refusant de boire une tasse de café, retournait à son travail.
Anna, (je l’appellerai Anna), m’aida à ôter mon anorak, et prenant le bagage, me précéda dans l’escalier jusqu’au palier du deuxième étage, où elle ouvrit une porte : ma chambre avec un grand lit recouvert d’un tissu jaune, un lavabo d’eau chaude et froide, une armoire pour ranger mes quelques vêtements, un petit fauteuil, une table face à la fenêtre. Devant celle-ci, les toitures en tuiles rouges des voisins. Aux murs des photos encadrées de chevaux. « Tu vois Daniel, ce sont les chevaux de mon père. J’adôôôôrais les chevaux. Et sur cette photo plus petite, tu vois mes parents avec Gladys, la jument blanche qui gagna le grand concours hippique de Rotterdam. Mon père la montait. J’ai dans la cave une pièce où sont remisés tous les trophées sportifs de mon père. Oui, mon papa est le grand barbu assis sur Gladys. »
Je ne disais rien, j’avais peur des chevaux sur lesquels je n’avais jamais eu l’occasion de poser mes fesses.
***
(à suivre)
mar.
04
févr.
2020
PROTESTATION
__________________
Un récit de fiction de Henri de Meeûs
(Première partie)
1-
Parfois je me demande si tout va bien. Il est impossible de me présenter autrement que sous les traits d’un être humain. Quand je vois la masse des créatures humaines, je me dis qu’elles sont laides, vulgaires, méchantes et intéressées. Qu’ai-je à voir avec elles? Pourquoi ai-je été poussé hors du ventre de ma mère ? Drôle de prouesse ! Dire que c’est très esthétique, non. Ai-je eu le choix ?
On ne discute pas avant d’entrer dans la maison des morts. On y est. Et là, débrouillez-vous. Cela prendra du temps, un peu beaucoup, et puis couic, on est happé et on ressort, par une autre porte, dans la nuit d’où personne n’est revenu pour annoncer Cool, restez calmes, c’est très beau là-bas, c’est plein de lumière, c’est l’amour éternel !
Je demande à voir. Promesses, promesses, mais rien de certain. Nous prend-t-on pour des imbéciles ? Je commence à le croire. Et j’ai soixante-dix ans. Trompé tous les jours de ma vie par des discours niais, rassurants pour ne pas exploser de colère. Les moutons imbéciles tondus, découpés, puis consommés. Qui mangera ma chair…
Je n’aurais pas dû accepter d’entrer dans la poche amniotique et grandir fœtus, et téter mon pouce durant la grossesse.
Le pire pour moi, ce furent les bombes. Neuf mois de bombardements et ma mère, – et moi dans son ventre –, à courir de-ci de-là pour échapper aux murs qui s’écroulent, aux maisons qui s’éventrent, aux incendies qui lèchent les vêtements et carboniseront mon père un soir qu’il dormait. Il n’avait pas entendu l’appel de ma mère. Jean, Jean, fuyons, les sirènes hurlent. Ma mère aurait pu gagner un cent mètres. Bonne athlète à l’université. Pointe de vitesse sur la fin. Sprint élégant, féminin, toujours sur le qui-vive, lui a sauvé la vie. Tandis que mon père lourd, endormi, résigné, n’a pas cru sa dernière heure venue la nuit du tapis de bombes sur la ville, tempête de feu et déluge de flammes de cinquante mètres de hauteur, et notre quartier en cendres avec les femmes, les hommes et les enfants, les chats et les chiens, pauvres bêtes, sauf ma mère dans son sprint de gazelle enceinte, qui bondit de paroi en paroi, d’effondrement en effondrement, sous ses pas de fuyarde, elle qui aspire les dernières bouchées d’air pour nous retrouver tous les deux, moi dans son ventre, au bord des étangs hors de la ville, sauvés des flammes de l’Enfer.
Elle pleure.
Et moi je pleure d’arriver bientôt, tête en avant sur une table de cuisine, un mercredi soir, entouré de femmes aux grandes mains qui m’extirpent du logis sacré, seul, inconnu, monstre rouge, plissé, avec un cordon ridicule, un sexe postiche, de grandes oreilles, et une peau de mauve velours sous laquelle mon esprit se cache, pauvre amour pétrifié, victime innocente, lancée dans l’horreur de l’abattoir par la faute de parents imbéciles. Trop tard ! Piégé ! Impossible d’en sortir. J’entends les machines qui découpent.
Deux villes bombardées durant la Seconde guerre mondiale
Chaque jour deux cent mille humains meurent sur cette planète. Sans compter les centaines de milliers, disons les millions de créatures animales qui se dévorent allègrement pour vivre plus longtemps. Vivre et tuer. Tuer pour vivre. C’est la planète ASSASSINAT. Terre est un pseudo pour ne pas épouvanter les moutons.
Vous êtes parqués sur la planète ASSASSINAT aux mille couleurs, mais votre compte est bon, quoique vous inventiez, pour essayer de fuir un sort inévitable.
Mentez, enivrez-vous, achetez, consommez, jouissez, faites l’amour, soyez des chefs, des savants, et vous pauvres femmes, sainte mères, putains courageuses, victimes de maris-amants-gorilles, votre sort en est jeté ! Pas d’échappatoires sur la planète ASSASSINAT.
Je hurle, je me débats, on m’écrase, on coupe le cordon, on me serre dans des draps, je pisse, je défèque, je proteste, maudite terre qui me voit apparaître pour mieux me trucider.
De quel droit m’avez-vous mis au monde, race crédule, si glorieuse d’enfanter ? Criminels géniteurs qui sans demander mon avis, m’avez propulsé sur une planète où le mot d’ordre est meurtre, tuerie, folie, enfermement, obéissance, règles et lois, punitions, maladies, châtiments, hurlements, prison, tortures et condamnations à mort. Pleurs sans fin, larmes par nappes qui forment des ruisseaux, puis des rivières et des fleuves, pour arroser des visages trop secs, des bouches serrées sur les dents jaunies de chiquer l’amertume. Visages creusés de rides après les premiers émois infantiles du cœur et du sexe énamourés. Pauvres innocents piégés par l’amour. Je n’ai jamais vu des vieillards enlacés sous les arbres se baisoter le visage des heures durant dans les parcs publics. L’amour des vieillards est hideux. Mais ils ne le savent pas. Ils veulent oublier que la trappe est ouverte et le linceul étendu sur le lit funéraire.
***
Ma mère me plaça dans une institution. Elle n’avait plus d’argent ni de mari. La guerre finissait dans les ruines. Villes dévastées. Campagnes désherbées, sans bestiaux. Partout de la boue, des cendres et un air suffocant car les ennemis avaient lâché des nuages toxiques sur le beau paysage. Les plantes et les oiseaux mouraient.
Je persistais à vivre petit enfant habillé de gris dans une pension que gardaient deux femmes, deux sœurs disait-on, l’une rousse, l’autre blonde, grandes maigres, occupées à nourrir chichement vingt petits qu’elles levaient à l’aube de leur lit glacé, mouillés dans leurs langes, poussés dans les pleurs et les cris vers des bassines d’eau froide pour les débarbouiller, les changer, les asseoir sur de petits pots de chambre, pipi, caca, avant d’aller dans la salle de classe où une table couverte d’une toile cirée verte nous accueille avec la bouillie, porridge de lait et d’eau tiède.
Les deux femmes s’acharnent à nous enfoncer dans le gosier une nourriture fade qui fait hurler ; certains petits se jettent à terre plutôt que de la manger. Les claques pleuvent. Nous sommes ramassés, remis sur le banc devant la table, secoués par Luce et Berthe, nos mères de substitution, nos nourrices comme disent les voisins qui entendent nos cris.
***
Je restai cinq années dans cette maison sise à la campagne au bord d’un chemin de sable par où passait la rare carriole qui nous approvisionnait. Les parents ne venaient pas visiter leurs enfants placés là. J’ai le souvenir de petits ligotés sur leur haute chaise, qui gémissaient, la tête renversée, les yeux fixes, le torse recroquevillé par des douleurs sans que Luce et Berthe les soulagent.
Nous sortions rarement de la maison.
Pour prendre l’air, il y avait la vaste cour arrière au sol bétonné où s’accumulaient, depuis des mois, des choses entassées que les deux femmes n’avaient pas apportées à la décharge, journaux, cartons, vieux papiers, branchages, buchettes minuscules, casseroles usagées, boîtes en plastique, canettes de bière, et tout et tout, et même un vieux matelas souillé de traces brunes. Ces déchets nous servaient de jouets. Parfois, fouillant dans l’amas des débris, nous dérangions des rats. Nos cris accompagnaient le hurlement des deux sœurs.
Je parlais peu. Je marchais à trois ans car personne ne m’avait aidé. Les enfants vivaient à quatre pattes. Il fallait attendre le bon vouloir des gardiennes pour qu’elles choisissent tout à coup un enfant retardé et lui inculquent les rudiments de la station debout et de la marche. Elles nous laçaient d’un corset de cuir retenu par des lanières, et nous hissaient sur nos jambes, nous obligeant ainsi soutenus et taquinés par une petite cravache, à mettre un pied devant l’autre, les bras grand écartés et un rire plein de larmes. Quand nous pouvions marcher sans leur aide, elles fêtaient l’évènement en donnant à l’enfant une grosse sucette rouge, la plus belle des récompenses que les autres petits regardaient avec envie.
Elles nous couchaient à sept heures dans le grenier qui s’étendait sous le toit.
Les matelas s’alignaient les uns contre les autres, et nous nous blottissions sous des couvertures usées quand le vent soufflait dans les tuiles. Le silence au lit était une obligation sinon les gifles volaient.
Parfois nous entendions les deux soeurs qui chantaient en bas sur un fond de musique. Elles récupéraient de la fatigue du jour, se préparaient des nourritures lourdes avalées avec de la bière. Le samedi soir, nous entendions des voix d’hommes qu’elles invitaient. Des clameurs montaient vers le grenier. Une seule fois, – je n’oublierai jamais cela alors que nous dormions tous –, des hommes sont arrivés bruyants, ont allumé les lampes pour nous réveiller et nous regarder de plus près. Ils retiraient les couvertures, tâtaient nos bras, nos mollets, nous pinçaient les joues. Nous avions peur. Puis, ils ont éteint l’éclairage et rejoint les deux sœurs qui criaient de nous laisser tranquilles.
Pour mes cinq ans, ma mère est venue me voir. Et je suis rentré le même jour avec elle. Je voyais qu’elle pleurait.
2-
Nous avons habité ma mère et moi dans une rue de Schaerbeek près de la Place Meiser. Il y avait quelques magasins, un café, un coiffeur. Nous occupions un premier étage. Un escalier en bois, qui n’avait plus été repeint depuis des lustres, menait à la chambre meublée, un lit, une armoire, un évier à gauche, un lavabo à droite. Rien de plus. Ma mère installait pour mon coucher un petit matelas à l’autre bout de la chambre. Les toilettes à l’entresol devaient être partagées avec une vieille fille locataire du rez-de-chaussée.
Je me souviens de la patience de maman sprinteuse et de ses efforts pour améliorer la façon de m’exprimer. Petit à petit, je prononçais des phrases, je choisissais des mots plus précis. Comme ma mère travaillait à l’extérieur, elle me plaçait pour la journée chez une gardienne, dame âgée, qui habitait à cinq minutes à pied de la maison. Cette femme gentille poursuivait le travail de rééducation commencé par ma mère. Les jouets ne m’intéressaient pas. J’aimais parler. Parfois, elle me disait : « Tu me fatigues mon petit, je vais me coucher, reste dans le jardin et lis un livre d’images. »
Mais ces livres d’images, je les connaissais par coeur. Je me réfugiais aussi dans la lecture des Paris-Match qu’elle achetait chaque semaine. J’admirais les photographies de belles femmes, des actrices, mais aussi celles des cadavres, des mitraillettes, des canons, des chars et des enfants qui couraient nus sous les bombes.
Quand ma gardienne s’aperçut que j’aimais regarder les Match et d’autres revues empilées sur un meuble de son petit salon, elle comprit que le mieux serait de m’apprendre à lire. L’intérêt des textes qu’illustraient les photos me fit progresser et à six ans, je lisais sans tout comprendre.
Ma mère ravie de constater mon avancement m’inscrivit, après un entretien avec le directeur de l’école chrétienne la plus proche, en seconde année des classes primaires. Si j’avais un retard pour l’écriture, j’étais en avance pour la lecture. Après trois mois, j’étais un des meilleurs élèves de la classe. Le professeur écrivit une fin de semaine sur la carte dorée hebdomadaire Votre fils a une belle petite âme, ce qui ravit ma mère fière de montrer cette carte à ma gardienne, à l’épicière, à la boulangère, qui esquissaient toutes un sourire moqueur. Je remarquais cela. Ma mère non. Pauvre mère si fière de moi. Si elle me voyait maintenant ! Dans quel état je suis ! Pourquoi m’avoir mis au monde ? Elle n’a pas réfléchi quand elle se pâmait d’amour pour son petit garçon !
Pauvre de moi, gémissant sur mon sort comme une statue de pierre que le lierre recouvre dans un jardin non entretenu, que des tapis de mousse verdissent, je chante mon échec dans un monde qui ne laisse aucune chance à qui veut le découvrir. Tout est double. Jour et nuit. Bien et mal. Racine et branche. Bouche et anus. Inspirer, expirer. Rire et pleurer. Cela ne s’arrête jamais. On balance d’un extrême à l’autre, insatisfaits, impatients, saisis de bougeotte perpétuelle comme les insectes qui dans les jardins d’été bruissent la nuit sous les lampes. Pauvres déchets, pauvres ruines, le temps passe si vite, tout est inutile.
Bon élève, j’avançais chaque année avec les félicitations données aux premiers de la classe. L’élite était récompensée. Ma pauvreté, la profession modeste de ma mère ne furent pas un obstacle. On me citait en exemple sans savoir que le soir, sur la table de cuisine après le souper, j’étalais mes cahiers et mes livres tandis que ma mère, enfin libérée de ses tâches, s’enfonçait dans le fauteuil, l’oreille collée à la radio au son maintenu bas pour ne pas me déconcentrer. A dix heures du soir, je la voyais se lever, éteindre le poste et la lampe près de son fauteuil. Elle rangeait la chambre, se déshabillait dans le coin sombre, puis montait dans son lit dont les ressorts grinçaient, disant : « Bonne nuit mon chat, je te laisse à tes études. »
Je terminais mes leçons, puis je gagnais mon réduit, enfilais mon pyjama, me lavais les dents, les mains au lavabo, ensuite je m’abritais sous le drap et la couverture jaune, je regardais deux ou trois minutes le plafond faiblement éclairé par la lampe de chevet. Quand j’entendais les soupirs de ma mère et bientôt ses ronflements, j’éteignais.
Pauvre petite mère toujours pressée, nerveuse, avec des tics sur le visage, des clignements d’yeux trop fréquents comme si une araignée passait sur sa figure, spasmes incontrôlés pour lesquels elle ne consultait pas, qui l’enlaidissaient, qui me gênaient face aux étrangers qui la voyaient pour la première fois. Je craignais le ridicule.
Elle se regardait souvent dans le miroir au-dessus du lavabo, ajustait sur sa petite bouche le bout du rouge à lèvres framboise que j’aimais – je lui disais j’adore la couleur de ta bouche – elle m’embrassait alors dans le cou disant je t’aime mon petit, sache que je t’aime. Je me laissais faire. Mes seules caresses.
Qui d’autre m’aimait ?
Je n’avais pas d’ami. En cherchais-je ? Non, mes camarades du collège étaient des garçons qui s’intéressaient à des choses idiotes : le foot, les marques d’automobiles, les collections d’images, je ne sais plus. Mon intelligence, ma rapidité de réaction, les éloignaient de moi. Ils me respectaient car j’étais beau et capable de me battre si l’on me cherchait. Ma meilleure défense était mes réponses qui leur clouaient le bec. Je n’avais pas d’ennemis car j’aidais ceux qui peinaient à comprendre les exercices ; je dictais les réponses, je facilitais leur travail.
En dernière année des primaires, arriva lors de la première semaine de septembre un garçon aux cheveux très noirs et au teint cuivré. Il s’appelait Yagyanarayan Singh. Le professeur nous dit de l’appeler par son diminutif de Yagy et lui fit prendre place à mes côtés sur le banc du troisième rang. Je reçus la mission de lui prêter main forte car il connaissait mal notre langue. Il avait douze ans comme moi. Ses yeux noirs, la beauté de son visage, le velouté de sa peau me donnaient envie de l’embrasser.
Il me remercia de l’aider et, grâce à moi, fit de rapides progrès. Les professeurs me félicitèrent.
Le bruit courut dans la classe qu’il était issu d’une famille de maharadjahs. Je lui posai la question quand je me retrouvai seul avec lui. Il répondit oui avec un sourire dents blanches qui me transporta et dit : « Soyons amis, veux-tu ? Je t’inviterai chez moi. »
Je restai silencieux et lui serrai la main.
Il était nécessaire d’abord et avant tout d’informer ma mère.
Ma mère écarquilla les yeux comme chaque fois qu’elle était surprise. Après s’être pincé les lèvres, elle dit : « N’accepte pas encore. Je vais prendre des renseignements sur eux. »
Ce qu’elle fit, je ne sais comment. Un matin que je beurrais une tartine, elle me dit debout derrière moi : « Ton ami est le fils de l’ambassadeur de l’Inde à Bruxelles. Il est exact qu’il descend des maharadjahs de Kishangârh. Tu feras ce que tu veux s’il renouvelle son invitation. Tu dois comprendre cependant qu’il sera impossible de la lui rendre. Personne ne doit venir ici. »
Recommandation superflue.
En classe, Yagy fut vite un bon élève, parlant et écrivant notre langue de mieux en mieux. Il était le premier pour les mathématiques, cours qui l’ennuyait car il était en avance. Il reçut rapidement une dispense lui permettant d’étudier deux fois par semaine l’algèbre, la géométrie, la chimie et même la physique avec un professeur du collège qui enseignait dans une section de garçons plus âgés.
A la fin de la classe, après seize heures, je le regardais se rendre à ses cours particuliers. Il ne se vantait pas. Pour lui, c’était naturel.
Bientôt le mois de mai et la beauté du ciel. Un matin que nous entrions ensemble dans la cour de récréation – je voyais s’éloigner la Rolls de l’ambassade – Yagy me dit : « Mes parents aimeraient que tu viennes goûter samedi après-midi à l’ambassade. Es-tu libre ? »
Je répondis oui.
***
(A suivre)
_________________
Livres à conseiller :
1) Le Père Michel-Marie Zanotti-Sorkine, D’un amour brûlant, éditions Artège, octobre 2019, 148 pages.
2) Charles Dickens, Les Papiers posthumes du Pickwick Club, Quarto Gallimard, octobre 2019,1009 pages.
3) Vladimir Nabokov, Lettres à Véra, (sa femme), Le Livre de Poche biblio, septembre 2019, 1239 pages.
mar.
31
déc.
2019
Pour certaines femmes, l’histoire de leur couple commence avec le Prince charmant et finit avec Barbe-bleue.
La mode actuelle des couples avec enfants est d’envoyer leurs cartes de vœux toutes imprimées avec adresse, prénoms et noms, et les enfants photographiés dans les paysages les plus variés, palmiers, volcans ou pyramides, mais l’écriture manuscrite est absente, aucune signature même à la pointe bic. Ces cartes de vœux ressemblent de plus en plus à une publicité de grands magasins.
On ne donne jamais assez aux pauvres qu’on rencontre. Soudain, vous apprenez que Z ou X qui dormaient dans la rue, sdf, anciens délinquants perdus et sans repères, sont morts sans secours. Le cœur a des prudences affreuses dans l’acte de charité. A la sortie des églises, en général, les mendiants reçoivent des miettes. Parfois, certains prêtres avertissent les fidèles de ne pas donner tant ils craignent l’envahissement des pauvres dans la Maison de Dieu.
Mieux valent les concerts qui rapportent !
Lire une revue d’astronomie écrase notre orgueil. Que sommes-nous dans cet univers infini ? Ainsi je lis que les planètes dans notre galaxie, La Voie Lactée, sont au moins aussi nombreuses que les étoiles. Il y en aurait au moins 200 milliards, mais seules environ 4.000 sont pour l’heure répertoriées. La plupart des exoplanètes détectées sont des géantes gazeuses, mais les planètes comparables à la Terre, les « super-Terre », seraient majoritaires.
Mon ami, religieux à 18 ans, est mort à 75 ans dans le couvent de sa vocation. Son corps est exposé dans un parloir, cercueil ouvert, avec trois chaises pour ceux qui veulent prier. Mais à part le cadavre allongé, il n’y a personne. Sa famille est à l’étranger et ses confrères sont sans doute trop occupés. O beata solitudo !
A-t-il connu l’amour durant sa vie ? Très peu de monde dans l’église le matin des funérailles. Or, il fut un bon professeur durant plus de trente années. Vite oublié.
« Au Jugement dernier, quelqu’un viendra qui dira : « Seigneur, j’ai écrit Guerre et Paix. » Un autre dira : « Seigneur, j’ai écrit La Montagne magique, où le monde repose sur le sacrifice d’un enfant. » Un autre dira : « Seigneur, j’ai écrit plus de quatre-vingts romans et recueils de nouvelles. » Un autre dira : « Seigneur, moi j’ai reçu un grand prix international. » Un autre dira : « J’ai écrit Finnegans Wake, exprès pour Toi, car personne d’autre ne peut le lire. » Un autre : « Seigneur, voici Cent ans de solitude. On n’a jamais rien écrit de meilleur. » Ils formeront des files et des files, chacun avec sa pile de livres et ses coupures de presse, comme les fondateurs d’églises dessinés dans le naos avec leurs édifices en miniature reposant entre leurs mains. Tous seront soulignés d’arcs-en-ciel et de flux d’énergie, leurs visages éclaireront comme des soleils. Le Seigneur leur dira : « Oui, je les ai bien sûr tous lus avant même que vous les écriviez. Vous avez donné aux hommes des heures de délectation, vous les avez poussés à la méditation et à la rêverie. Vous avez dessiné en trompe-l’œil les plus étonnantes, les plus baroques, les plus ornementales, les plus massives portes sur la paroi intérieure de leur front, sur son os lisse et jaune. Mais laquelle s’est-elle réellement ouverte ? Dans quelle porte a-t-on vu la paupière du front se lever sur l’œil du cerveau ? Quelle porte a permis au cerveau de commencer à voir pour de vrai ? » Un peu à l’écart, il y aura, dans leurs guenilles, Kafka et le président Schreber, Isidore Ducasse et Swift et Sabato, et Darger et Rezzori, auprès de milliers d’anonymes, auteurs de journaux déchirés, brûlés, avalés, enterrés dans le vacarme du temps. Eux, ils auront les mains vides, mais avec des lettres gravées sur la paume : « Maître des rêves, le grand Isachar… » Derrière eux viendront des millions d’écrivains qui n’ont écrit qu’avec des larmes, du sang, de la substance P, de l’urine et de l’adrénaline et de la dopamine et de l’épinéphrine, directement sur leurs organes ulcérés de peur, sur leur peau excoriée d’extase. Chacun portera entre ses bras sa propre peau écrite recto verso, dont le Seigneur fera, en les assemblant entre les couvertures de la naissance et de la mort, le grand livre de la souffrance humaine. »
(Extrait de Solénoid de Mircea Cărtărescu, Editions Noir sur Blanc, août 2019, p.268-269)
Mircea Cărtărescu
Note : Mircea Cărtărescu est un écrivain roumain, né à Bucarest , le 1/06/1956.
Il obtient son doctorat en littérature roumaine en 1999, avec la thèse
"Le Postmodernisme Roumain", sous la direction du professeur Paul Cornea.
Sa thèse
est publiée la même année, par la maison d'édition Humanitas.
Critique et théoricien littéraire, il est un représentant de la Génération '80. À la fin de ses études, entre 1980-1989, il est professeur de roumain, occupant ensuite des fonctions
administratives à l'Union des écrivains roumains, et rédacteur au magazine "Caiete Critice"("Feuilles critiques").
En 1991, il devient lecteur et ensuite professeur, en 2004, à la Faculté des Lettres de Bucarest, spécialité Histoire de la littérature roumaine. Il vit en partie à Bucarest et en
partie en Allemagne où il enseigne à l'université de Stuttgart.
Il est
aussi collaborateur régulier de la presse écrite roumaine.
Actuellement, il est considéré comme un possible candidat au Prix Nobel de littérature.
***
Faute de fidèles chrétiens chaque année plus rares, plus âgés, les églises se vident, sont désaffectées ou désacralisées, c’est bientôt le désert, les jeunes renoncent à assister aux messes, à écouter les homélies ennuyeuses prononcées sans le feu sacré par des prêtres fatigués, qui lisent des textes préparés par une administration de fonctionnaires ecclésiastiques, loin de la vie réelle, des difficultés des couples, des problèmes vécus entre parents et enfants. Tout s’en va, les vocations sont absentes, il n’y a plus de relève. Dieu acceptera-t-il encore longtemps ce reflux ?
Arrivent en Occident les migrants, les fidèles musulmans, pas timides, cherchant des mosquées nouvelles pour leurs imams du Maroc ou de Turquie, prêts à occuper, grâce à leurs importantes ressources financières, les bâtiments chrétiens consacrés et vides.
Le Concile du Pape Jean XXIII fut une catastrophe majeure du XXe siècle avec la critique systématique de l’Autorité et des dogmes. Conséquences : couvents vidés, religieux et religieuses défroqués, divorces multipliés chez les chrétiens, éducation religieuse devenue inexistante, etc.
***
A L’ASILE
________
à A.M
I
Horreur de te laisser à l’asile
Qui va te défendre, s’occuper de toi
Caché derrière plusieurs portes
Fermées à triple tour
Gardé par des infirmières
Qui prennent des airs supérieurs
Quand j’annonce ma visite
J’entends ton nom retentir dans les couloirs
Comme dans une prison
Quel malheur pour toi, pour moi
Cela fait tant de douleurs
Dans le parloir où nous bavardons
Tu annonces la couleur
A tous les visiteurs
Le Royaume de Dieu est proche.
II
Horreur de te laisser à l’asile
Les médicaments ne changent rien
Poussé par la force de Dieu toujours tu proclames
Combien de temps, de jours, de mois, tiendras-tu ?
Ils ne te lâcheront plus
Je t’avais prévenu
Tes beaux yeux gris sont si tristes
Tu me demandes la liberté la sortie
Combien y a- t-il de portes de guetteurs
C’est un très grand malheur
Qui pétrifie mon âme et noircit mon cœur
Couvert de deuil je prends la plume
Pour chanter ton malheur
Exceptionnel ami tant aimé Mon cœur est ravagé
Le Royaume de Dieu est proche.
III
Horreur de te laisser à l’asile
Ta brave mère peut enfin te visiter
Ne comprenant rien, ne sait que faire
T’apporter le linge et des gémissements
Elle est bien résignée
Pour elle tu es mieux à l’asile
Alors que pour toi vive la liberté
Le Royaume de Dieu est proche.
IV
Par toi les pauvres furent recueillis
Nourris logés lavés par toi
Valet de Dieu comme il t’appelait
Felix le pauvre, clochard la misère
Tu l’as couché sur ton lit
Tu dormais sur le plancher
Horreur de te laisser à l’asile
Mon âme est à vif. Je pleure
Le Royaume de Dieu est proche.
V
Le soldat de carrière l’ancien commando
Si pauvre abandonné qui vécut chez toi
Sans rien, le plus pauvre des pauvres
Fut chassé de ton logis par la police
Quand ils décidèrent de t’arrêter
Fut retrouvé par toi
Sous des cartons près de la rue Royale
Tu clamas ta fureur
Quand je t’emportai dans ma voiture
Accueille-le tu m’as dit
J’ai répondu impossible
Qu’est-il devenu, Seigneur, est-il mort
Le pauvre ami de mon ami
Il m’avait demandé de l’aide
Je ne l’ai pas donnée
Horreur de te laisser à l’asile
Le Royaume de Dieu est proche.
VI
Je t’ai mal accueilli
Quand tu étais poursuivi
J’aurais dû faire beaucoup plus
Ouvrir mon cœur davantage
Calmer les battements
De l’émotion J’ai eu peur
Pourtant Jésus m’aidait
Il était là
Mon cœur n’était pas tendre
Quand tu venais dormir
Dans mon salon
Sur le matelas de réserve
Je voulais maîtriser ta force
Que chez moi tu ne proclames plus
Tu en faisais si peu J’ai failli te battre mon pauvre ami
Valet de Dieu comme il t’appelait.
VII
Je devrais tous les jours
Venir te regarder
Me nourrir de ta lumière Et de ta sainteté
Tu n’es pas fou je le sais Dieu qui est jaloux
T’a voulu pour Lui
Et tu as répondu Oui
Me laissant dans ma douleur
Horreur de te laisser à l’asile
C’est un très grand malheur.
VIII
Tu m’as dit
Apporte-moi Jésus
Ici il n’y a pas de messe
Je voudrais communier
Une religieuse passe de temps en temps
Mais souvent elle t’oublie
Tu voulais tant te nourrir de Jésus
L’Agneau de Dieu
Mon pauvre agneau si doux
Quelle tristesse de te laisser à l’asile.
IX
Seigneur Jésus pitié pour nous
Agneau de Dieu pitié pour nous
Qu’on ne lui fasse pas de mal
Qu’il garde votre lumière
Qu’il connaisse votre plan
Mais dans combien de temps
Seigneur mon ami est à l’asile
Il Vous aime tant.
X
Que Votre volonté soit faite
Pour lui
Que Votre nom soit sanctifié
Par lui
Que Votre règne vienne.
Poème de Henri de Meeûs, 15 mai 1994
***
Livres à conseiller :
___________________
- Mircea Cărtărescu, Solénoïde, Les Editions Noir sur Blanc, 791 p. Août 2019
- Jean-Luc Bitton, Jacques Rigaut, Le Suicidé magnifique, Gallimard, 706 p. Octobre 2019
- Tout Homère, Nouvelle traduction, Editions Albin Michel - Les Belles Lettres, 1291 p. Novembre 2019.
- Joseph de Maistre, Correspondance, Paris, Les Belles Lettres, 1534 p. Octobre 2017.
- Michel-Ange, Correspondance - Carteggio, tome 1, 262 p. et tome 2, 270 p. Les Belles Lettres, Août 2011.
- Sainte Catherine de Sienne, Œuvres complètes, Paris Les Belles Lettres, 1657 p. 2019.
dim.
01
déc.
2019
Lire Philippe Muray, c’est recevoir beaucoup, du très bon jusqu’au médiocre. Il faut trier. Ici, je choisis quelques commentaires pris dans le 3e tome de son Journal intime Ultima Necat. Ces textes choisis furent écrits en 1989.
Philippe Muray (1945-2006)
Ecrivain et philosophe français
« Le lynchage comme pratique perpétuelle, comme vice profond constitutif des Américains. La délirante campagne anti-tabac aux Etats-Unis est une forme de lynchage soft. (p. 11)
« La peur de l’intelligence comme passion humaine la plus répandue, la plus exacerbée. Sinon, comment expliquer le succès de romans imbéciles, écrits par des imbéciles, et qui ne font plaisir à personne ? Ils sont lus contre d’autres livres où règne quelque chose que chacun sait irréfutable et souverain, mais dont chacun a intérêt à retarder autant que possible le triomphe humiliant. Restons entre nous.
Il n’existe pas, dans l’histoire de la littérature, de grand écrivain bête (une exception : Hugo).
Il ne doit y avoir de grand écrivain intelligent que mort (Proust).
Ou mort et minimisé quant à son intelligence (Balzac). » (p. 17)
« Tirade de la grand-mère de George Sand qui avait épousé à trente ans, un type qui en avait soixante-deux :
« Est-ce qu’on était jamais vieux en ce temps-là ! C’est la Révolution qui a amené la vieillesse dans le monde. Votre grand-père, ma fille, a été beau, élégant, soigné, parfumé, enjoué, aimable, affectueux et d’une humeur égale jusqu’à l’heure de sa mort. On savait vivre et mourir alors ; on n’avait pas d’infirmités importunes.
Si on avait la goutte, on marchait encore et sans faire la grimace ; on se cachait de souffrir par bonne éducation. On n’avait pas de ces préoccupations d’affaires qui gâtent l’intérieur et rendent l’esprit épais. On savait se ruiner sans qu’il y parût, comme de beaux joueurs qui perdent sans montrer d’inquiétude et de dépit. On se serait fait porter demi-mort à une partie de chasse. On trouvait qu’il valait mieux mourir au bal ou à la comédie que dans son lit entre quatre cierges et de vilains hommes noirs. On était philosophe ; on ne jouait pas à l’austérité ; on l’avait parfois sans en faire montre. Quand on était sage, c’était par goût, et sans faire le pédant ou la prude. On jouissait de la vie, et quand l’heure était venue, on ne cherchait pas à dégoûter les autres de vivre. Le dernier adieu de mon vieux mari fut de m’engager à lui survivre longtemps et à me faire une vie heureuse. » (p. 21-22)
« Comme tout pouvoir, celui des femmes se démontre par l’absurde. En l’occurrence par l’enfant. » (p. 22)
« Sollers croit à un complot autour de la mort de Balzac (p. 77 de Carnet de nuit). Moi je pense qu’il est mort parce qu’il a découvert l’impossibilité d’écrire en étant marié. C’est cette révélation qui l’a tué. » (p. 25)
« Le furoncle des adolescents : la vie s’annonce par le pus. » (p. 27)
« Le Tartuffe progressiste est une idée neuve en Europe.
1989 : Tartuffe dans le charity-business comme un poisson dans l’eau. Enfin !
Le mariage de la Vertu et de la Terreur, de la Mort et de la Morale, c’est 1789-1793. Depuis cette époque, Tartuffe est vraiment opérationnel. Tartuffe manipulateur, conscient ou pas, de la machine à culpabiliser. Comme tel, il est là aussi pour empêcher que la culpabilité soit mise en scène, mise à distance, éliminée (littérature, art). Il est celui qui fait céder les autres sur leur désir propre. Il est la conscience morale communautaire en soi. » (p. 28-29)
« Parmi les innombrables résidus de la barbarie humaine originelle auxquels on s’expose sans défense si on procrée, il y a ceci : que ceux qui ont plusieurs enfants n’ont pas le droit d’en préférer un au détriment des autres. Ils se privent du droit humain élémentaire de choisir. Eventuellement, ils sont même contraints de vivre avec des êtres dont ils deviendraient peut-être des ennemis, ou qui les laisseraient indifférents, s’ils n’étaient pas leurs enfants. (p. 30)
Si on a été vraiment aimé par sa mère, on n’a pas besoin de faire des enfants, on n’y pense même pas, ça ne peut pas venir à l’esprit. » (p. 31)
« Gauguin en 1896 : « A quoi suis-je arrivé ? A une défaite complète.
Des ennemis et c’est tout, la guigne me poursuivant sans trêve (…) plus je vais, plus je descends ; (…) beaucoup de gens trouvent toujours protection parce qu’on les sait faibles et qu’ils savent demander. Jamais personne ne m’a protégé parce qu’on me croit fort et que j’ai été trop fier (…) Je ne suis rien, sinon un raté. » (p. 38)
« Il y a en effet deux espèces, deux catégories : ceux pour qui il n’existe rien après le désenchantement, et ceux pour qui tout commence. Toute mon entreprise est de faire sentir la richesse et la joie de l’au-delà du désenchantement. » (p. 41)
Muray cite une célèbre lettre ouverte de Flaubert datée de 1872 adressée au conseil municipal de Rouen :
Conservateurs qui ne conservez rien,
Il serait temps de marcher dans une autre voie – et puisqu’on parle de régénération, de décentralisation, changez d’esprit ! Ayez à la fin quelque initiative !
La noblesse française s’est perdue pour avoir eu, pendant deux siècles, les sentiments d’une valetaille. La fin de la bourgeoisie commence parce qu’elle a ceux de la populace. Je ne vois pas qu’elle lise d’autres journaux, qu’elle se régale d’une musique différente, qu’elle ait des plaisirs plus relevés. (…) Pour être respecté par ce qui est au-dessous, respectez donc ce qui est au-dessus. (…) Classes éclairées, éclairez-vous ! (…)
A cause du mépris pour l’intelligence, vous vous croyez pleins de bon sens, positifs, pratiques ! Mais on n‘est véritablement pratique qu’à la condition d’être un peu plus… Vous ne jouiriez pas de tous les bienfaits de l’industrie si vos pères du XVIIIe siècle n’avaient eu pour idéal que l’utilité matérielle. » (p. 74-75)
(Extraits de Ultima Necat, tome 3, Journal intime 1989-1991 de Philippe Muray, Editions Les Belles Lettres, octobre 2019)
°°°
Acheter un nouvel ordinateur est devenu une aventure périlleuse. Faire migrer tout le contenu de l’ancien PC vers le nouveau suscite stress, anxiété, énervement. Ne rien perdre, tel est le mot d’ordre. Gare aux erreurs ! Chaque ordinateur a sa vie propre, sa manière d’organiser, de classer, de montrer. Il faut avoir les nerfs solides, ne pas montrer sa crainte ni sa rage. Génération connectée et maudite, manipulant des outils diaboliques qui la piègent. Regarder ces pauvres zombies, hommes, femmes, marcher dans la rue en pianotant frénétiquement leur appareil gsm ou autre tablette, IPAD, IPOD, à la recherche de l’amour qu’ils ne trouveront pas.
°°°
Mon chien est tellement beau que partout où elle passe, on agite les palmes, on entonne les chants d’amour, on s’approche à genoux face à un être divin, sorti du paradis pour m’accompagner.
°°°
Le chien est un ange gardien visible. C’est l’invisible qui le tient en laisse. J’ai vu parfois des ailes aux plumes bleutées sur les flancs de mon lévrier.
°°°
Le pur amour et la Joie sont les sentiments les plus élevés que l’être humain puisse connaître dans sa vie. Les plaisirs du sexe ne donnent pas la joie. Ils finissent par détruire l’amour. Montherlant avait raison d’écrire ; « Tout ce qui est atteint, est détruit. »
°°°
Ne jamais oublier que nous sommes en Dieu, que tout est en Lui, que nous n’existons que par son bon vouloir, son amour, sa puissance.
Que votre volonté soit faite ! Fiat !
Ne pas oublier de Le remercier pour son aide infatigable. Et ne pas nous jeter dans l’ordure alors que nous sommes des êtres sacrés, même s’Il nous pardonnera en bout de course. Mais ne Le lassons pas.
°°°
C’est lors des partages dans une succession qu’on s’aperçoit de l’existence ou de l’inexistence de l’amour au sein d’une famille. Que de bonnes et de mauvaises surprises. Rompre avec ceux qui sont malhonnêtes ou toxiques.
°°°
La vieillesse permet de connaître des joies délicates, exquises, données par le pur amour.
°°°
Il faut apprendre vite à se forger une armure pour ne pas être blessé par ce qui vous humilie. Ne pas répondre à ceux qui vous meurtrissent. S’en éloigner suffira.
Tout est vanité, oui, on vit dans la bataille des vanités. Cela finit par un massacre général. Mieux vaut lutter et rompre le combat. Lutter jusqu’à la mort pour sauver sa vanité est une erreur. Ne jamais oublier que chaque être, sauf exceptions, cherche d’abord à sauver ses intérêts, ou celui de ses jeunes. Derrière les beaux sourires, les calculs et l’argent.
°°°
Si loin
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Feu de joie, cadeau de Dieu
Avant ma mort,
Coup de trompette qui réveille ma vieillesse
Que viennent les terreurs
Je crierai ton nom pour les éloigner
Devant tant de beauté, le mal se tétanise
Un baiser n’est pas un péché
Je ne suis pas Judas
Comment t’oublier ?
Comment te dire je t’aime Tu es si loin,
Si loin
Ton visage magnifique se brouille mais
Tes yeux d’un bleu de vague sombre
M’éclairent jour et nuit
Au profond de mon âme
Fait-il beau à Varsovie ?
Ici je me gèle.
Poème d’Henri de Meeûs,
Novembre 2019
°°°°°°°°°
L’HOMME EST UNE BULLE
(Extrait des Adages d’Erasme, n°1248)
Le proverbe nous enseigne que rien n’est plus fragile, plus fugace, plus vain et plus vide que la vie humaine. En effet une bulle est cette forme gonflée et vide que l’on voit surgir dans l’eau et s’évanouir en un instant. Varron dans sa préface aux livres de l’Economie rurale dit : « Songeant qu’il faut se hâter, si, comme on dit, l’homme est une bulle, et le vieillard d’autant plus. Car ma quatre-vingtième année m’invite à faire mes bagages avant de quitter la vie. »
Lucien aussi, dans Charon, compare la vie des hommes à des bulles : les unes sitôt nées disparaissent, d’autres durent un peu plus longtemps, mais toutes se succèdent à de très brefs intervalles.
Aristote, dans ses Politiques, et au livre 3 de la Rhétorique, affirme que la vigueur du corps humain décline vers trente-cinq ans, celle de l’esprit vers la quarante-neuvième année.
Hippocrate donne comme âge extrême de la vie quarante-neuf ans. Or, si on enlève l’enfance et la vieillesse, je vous le demande, quelle petite part nous sera laissée ? Et cette part, même circonscrite entre de telles limites, mille sortes de maladies chaque jour l’assaillent, et autant de malheurs sur elle s’abattent : effondrement de maisons, empoisonnements, naufrages, guerre, tremblements de terre, chutes, foudroiement… Et que dire encore ? L’un s’est étouffé en avalant un grain de raisin ; un autre s’est étranglé à cause d’un poil avalé dans du lait. Sans compter cet autre encore qui est mort tué par un bloc de glace très dure tombé du toit. Et c’est cette créature qui fait tant de vacarme et qui trouve ce monde encore trop étroit pour ses désirs !
Sophocle dans Ajax : L’homme n’est rien d’autre qu’une ombre ou un souffle.
(Extrait des ADAGES d’Erasme de Rotterdam, volume 2, p. 172, Edition Les Belles Lettres, 2011).
Note : Les Adages (latin Adagia) sont un recueil d'adages grecs et latins, compilés par Érasme, célèbre humaniste hollandais de la Renaissance, accompagnés d'un bref commentaire. La première édition est publiée sous le titre Collectanea Adagiorum à Paris en 1500. Devant son succès, 16 éditions paraissent du vivant d'Érasme qui les augmente à dix reprises (de 820 adages en 1500 à 4 151 en 1536 dans l'édition de Bâle). L'ouvrage en tant que trésor de la sagesse antique s'appliquant à la vie moderne reste un best-seller tout au long du xvie siècle, jusqu'à sa mise à l'Index en 1559 par le concile de Trente qui le juge trop subversif.
Erasme (1466 ?- 1536)
dim.
03
nov.
2019
La souffrance intolérable des chômeurs, jeunes ou vieux, qui sont des rejetés ou se considèrent tels, après les centaines de lettres de candidatures adressées tout azimut, sans jamais de réponse, sans avoir été convoqués à un premier entretien, sans avoir eu l’occasion de s’exprimer, d’être vus et écoutés, ne fut-ce que par un seul employeur.
Le sans-emploi finit par être écrasé par la pression sociale : il devient l’incapable-de s’intégrer-dans-la-société, la seule qui compte, celle des travailleurs, celle de ceux qui gagnent leur vie.
Il ne trouve pas de solution.
Ligoté par sa famille dans un domicile peu confortable, exigu, il faut s’occuper des enfants, le bain du matin, les couches, les biberons, les panades, supporter les cris perçants, faire manger, surveiller le bambin qui, à quatre pattes, déambule sur le modeste parquet tandis que l’épouse a dit, à ce soir, laissant seul le père humilié car elle a un petit job qui les aide à faire face aux dépenses. S’il reçoit des indemnités de chômage, cela ne suffira pas pour l’achat d’une voiture, les taxes, le chauffage et l’électricité ; pas de sorties, pas de cinémas ni de restaurant, pas de vacances ou très courtes chez les beaux-parents qui ont un bungalow à la mer.
Il faut affronter les regards des frères et des soeurs, des beaux-frères et des belles-sœurs, et des cousins lors des réunions de famille, où on lui dira : « Alors que deviens-tu ? » Ses proches ont réussi à entrer dans le système, celui des esclaves qui perdent leur vie à la gagner, mais qui ne vivent pas, comme lui, dans la solitude étouffante des laissés-pour-compte. Il porte les stigmates de celui qui ne compte pas.
Il se laisse aller, ne se rase plus qu’une fois par semaine, néglige ses vêtements, ses cheveux ne sont plus peignés, son vieux pull-over a des taches, il mange peu à midi, cuisiner le fatigue, il manque d’appétit, a la langue blanche. Il s’allonge l’après-midi une heure ou deux sur son lit, alors qu’il a promis à sa femme qu’il promènerait, pour l’aérer, l’enfant dans la poussette, mais il a préféré le garder au lit et allonger la sieste jusqu’à ce que bébé crie, alors il se relève, il lui donne son goûter, un petit beurre écrasé dans une purée de bananes.
Une heure avant le retour de sa femme, il met en marche l’aspirateur dans le living et la chambre à coucher, efface les poussières de-ci de-là, refait le lit conjugal où il n’a plus vécu l’extase depuis des mois, prépare sur la table de la cuisine une salade vinaigrée, des tranches de fromage, et du pain gris qu’accompagnera une bouteille de vin rouge pas cher.
Quand elle rentre, c’est elle qui couche l’enfant.
A table, face à face, il lui trouve les traits tirés. Il boit deux verres pour se donner du courage. Sa femme retire vite la bouteille. Elle n’aime pas l’alcool. Il la laisse mettre de l’ordre dans la cuisine, la vaisselle à ranger, tandis que dans le canapé, il regarde les nouvelles sur TF1, et parfois un match de foot qui fera fuir sa femme. « Je vais me coucher, dit-elle, ne reste pas longtemps dans le living ».
°°°
L’impudeur des films, surtout celle dans les séries actuelles, parfois bien filmées, dans lesquelles les metteurs en scène se croient obligés de placer dès le début une scène d’étreinte, (non pornographique heureusement), d’une effroyable vulgarité, où l’homme est brutal et la femme dégoûtée s’accroche à lui comme une grenouille. Ces acteurs et actrices obligés sous peine de ne pas obtenir le rôle, de se soumettre à ce qui est devenu « normal », ce qui les dégrade comme sont dégradés les spectateurs à qui sont servis des films aussi ignobles que les films pornos.
On regrette les baisers des actrices d’Hitchcock et le train qui entre dans le tunnel !
°°°
Le drame de la sexualité est son manque de variété, de découvertes, ses limites. Les obsédés du sexe sont des êtres peu humains. Si le moteur du couple est le sexe, on peut parier qu’il sera la cause première de la séparation, du divorce, dans les disputes et les cris. Le sexe permet la reproduction, l’arrivée d’autres vivants, mais ne peut garantir la durée du couple.
C’est l’horreur de ces mariages où l’homme et la femme très vite n’ont plus rien à se dire, vu que leurs corps sont devenus ennuyeux à explorer.
L’homme et la femme qui s’aiment encore, malgré le temps qui passe, ont placé le sexe après l’amitié. Encore faut-il que les esprits se reconnaissent et s’acceptent.
°°°
Me font rire les hommes célibataires, dans la quarantaine, qui disent : « Quand j’aurai des enfants ! »
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Avec Dieu, à mon avis, il faut mettre en premier la reconnaissance ou le remerciement avant la demande. Notre Créateur connait nos besoins mieux que nous. C’est à nous de nous débrouiller d’abord, de faire face aux obstacles, sachant qu’Il est à l’arrière-plan et ne nous lâche pas des yeux.
Si nous tombons dans le péché ou la maladie, Il est le premier à prévenir notre chute et à nous relever.
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Que de femmes sont malheureuses, solitaires, fatiguées, gémissantes, abandonnées, trahies, esclaves de parents âgés ou malades, ou victimes d’enfants ingrats qui règlent leurs comptes, qui refusent de leur parler – pas un téléphone, pas un sms – et qui empêchent les grand-mères de connaitre leurs petits-enfants.
Nulle visite quand elles seront malades, alitées ou démentes enfermées.
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Je n’envie pas les vieillards qui continuent à faire du sport. Les voir courir en short et camisole de couleur, un bandeau autour de la tête pour arrêter la transpiration, observer leur course saccadée à petits pas déhanchés vers l’infarctus, est un spectacle risible et pathétique.
L’agonisant refuse la mort prochaine et montre qu’il est encore en vie pour bien nous emm…
°°°
Rien de tel pour réconforter un déprimé que de l’inviter au restaurant. J’en ai guéri plus d’un par de bon repas offerts dans un joli décor et servis avec respect. Le fait de changer de cadre permet au dépressif d’oublier ses idées noires et ses ruminations. Cela demande de la patience mais c’est efficace. Les déprimés souffrent d’un manque d’égards.
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Il est illusoire de penser que les vivants s’intéressent à leurs défunts. Il suffit de voir dans les cimetières les tombes défraîchies, abandonnées, les pierres tombales non fleuries à la Toussaint ou brisées sous l’effet de pluies et du gel de plusieurs hivers. Interrogez un jeune de plus de 15 ans ! Il ignore les noms et prénoms de ses arrière-grands-parents, et peut-être ne faut-il pas remonter si haut dans le temps. Connaît-il seulement le nom de jeune fille de sa mère ?
Pauvres morts, pauvres créatures disparues après avoir enduré tant de soucis et de peines que vous avez tues. Vous avez supporté une fin de vie, avec les handicaps et les maladies des vieillards, en chaise roulante, au lit, peu visités par des enfants ingrats toujours trop occupés, et pour certains, le suicide comme dernière échappée. Vous fûtes aussi entourés par des enfants morts, et vos importantes fortunes ne comblèrent pas vos chagrins.
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Dernier salut
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Je voudrais te dire bonjour, te prendre par la main
Toi que j’aime depuis longtemps
Que je ne vois plus
Tes séjours à l’étranger, des marchés à conclure, turelure,
Les belles d’amour s’amusent sur les plages.
Permets que mes doigts s’accrochent à tes cheveux
Que je tâte ton crâne sur ton cou dressé de bonne mine
J’épingle sous mes ongles un pou qui se balade.
Tu fermes les paupières sous ma caresse douce
Tes lèvres s’entrouvrent je vois le rose de ta langue
Tu ne parleras pas, mon cœur s’est emballé
Approche un peu que nos bouches s’épousent.
Ecoute les battements ding dong
C’est l’heure de monter nous coucher
Nous couvrir des linceuls que la vieille nous tend
Qui fermera sur nous la boîte du cercueil.
Poème 2019
H de Meeûs
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Conseils de lectures :
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1°) J-K Huysmans, Romans et Nouvelles, Pléiade Gallimard, 1.791 pages, octobre 2019.
2°) Philippe Sands, Retour à Lemberg, Albin Michel, 2017, 539 p.
3°) Jean-François Solnon, Histoire des favoris, 445 pages, Perrin, septembre 2019
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Un grand écrivain français Joris-Karl Huysmans (1848-1907) chez lui
Huysmans naît le 5 février 1848 au no 11 (actuel no 9) de la rue Suger dans le 6e arrondissement de Paris, d'un père néerlandais du nom de Godfried Huysmans, lithographe de profession, et d'une mère française, Malvina Badin, maîtresse d'école. Il passe toute son enfance dans cette maison. Il fit toute sa carrière au ministère de l'Intérieur, où il entra en 1866. En 1880, il collabore au journal Le Gaulois, hostile à l'expulsion des jésuites décrétée par le gouvernement. Sous la pression de ses supérieurs hiérarchiques, il cesse sa collaboration. En tant que romancier et critique d’art, il prit une part active à la vie littéraire et artistique française dans le dernier quart du XIXe siècle et jusqu’à sa mort, en 1907.Défenseur du naturalisme à ses débuts, il rompit avec cette école pour explorer les possibilités nouvelles offertes par le symbolisme, et devint le principal représentant de l’esthétique fin de siècle. Dans la dernière partie de sa vie, il se convertit au catholicisme, renoua avec la tradition de la littérature mystique et fut un ami de l'abbé Mugnier. Atteint d’un cancer de la mâchoire, J.-K. Huysmans mourut à son domicile parisien le 12 mai 1907, et est inhumé à Paris au cimetière du Montparnasse. (Wikipedia)
En octobre 2019, Gallimard lui consacre un livre dans la Collection de la Pléiade, où sont repris ses Romans et ses Nouvelles : Marthe, Les Sœurs Vatard, Sac au dos, En Ménage, A Vau-l’eau, A Rebours, Un Dilemme, En Rade, Là-bas, En route.
mer.
02
oct.
2019
Pour rire un peu ou l’humour de Montherlant, par Henri de Meeûs
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(Extraits de « Les petits personnages comiques dans les romans de Montherlant » par Henri de Meeûs, conférence prononcée à l’Institut Catholique de Paris au Colloque L’Imaginaire de Montherlant du 22 au 24 novembre 2012).
“Le monde contemporain est un mélange détonnant de tragique et de grotesque. Le tragique, qui ne le voit. Le grotesque, peu de gens surtout parmi ceux qui contribuent à créer ce grotesque.” (Le Chaos et la nuit, Montherlant)
Première cible : Les fonctionnaires et les notaires
Examinons un des plus grands romans de Montherlant, publié en 1934, qui n’a pas pris une ride, Les Célibataires.
Pourquoi tant de haine à l’égard des fonctionnaires, dira-t-on ? Parce que Montherlant a été marqué à vie par le manque d’aisance financière de ses parents. Son père, Joseph de Montherlant, est nommé “expéditionnaire stagiaire” au ministère des cultes en1890; il était lui-même le fils de Frédéric de Montherlant, “sous-chef de bureau” au ministère des Finances. La situation de fonctionnaire modeste de ses père et grand-père a dû humilier l’orgueil de l’écrivain qui n’avait pas d’atomes crochus avec son père, mais qui est parvenu malgré tout à “rehausser” post mortem Joseph de Montherlant en lui accordant une dalle funéraire dans le cimetière du village de Montherlant, où pour l’éternité Joseph portera le titre de comte auquel il n’avait pas droit, ce qui aura fait sourire ses beaux-frères Riancey et Potier de Courcy vicomtes et barons véritables.
Même chose pour les notaires. La chère grand-mère de Montherlant, la comtesse de Riancey s’est débattue à la fin de sa vie avec des problèmes financiers, conséquence de la vie prodigue de son époux le comte Emmanuel de Riancey qui, camélia à la boutonnière, l’avait ruinée.
Les parents de Montherlant eurent un mariage qui donnait l’apparence de richesse mais qui, en réalité, ne l’était pas du tout. Les Riancey sauvaient la face ! Le trousseau (exposé) de la mariée, mère de Montherlant, avait été loué pour la journée…
Ensuite, Montherlant fut confronté à plusieurs successions, son père en 1914 puis sa mère en 1915, enfin la grand-mère Riancey en 1923, et plus tard celle de son oncle Henry de Riancey, dit l’oncle Noute. Montherlant a très bien connu le milieu du notariat et tout ce qu’il implique comme tracasseries, lenteurs, discussions et dépenses.
Un premier petit personnage moqué dans Les Célibataires est celui d’une dactylo travaillant dans l’étude du notaire Lebeau et du premier clerc Bourdillon. Voici la phrase : (M. de Coantré est assis dans l’antichambre, qui fait salon d’attente) (…)
M. de Coantré jetait à la dérobée des regards sur une des dactylos, jeune personne infiniment aimable, et avec de belles moustaches, car elle était la fille d’un commandant en retraite natif du Perigord. [6]
Ensuite, Coantré toujours dans l’antichambre du notaire voit ceci :
Tout à coup du bureau de Bourdillon sortit en coup de vent un monsieur au visage congestionné. Ses yeux bleu de ciel, les poils qu’il avait sur le nez, son teint couperosé, tout indiquait un homme d’honneur. Il fonça vers M. de Coantré et, les yeux lui sortant de la tête, il dit –C’est vous qui êtes le requérant ? - Je ne crois pas…dit M. de Coantré, se levant comme s’il parlait à son supérieur, et tournant les yeux vers la demoiselle à moustaches, pour lui demander s’il était le requérant. Mais l’officier de cavalerie (car c’en était un) fit un changement de main sans attendre sa réponse, et disparut du côté des bureaux, laissant le comte tout ébaudi. [7]
Plus tard, le Notaire Lebeau :
Un homme d’une trentaine d’années, élégant, à la dégaine de noceur, Lebeau ! Ce jeune crevé, hâve, voûté, avec sa coiffure de rhétoricien – ces deux bandeaux lui retombant sur les tempes – son air de vice et de facilité ! De là à penser que ce danseur mondain fût le manitou, fût le maître…En quelles mains était donc sa destinée ! (…) Il est à peine besoin de dire que Lebeau n’était pas au courant de la succession Coantré, ou ne l’était que très vaguement. Il était d’ailleurs peu au courant des affaires de son étude. Son rôle dans la maison était le rôle des patrons, quand ils sont incompétents : il consistait à compliquer les choses, en voulant y fourrer son grain de sel, pour montrer qu’il est le patron. [8]
Un autre notaire dans Le Démon du bien : l’étude du Notaire S…
Les usages veulent qu’une étude de notaire français soit un lieu très poussiéreux et malpropre, comme si par- là était affirmé le sérieux de la maison, et que dans ce taudis-sanctuaire on ne s’arrête pas aux apparences. L’étude de Maître S…était conforme aux usages. Dans un fauteuil d’osier, épave, eût-on dit, de quelque pension de famille de troisième ordre, où des générations de derrières d’institutrices l’eussent défoncé, Costals attendit son tour, rayonnant d’humilité. M. le premier clerc de l’étude S…, cinquante-huit ans, cinquante-quatre pour les dames, était ignoble des pieds à la tête. Mettons de la tête au nombril, car, assis à son bureau, on ne le voyait que jusque-là (…). Il avait l’air d’un sous-chef de bureau dans un ministère, mais dans un ministère pas chic. [9].
N’oublions pas que le père et le grand-père de Montherlant furent des sous-chefs de bureau de Ministère. Alors ? Règlement de comptes inconscient ?
Dans Le Chaos et la nuit, un autre Notaire :
Le notaire est en complet noir, avec un col empesé et des lunettes. Il se trompe dans ses calculs. Tout le monde s’affaire pour retrouver l’erreur. Celestino malgré son idiotie, découvre l’erreur le premier. (…). De ce moment il sent que la haine du notaire contre lui s’est accrue. (…). Le notaire est vexé, devient insolent. (…) Le notaire, le beau-frère, ce sont seulement des combinaisons de morceaux de calcaire, reliés entre eux par de la viande, et puis un système de filaments dits nerfs, et un je ne sais quoi qui permet à cette mécanique d’être malfaisante jusqu’à l’atroce, alors qu’un rien – une petite balle – suffit pour la rendre inoffensive sans retour. C’était atroce, et en même temps ce n’était pas sérieux, ou plutôt ce n’était sérieux que parce que chacun entrait dans la convention qu’il était interdit de détruire la mécanique. [10]
Deuxième cible importante des moqueries comiques : les médecins
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Henry de Montherlant |
Le docteur Gibout dans Les Célibataires. Coantré vient consulter le docteur Gibout car il a eu des étourdissements. Gibout est féru de généalogie et plutôt que d’ausculter son patient, il l’interroge d’abord sur les liens de parenté de Coantré avec plusieurs familles de la région :
Coantré regardait cet homme sale, respirant une vulgarité puissante, ce bouvier débraillé, plein de fureur pour la condition. (…) Gibout, l’auscultant, lui fourra sous le nez sa tête graisseuse, étoilée de pellicules ; il sortait du médecin une violente odeur de mâle mal tenu. Ensuite, il fit respirer Léon, et prit sa tension. -Tout cela est en parfait état, monsieur de Coantré, dit-il enfin. Vous n’avez rien. Je n’ai qu’un mot à vous dire : sé-cu-ri-té to-ta-le et ab-so-lue. (…) Etre malade, avec un médecin qui ne veut pas que vous soyez malade, eh bien ! je suis dans de beaux draps. (pensait Coantré.) [11]
Autre exemple, le psychiatre visité par Exupère jeune homme pour se faire réformer dans Un Assassin est mon maître :
Exupère pensa tout de suite que la meilleure maladie à simuler pour quelqu’un qui n’en a pas est la maladie nerveuse (…). Il alla donc visiter le célèbre psychiatre du moment, quartier Monceau, piano à queue, comtesses, clarté française, visées académiques. Le célèbre psychiatre diagnostiqua de l’hyperémotivité, il prononça le mot de paranoïa, mais pour le rejeter, et ne prononça pas le mot de neurasthénie mais asthénie nerveuse, qui est beaucoup mieux. Il fit docilement, en vrai homme du monde, le certificat que lui dicta Exupère, en vue du Centre de réforme : syncopes, palpitations, angoisses. Il ne donna pas de traitement, mais des citations littéraires et d’excellentes paroles mondaines : “Vous ne devez pas vous considérer comme un malade” (c’était tout juste le contraire de ce que mijotait Exupère), “Vous verrez un jour comme c’est bon, la vie” (le docteur devait mourir dans les six mois), “Il faut être l’amant de sa femme” (le docteur était divorcé). “Comment l’as-tu trouvé ? demanda Mme Exupère à son fils - Je l’ai trouvé cher. [12]
On ne peut s’empêcher de confronter ce portrait du psychiatre ridicule avec la trop longue préface demandée par Montherlant à Jean Delay, académicien français, pour Un Assassin est mon maître ! Comment ne pas voir que Montherlant a voulu se moquer aussi de son illustre confrère médecin psychiatre se perdant dans un diagnostic confus au sujet des troubles d’Exupère !
Un autre médecin dans Un Assassin est mon maître, est le Docteur Poitiers envoyé par Saint Justin à Exupère qui est au lit accablé par ses Papillons Noirs :
Vers midi, on frappa (…) Entra un jeune monsieur d’une trentaine d’années, moustachette et cheveux noirs, teint très sombre. “Je suis le docteur Poitiers. C’est M. Saint Justin qui m’envoie. Vous êtes souffrant ? »
Exupère, terrifié, avait ramené sur lui le drap, jusqu’à son menton. Pas lavé, pas rasé depuis deux jours, les draps sales, la chambre pas faite. (…)
- Je n’ai rien, et je retournerai demain à la bibliothèque. Vous pouvez en donner l’assurance à M. l’Administrateur. J’ai eu peut-être un coup de chaleur.
- Evitez autant que possible la chaleur, dit le docteur Poitiers. (…) Le médecin partit, refusant d’être honoré. Il avait ordonné de l’aspirine. (…) Exupère jeta un coup d’œil sur l’ordonnance, et lut : Ce soir deux comprimés à l’heure du décès. Il sursauta et relut. Oui, c’était bien “à l’heure du décès”. – Ah! non, c’était à l’heure du dîner”.
Il se dit : “Les gribouillages des médecins sont bien connus. Ce qu’on ignore généralement, ce sont leurs buts : celui-là était de me faire crever”. [13]
Dans Les Garçons, on lit ceci sur les médecins :
“Mme de Bricoule jugeait – et avec raison – que ses médecins la soignaient très mal, et elle les détestait. La consolation des mourants est de penser à la mort de leur médecin.”
En effet, Marguerite de Riancey, la mère d’Henry de Montherlant, fut une éternelle malade, qui dépensa des fortunes en médecins (qu’elle changeait sans cesse) et en médicaments – selon les dires de son beau-frère le comte (romain) Begin Billecoq qui l’a répété dans ses souvenirs. On comprend pourquoi Montherlant dans ce dernier roman superbe Un Assassin est mon maître se déchaînera aussi contre le corps médical.
Troisième cible : les aristocrates
Montherlant a écrit dans ses Carnets :
Etre noble, c’est y penser toujours et n’en parler jamais.
Montherlant a dit à la fin de sa vie dans une dernière interview :
Les Millon de Montherlant sont de la petite noblesse mais d’une noblesse certaine.
Montherlant a toujours eu horreur des groupes, des partis. Il ne veut pas être classé. Il est solitaire et aristocrate.
Je n’ai que l’idée que je me fais de moi pour me soutenir sur les mers du néant.
Montherlant au fur et à mesure de sa vie a réellement incarné le blason des Montherlant, c’est-à-dire la tour en flammes surmontée des 2 épées. Sa vie a fini dans un grand retranchement, dans un fortin ; il s’est identifié au solitaire dans la tour assiégé par ses ennemis. Mais quoiqu’ en retrait, il ne pouvait s’empêcher d’observer le monde et d’en décrire le grotesque et le ridicule, parfois avec férocité. Il a fini sa vie en écrivant cette phrase qu’il met dans la bouche de Célestino :
Que tout disparaisse, puisqu’il va disparaître ; qu’il ne laisse rien et n’ait rien à regretter. Comme il était agréable de leur fausser à tous compagnie ! [14]
Mais tant que l’œuvre n’est pas achevée, il ne se privera pas de montrer le grotesque et le ridicule de ses contemporains !
Exemple, dans Les Célibataires, cette moquerie de la haute aristocratie. Ici Montherlant ridiculise la double “qualité” haute naissance et dame d’œuvre : une visiteuse impromptue, une marquise, entre dans le jardin où travaille le comte de Coantré :
- Le comte de Coantré est-il là ?
- Non Madame, il est absent de Paris en ce moment, dit Léon. Ce n’était pas la première fois qu’un visiteur le prenait pour le jardinier ou pour un homme de peine, accoutré comme il l’était, et cela l’amusait beaucoup.
- Oh ! mais comme c’est ennuyeux ! dit la vieille dame, d’une voix haute et flûtée, et avec l’accent d’une conviction plus belle que nature : voix et accent qui, à eux seuls, l’auraient trahie pour une personne du grand monde.
(Léon finit par avouer qui il est.)
Je vous ai reconnu à vos yeux ! Vous avez les yeux des Coantré ! S’écria la vieille dame, avec une voix de buccin (car les femmes du vrai grand monde, c’est tout l’un ou tout l’autre : ou elles exhalent des sons exténués, ou elles poussent des cris effrayants). Je suis la marquise de Vautiers-Béthancourt, une vieille amie de votre chère maman. Sans doute ne me connaissez-vous pas ; c’est que je vis presque toujours en Sologne, dans ma petite masure (c’était un splendide château historique). Et pourtant, que de fois je suis venue ici voir votre chère maman ! (elle était venue une fois, il y avait quinze ans).” [15]
Ensuite dans Les Jeunes filles, l’épisode de la baronne Fléchier raconté dans une lettre de Costals à un de ses amis Armand Pailhès :
Il y a trois ans, la baronne Fléchier, femme de cinquante ans et plus, me persécuta. Un jour, la minuit passée, au cours d’un tête à tête qu’à la force du poignet j’avais maintenu jusque-là dans le sublime, elle me met enfin ses vieux bras blêmes sous le nez en me disant : “Vous êtes le premier homme reçu par moi à cette heure, qui n’ait pas baisé mes bras.” Dans cette extrémité, il me fallut bien lui enfourner une raison (…) Je lui dis que malheureusement, je n’avais pas le désir des femmes. Comme je garde fort enfouies mes liaisons, cela pouvait passer à la rigueur. [16]
Dans La Rose de sable, un autre noble mais cette fois militaire, le capitaine vicomte de Canadelles, se trouvant avec ses lieutenants, leur disait :
Vous permettez, Noël ? Vous permettez, Girard ?” et, levant la jambe droite comme un chien qui va pisser, lâchait un vent, et plus loin, même manège, et plus loin encore, il était dans une grande tradition [17] (…) On vit descendre (de l’automobile) un petit capitaine à la taille de guêpe, aux jambes arquées d’homme de cheval, et au fond de culotte trop large, de sorte que, avec ses jambes en cerceau, il avait l’air de s’être oublié dedans, et de faire des efforts pour ne pas se mouiller.(…) Le capitaine vicomte de Canadelles, chef de poste, avait des oreilles de chauve-souris, très fin- de-race, des moustaches pâles, mais ce qui retenait surtout, c’étaient ses yeux, simulant à eux deux la forme d’un accent circonflexe, que reproduisaient elles aussi ses moustaches, et toutes ces lignes tombantes lui donnaient une expression malheureuse, accentuée par sa peau fanée, et de lourdes poches bouffies sous les yeux. A son air excédé, on aurait dit un père de cinq enfants. [18]
Quatrième cible : le public, celui des simples et celui des riches snobs
D’abord celui des simples
Dans Le Chaos et la nuit, la description du square de
la Place d’Anvers :
Un apprenti aux mains grises faisait faire à son petit frangin, pour la dixième fois, le tour du square, afin qu’il dorme cette nuit comme un tonnerre de Dieu, et ne réveille pas papa-maman à deux heures du matin, pour leur demander de lui acheter une patinette. Et toujours autour des bancs, les marmousets, les pauvres, étaient en proie aux piles électriques, qu’ils avaient le malheur d’avoir pour mères. “Touche pas !” - “Pourquoi ?” - “Faut rien toucher.” Le gosse (avec une culotte si courte que la bébête passait le nez par une des manches) essayait autre chose. – Veux-tu pas courir !” - “Pourquoi ?” - “Parce que.” Le gosse essayait autre chose. – Amuse-toi donc, idiot ! Tu n’es pas venu ici pour rester planté comme un imbécile. [19]
Sur le trottoir gluant, la foule à Paris, dans Les Lépreuses :
Au-dessous de Costals, sur le trottoir gluant, coulait le peuple des hommes, des sous-hommes et des femmes, un grand purin qui se séparait en deux au pied du temple, (…). L’ignominie de cette foule parisienne, jadis il l’avait haïe. Maintenant cette ignominie, il l’aimait: “C’est ma matière.” Le gorille latin, le ouistiti parisien, la pétroleuse à teint de limande, le sans-culotte à la bouche cloaqueuse et à la voix de fille, tous ces gens gris tendus vers le mal faire (…), tout ce débraillé judéo-latin (…) qui horrifie et fascine le décent Nordique, parce qu’il témoigne du débraillé intérieur et promet qu’ici tout est possible. [20] (…) Ces femmes moutonnantes, avec leurs pétards plantureux, leurs faces couvertes de crème comme des tumeurs couvertes d’onguents, il ne se faisait pas d’illusion sur elles, certes, et il reconnaissait qu’elles ne méritaient guère d’être voulues. Son désir, c’était seulement de mettre un sceau, (…) sur chacune d’elles, et ensuite de n’en entendre plus parler : cela pour le plaisir qu’a un propriétaire campagnard à voir s’étendre ce troupeau d’ovins tous marqués de sa marque. [21]
Description du square Willette dans Le Chaos et la nuit :
Passaient un Chintok, rêvant d’acupuncture ; des Mongoliennes attendant l’âge où elles meurent, qui est quatorze ans ; d’augustes vieillards en train de lécher avidement, en tirant de longues langues, et avec l’expression ad hoc, des cornets de glace ; des jolies filles dont il arrivait quelquefois que leur compagnon fût un Français (un technicien).
(A côté de Célestino) Une mère à ongles rouges s’était installée, et donnait le biberon à un jeune veau, son fils. [22]
Au café de Bondy où Célestino a ses habitudes :
Les filles de ferme, couvertes d’or, buvaient d’un air pénétré le Martini. Pour le gosse de cinq ans était commandé par sa mère l’apéritif ; elle grondait le gosse s’il n’en avait pas envie. Des clients étaient attablés devant de la choucroute et de la bière : Célestino leur jetait un regard homicide, parce qu’il n’aimait ni la choucroute ni la bière. Dans toute la salle archipleine, il n’y avait de distingué que le noir. Distingué et mélancolique. Distingué parce qu’il n’y avait que lui à déjeuner seul ; mélancolique parce qu’il savait que, quelles que dussent être les apocalypses de demain, il serait toujours noir. [23]
Ensuite les snobs ou les cachalots [24]
Dans Les Jeunes filles, description du public d’une salle de concert :
Costals regardait l’assistance. Elle était composée pour un tiers de gens qui jouissaient spontanément des bruits qu’ils entendaient ; pour un tiers, de gens qui n’en jouissaient que par une opération de l’esprit, se souvenant de tout ce qu’ils avaient lu ou entendu sur ce morceau ; l’autre tiers étant des gens qui ne ressentaient rien, mais ce qui s’appelle rien. Tous, cependant, pour recevoir la manne, prenaient les poses les plus distinguées. Des porcs à binocle feignaient que le moindre chuchotement dans la salle leur gâchât leur extase. Des porcs à lunettes se penchaient vers leur lardonne (car on voyait dans la salle des enfants de six ans, amenés là sans doute en punition de quelque faute très grave) pour lui signaler tel passage sacro-saint, afin qu’elle sût une bonne fois que c’était là qu’il fallait être émue. Beaucoup de femmes, comme la voisine de Solange, pensaient qu’il serait inconvenant de se tenir ici autrement que les yeux fermés. Une singerie unanime portait les auditeurs à s’imiter les uns les autres dans leurs airs pénétrés, tandis que de la scène la glaire sonore continuait à s’épandre, intarissablement. [25]
Dans Les Jeunes filles, description des Cachalots dans un grand restaurant de la Forêt de Montmorency :
A peine Costals et Solange se furent-ils attablés dans le jardin de cette hostellerie à chiqué, non loin de la forêt de Montmorency, que Costals se mit à souffrir. Il avait horreur de ces dîneurs qui les entouraient, les hommes avec leur air “extrêmement distingué” (…), les femmes avec cet ennui, cette sottise et cette méchanceté qui modelaient leurs figures ; tous puants sans le vouloir, tous retranchés dans leur façon de s’entendre à demi-mot, de se référer à des rites connus d’eux seuls, de se croire d’une essence à part. On était cent cinquante à l’intérieur de cet enclos et il n’y avait de dignité que sur les visages des maîtres d’hôtel, et de pureté – une pureté sublime – que dans ce lévrier blanc. [26]
Horreur des nouveaux riches : messe du dimanche de Pâques 1913 décrite dans Les Garçons telle que vue par le Supérieur du collège :
Il porta les yeux sur l’assemblée. Le blablabla du prédicateur, incompréhensible pour les enfants et les adolescents, mais incompréhensible aussi bien pour tout adulte doué de raison, lui laissait l’esprit assez libre pour réfléchir ou regarder. Ses yeux glissèrent, en “l’ignorant”, sur le fond de la chapelle, où bougeait vaguement un parterre de visages déshonorés : les parents d’élèves, ces parents qui pour la foi, les connaissances religieuses, et la piété, étaient bien au-dessous de leurs fils de douze ans, - Il y avait là une demi-douzaine de puissants de ce monde, tous plus gorets les uns que les autres. Les mères, magnifiques chienlits féminines, en grand appareil de mode 1913, gallinacés passés depuis très peu à l’humain, les belles, les souveraines, gardant la houppe, la piaffe, l’œil stupide et cruel et, en place de bouche, le cul de poule du gallinacé, dominant de dix centimètres leurs maris, étincelaient par instants de la tranche dorée de leur missel, symbole de la pépète catholique. Les venventres (les hommes), le rictus stupide et l’air dégénéré, s’intéressaient exclusivement à leurs voisins, pour voir s’ils avaient la Légion d’honneur. [27]
Cinquième cible : le personnel de maison, les domestiques
Description de Mélanie la cuisinière dans Les Célibataires :
M. de Coantré tremblait devant cette poufiasse à l’œil de poule, n’osait lui faire une observation, l’enveloppait du même luxe de prévenance dont il enveloppait ses oncles. (…) En vain, depuis tous temps, M. de Coantré avait-il vu les domestiques répondre par le départ précipité, l’injure, le vol, la calomnie et le chantage à la gentillesse sans nom de la famille à leur égard, M. de Coantré continuait de proclamer et même de penser qu’on ne trouve de cœur que chez les gens du peuple, et que les bourgeois, en regard d’eux, sont de véritables orangs de méchanceté ? [28]
Les volatiles frénétiques : l’agonie de Mme de Bricoule dans Les Garçons :
Mme de Bricoule, seule dans une maison de dix pièces, avec un fils confiné à l’étage qu’elle n’habitait pas, était la proie de quatre volatiles frénétiques : une infirmière aux yeux immenses d’oiseau de nuit, la bouche serrée par la méchanceté ; une religieuse, sèche paysanne à la prunelle et au bec de vautour, vieille habituée des moribonds de la famille, comme telle commandant en maître ; la cuisinière et la femme de chambre, qui étaient assez fidèles, et en tout cas sûres, défendaient comme elles pouvaient la comtesse, accusant l’infirmière et la religieuse de voler, d’emporter même (la religieuse) des objets sous sa jupe, dans un petit sac attaché vous devinez où. Mme de Bricoule mourait dans un hourvari de basse-cour. Mais cela lui était égal. Son unique pensée était sa prière : “Mon Dieu, que cela finisse au plus vite ! Mon Dieu, que cela finisse au plus vite !”. [29]
Sixième cible : la famille, l’horreur de la famille
A table au restaurant avec Solange dans Le Démon du bien (tome 2 des Jeunes filles) :
Leur voisinage immédiat était une tablée de huit personnes. Le père, la mère, la fille, le gendre, le muchacho, la petite et le babour (le compte n’y est pas : cela ne fait que sept)… [30]
Costals au sujet de Solange Dandillot dans Le Démon du Bien :
Elle n’est pas, elle ne sera jamais de cette famille des demi-fous et des demi-folles, dont je suis, et qui est la seule ambiance où je me meuve à l’aise. Je brûlais ; elle m’éteint. Je marchais sur les eaux ; elle se met à mon bras ; j’enfonce. [31]
L’aimable Marie-Thérèse Auligny (sœur de Lucien) dans La Rose de Sable :
En 1921, l’aimable Marie-Thérèse, fiancée à un brillant capitaine, duquel on eût pu croire, au ton dont Mme Auligny parlait de lui, qu’il avait sauvé Verdun à lui tout seul, prit une méchante bronchite, qui gagna le poumon, mais elle refusa de se soigner, sous prétexte qu’elle “en avait vu bien d’autres”, qu’elle “avait fait la guerre”, etc. Elle en était encore à donner de telles raisons, et à prendre l’accent poilu, qu’elle expirait horriblement, dans les bras de la nature, qui aime que l’on soit simple, et qu’elle avait agacée avec ses raisons.
Montherlant aimait que l’on soit simple et il se moquait des faiseurs. En créant de nombreux petits personnages comiques dans ses Romans, Montherlant s’est sans aucun doute bien amusé. Cela lui a permis de régler ses comptes avec des personnes ou des professions qui avaient fait du mal à sa mère (les médecins), à sa grand-mère (les notaires, les hommes d’affaires), et à lui-même (son père avec qui il n’avait pas d’atomes crochus). Sa mère envahissante, toujours malade et plaintive, qui n’a pas rendu son mari heureux, a fait prendre à Henry de Montherlant la cellule familiale, l’autorité paternelle et maternelle, les beaux-frères, les gendres, etc… (de qui il se moquera sans cesse), en horreur.
N’oublions pas les premiers mots de son testament de 1951, revu en 1959 et confirmé le 21 septembre 1972, où il a chaque fois désigné Marguerite Lauze et son fils Claude Barat comme ses héritiers uniques : Je soussigné, Henry-Marie-Joseph-Frédéric Millon de Montherlant, 25 Quai Voltaire à Paris, exhérède tous mes parents au degré successible.
Notes :
6 Les Célibataires, Romans
1, Pléiade, p.789.
7 Les Célibataires, Romans 1, Pléiade, p.790.
8 Les Célibataires, Romans 1, Pléiade, p.793-794.
9 Le Démon du bien, nrf, folio, p.98-99.
10 Le Chaos et la nuit, nrf, folio, p.236-237.
11 Les Célibataires, Romans 1, Pléiade, p.891-892.
12 Un Assassin est mon maître, nrf, p.60.
13 Un Assassin est mon maître, nrf, p.133.
14 Le Chaos et la nuit, Romans 2, Pléiade, p.1040.
15 Les Célibataires, Romans 1, Pléiade, p.868-869.
16 Les Jeunes filles, tome 1, folio, nrf, p.145.
17 La Rose de sable, Romans 2, Pléiade, p.48.
18 La Rose de sable, Romans 2, Pléiade, p.95.
19 Le Chaos et la nuit, folio nrf, p.109.
20 Les Lépreuses, folio, nrf, p.193.
21 Les Lépreuses, 4è tome des Jeunes filles, folio, nrf,
p.192-193.
22 Le Chaos et la nuit, folio, nrf, p.28 à 30.
23 Le Chaos et la nuit, Romans 2, Pléiade, p.899.
24 Les Cachalots : mot inventé par Henry de Montherlant et son amie Mme
Elisabeth Zehrfuss pour désigner les snobs, les nouveaux riches et les mondains.
25 Les Jeunes filles, tome 1, folio, nrf, p.174.
26 Les Jeunes filles, tome 1, folio, nrf, p.199.
27 Les Garçons, folio, nrf, p.337.
28 Les Célibataires, Romans 2, Pléiade, p.872.
29 Les Garçons, folio, nrf, p.424-425.
30 Lire tout l’extrait dans Le Démon du bien, tome 2 des Jeunes filles,
folio, nrf, p.124.
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Livres à conseiller :
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- Sandor Màrai, Journal, Les années hongroises 1943-1948, Albin Michel, 523 p. septembre 2019.
- Javier Marias, Mauvaise nature, Nouvelles complètes, folio Gallimard, août 2019, 493 pages.
- Primo Levi, Conversations et entretiens, Pavillon poche Robert Laffont, 505 p. avril 2019.
- Joyce Carol Oates, Un livre de martyrs américains, roman, Editions Philippe Rey, 859 pages, septembre 2019.
- Michael Peppiatt, Francis Bacon, Flammarion, 395 pages, 2019.
jeu.
05
sept.
2019
Ma Chérie Lola
(suite du récit commencé dans les Carnets de Juillet 2019)
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… A trois mois, elle est arrivée à Bruxelles chez moi après un voyage de deux heures, du fin fond de la province de Liège, dans ma voiture où la dame l’avait installée à l’arrière de la Mercédès, dans la cage de fer recouverte d’un tissu bleu marine, afin de l’empêcher de voir, de s’agiter, de pleurer, et pour seule compagnie, un jouet en peluche.
Il fallait tenir jusqu’à Bruxelles. De temps en temps, je l’entendais gémir, se tourner et se retourner dans cette cage où pas un rayon de lumière ne filtrait, ce qui devait la stresser, mais la dame avait approuvé la mise en place pour la longue route. « Vous verrez, elle va dormir jusqu’à Bruxelles. » Mais non, elle ne dormait pas.
Un moment, un fumet d’excrément se répandit. Zut, alors !
Je lui parlais de temps en temps, de ma voix la plus douce, afin qu’elle s’habituât à ma présence, à l’éloignement de la maison de la dame, où ses frères et sœurs chéris restaient avec les jeux, les endormissements en famille et les courses dans les champs. Elle aimait tant courir.
Elle était ma prisonnière maintenant et n’avait rien demandé.
Arrivée à Bruxelles. Débarquement. Oui, elle a sali la cage, et la couverture bleue. Je la libère, elle garde le collier. Je lui ouvre la porte de l’appartement. L’exploration commence. Surprise, surprise : Billy, le petit vieux bouledogue bringé, aux oreilles de chauve-souris, l’accueille méfiant ; il la respire, l’inspecte, c’est une jeunette pour lui, mais elle ne déplaît pas à Billy bousculé dans ses habitudes, qui mourra euthanasié huit mois plus tard. Un cancer de la gorge. A cause d’elle ?
En attendant, il faut tout partager avec Billy, les seize jouets et l’unique panier dans la cuisine ! Elle n’aime pas la cuisine.
Elle est jalouse de Billy et le montre vite.
C’est moi qu’elle aimera, rien que moi. Au diable Billy et les autres chiens qui m’approcheront. Elle crie : « Je serai une sorcière pour les intrus, je leur jetterai des sorts, loin de moi vous tous, je suis la Princesse, la seule aimée de celui qui va m’aimer. A lui seul mon amour, aux autres ma colère. »
°°°
Huit mois plus tard, la nuit qui a suivi la mort de Billy, elle a refusé de dormir seule dans la cuisine. Je l’ai entendue gémir jusqu’à une heure du matin. Parfois un hurlement de désespoir me glaçait. Que vont penser les voisins ? Je me suis levé et titubant dans le noir corridor, je lui ai ouvert la porte de sa prison-cuisine, et elle a couru jusqu’au salon, a sauté sur le canapé trois places, pour s’y allonger et terminer sa première nuit sans Billy. « Tu peux te recoucher maintenant. C’est ici que je dormirai dorénavant » me dit-elle de ses yeux sans réplique.
En cinq jours, elle a détruit tous les jouets de Billy, achetés durant les douze années d’existence du bouledogue qui en prenait soin. Aucun ne résista. Je remplaçai les débris par un teddy jaune en peluche, très doux, qu’elle câline encore intact six ans plus tard, cadeau de son amour.
Il faut couper les ongles de Lola une fois par mois car ils poussent trop vite. Pour Billy, son poids et ses courtes pattes n’ont jamais nécessité ces visites chez le toubib. Ses ongles s’usaient dans les promenades.
Chez Lola, ce n’est pas une partie de plaisir mais une obligation qu’elle déteste. Les premiers mois, le docteur W. essaya de couper les ongles de ma chérie, sur une haute table dans le cabinet médical. Aucun lien de cuir pour la sangler, l’’immobiliser. Elle crie, se débat, tandis que le docteur avec sa pince qui claque, tente de couper les ongles longs de Lola que je tiens serrée contre moi, la bouche dans son cou, lui disant je t’aime chérie, ne crains rien, je suis là. Elle est terrifiée, se dresse à la verticale sur la table métallique à roulettes, gémit, hurle, veut sauter en bas de l’établi de torture. Je suis en nage. Le docteur, – cela ne rate pas –, coupe parfois l’ongle trop court, et le doigt de Lola saigne. Il faut cautériser !
J’ai pris la décision de renoncer à ces séances trop stressantes et d’aller près du Shopping de Woluwé, Chez Toutou, le toiletteur. Cinq jolies jeunes femmes sont occupées toute la journée à laver, brosser, tondre, peigner des chiens de toutes les races et de toutes les couleurs, sur rendez-vous.
Elles ont accepté de lui couper les ongles. Elles ont aussi de hautes tables.
Elles hissent Lola sur l’une d’elles et la sanglent de lanières de cuir bouclées autour du cou, du torse et du ventre. Je garde ma bouche collée à son cou pour la rassurer.
De voir d’autres chiens sur d’autres établis en train d’être pomponnés, la rassure un peu, elle est plus calme quoique méfiante. Cette manucure dure dix minutes. On la détache. Elle reçoit un biscuit, et elle me tire hors du salon de beauté pour rejoindre au plus vite ma voiture où elle reprend ses esprits.
(A suivre)
Poèmes de Henri de Meeûs
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Mort de l'Oiseleur
__________________
Il faut toujours attendre
L'oiseau rentrant au nid
Dans son divin plumage
Et son chant d'étoiles pures.
Le paon n'a pas ses couleurs
Ni le rossignol son ramage.
Divine lenteur de l'Amour
Derrière ses obscures caches
Jamais venu, jamais revu
Le soleil embrasse le ciel
Du jaune d'or de sa vêture
J'écoute le vent, j'écoute la nuit
L'oiseau met tant de temps
A regagner son gîte.
Qui me demande, qui m'appelle
Un souffle léger passe
Je dormais, je m'éveille
Je tends les bras dans l'ombre
Quel est ce baiser sur ma bouche
Quelle est cette joie qui me porte ?
Ah mon Dieu si longtemps attendu
Vous en aviez des secrets, des réticences,
De longues prudences
Vous fûtes remplacé, j'ai chanté l'oubli
Les cornes de brume et les brouillards du Nord
Dans l'attente de Celui qui me serre dans ses bras.
Vous fûtes retrouvé bien malin petit Dieu
Caché dans les forêts du monde.
Pour vous attraper, j'ai perdu ma certitude.
Brûlons les barques, les filets, rejetons à la mer
Les poissons qui pourrissent
Qui sans votre saveur ne seront pas mangés.
L'oiseau sur le nid s'est enfin posé
On m'embarque dans le dernier cortège
Celui des fous, des amants perdus
Qui me reconnaîtra quand l'ombre me saisit
Quelle main sur mon front, quel soupir
Pour la mort de l’oiseleur ? 2010
°°°
Portrait de Raphaël
-------------------------------- à R.P.G
Dressé sur tes piques
Tu ratisses du revers
De manche les escarboucles
Pointant d'un doigt les écarts
De ceux qui n'en peuvent mais.
Ah sommet de la gloire
Quand le verras-tu ?
Le matin frais dispos très net dans les cris
Lentement tu t'efforces
D'apparaître
Vespéral auguste croquant de tes dents nacrées
Les vertus du hasard.
Tu as le coeur philosophe
Et la mèche qui tombe
Si la peine t'étouffe
Tes yeux noirs ont l'éclat
D'un oracle confus.
Tu avances ta garde
Vainqueur qu'une peine terrasse
Et la solitude tâte la consoeur écarlate.
Un enfant qui refuse d'avancer dans le noir
Que lui veux-tu dans la poussière du temps ?
Carrément, dis-le fort, il doit pousser le cri
Strident de ses mystiques joies.
J'attends sur la mer la barque et le pêcheur
Pour lancer les filets dans le bleu crépuscule
Tu n'as pas vu dans l'ombre le court esquif
Le Maître du sommeil qui gouverne les vagues
Le reflux des écumes et des marins soupirs.
Vienne la nuit.
°°°
Deuil
_____
Ton silence me tue
Ton absence m’épouvante.
Dans ton lointain pays, les oiseaux se sont tus
Ton cadavre traîné le long des rues
Passe devant les statues des philosophes.
La foule s’incline, les enfants sont immobiles,
Le cortège est si lent
Les volets sont fermés, nulle fleur sur le bitume,
Il n’y a que des femmes dans les chambres closes
Priant ton âme solitaire
Tu as fui dans une cavalcade
De poètes, de filles, d’ermites
Ta vie s’est refermée dans un rideau de sang
C’était le temps des mitrailleuses, tu ne pouvais survivre
Tant nombreux les poignards derrière ton ombre
Quelle odeur infecte se répand sur la terre
Tu as cessé de vivre et je vais mourir.
Tu es mort si vite
Sans prévenir
Pas le moindre mot
Pas un cri, pas un geste,
Tu as craint l’amour de mon âme d’enfant.
Tu as craint ma pureté
Mon âme douce, mes gestes contrôlés
Pour ne pas t’effrayer
Quelle misère, quel raté
Je suis entouré de précipices
Les perroquets aux mille couleurs
Te voyant avancer
Ont crié Alerte mon amour
Fuis, fuis, fuis mon chéri,
Les chevaux noirs du deuil
Emportent le cercueil
Où tu reposes muet, glacé,
Ton intelligence morte
De n’avoir pas osé.
2018
°°°
Te revoir
__________
Je n’aurai plus ton sourire
Deux heures par-ci, une heure par-là
O misère de ton éloignement
Te revoir, te revoir, de t’attendre c’est long.
Porto c’est loin, ce n’est pas la porte
D’en face pendant que tu t’égosilles
Pour des projets de communication
Savants, mirifiques, d’argent promis
Et moi dans cette ville froide que je n’abandonne pas
Bruxelles, Bruxelles, grise, sale.
Mon soleil s’est couché
J’avance en âge, il ne fallait pas me quitter
Il ne fallait pas mentir ni chercher la Bretagne
Car l’amour s’en va, fuyant toujours, vous laissant là
Perdu d’illusions, toujours trahi
Ton corps rayon de vie tendu vers mon souffle
Et ces baisers d’oiseau sur tes lèvres.
2018
°°°
L’amour dans les champs dévastés
__________________________________
J’entends les pleurs
Des femmes vierges
Confiantes belles
Trahies par l’amour.
Loup, loup, es-tu là ?
Elles ont cru à la dentelle blanche
Aux souliers de satin, aux fleurs d’innocence
Cueillies dans la forêt nocturne
Ignorant les loups dans les taillis.
Loup, loup, que fais-tu ?
Les pensées d’amour
C’est mauvais pour la ligne
Les femmes vieillissent trop vite
Adieu les visages de printemps
Les chansons dans la chambre
Le rire, le vent joyeux
Sous la jupe volante.
Loup, loup, y es-tu ?
2019
°°°
Départ du Prince
_________________
Dis-moi quand tu t’en vas
Quand la porte s’ouvrira
Que je sonne la trompe
Aux échos des ravins
Que les enfants revêtus
D’habits de deuil
T’applaudissent au passage
Les yeux rougis de larmes
Et la bouche grimaçante
Que les vieillards cachés dans la maison des pauvres
Chantent les couplets de la désespérance
Devant les saintes statues
Toutes bougies allumées
Ils regardent les murs et n’ont plus d’avenir
Ton départ en armes est le signe d’une guerre
On a préparé les tombes, les cercueils