Ma Chérie Lola
(suite du récit commencé dans les Carnets de Juillet 2019)
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… A trois mois, elle est arrivée à Bruxelles chez moi après un voyage de deux heures, du fin fond de la province de Liège, dans ma voiture où la dame l’avait installée à l’arrière de la Mercédès, dans la cage de fer recouverte d’un tissu bleu marine, afin de l’empêcher de voir, de s’agiter, de pleurer, et pour seule compagnie, un jouet en peluche.
Il fallait tenir jusqu’à Bruxelles. De temps en temps, je l’entendais gémir, se tourner et se retourner dans cette cage où pas un rayon de lumière ne filtrait, ce qui devait la stresser, mais la dame avait approuvé la mise en place pour la longue route. « Vous verrez, elle va dormir jusqu’à Bruxelles. » Mais non, elle ne dormait pas.
Un moment, un fumet d’excrément se répandit. Zut, alors !
Je lui parlais de temps en temps, de ma voix la plus douce, afin qu’elle s’habituât à ma présence, à l’éloignement de la maison de la dame, où ses frères et sœurs chéris restaient avec les jeux, les endormissements en famille et les courses dans les champs. Elle aimait tant courir.
Elle était ma prisonnière maintenant et n’avait rien demandé.
Arrivée à Bruxelles. Débarquement. Oui, elle a sali la cage, et la couverture bleue. Je la libère, elle garde le collier. Je lui ouvre la porte de l’appartement. L’exploration commence. Surprise, surprise : Billy, le petit vieux bouledogue bringé, aux oreilles de chauve-souris, l’accueille méfiant ; il la respire, l’inspecte, c’est une jeunette pour lui, mais elle ne déplaît pas à Billy bousculé dans ses habitudes, qui mourra euthanasié huit mois plus tard. Un cancer de la gorge. A cause d’elle ?
En attendant, il faut tout partager avec Billy, les seize jouets et l’unique panier dans la cuisine ! Elle n’aime pas la cuisine.
Elle est jalouse de Billy et le montre vite.
C’est moi qu’elle aimera, rien que moi. Au diable Billy et les autres chiens qui m’approcheront. Elle crie : « Je serai une sorcière pour les intrus, je leur jetterai des sorts, loin de moi vous tous, je suis la Princesse, la seule aimée de celui qui va m’aimer. A lui seul mon amour, aux autres ma colère. »
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Huit mois plus tard, la nuit qui a suivi la mort de Billy, elle a refusé de dormir seule dans la cuisine. Je l’ai entendue gémir jusqu’à une heure du matin. Parfois un hurlement de désespoir me glaçait. Que vont penser les voisins ? Je me suis levé et titubant dans le noir corridor, je lui ai ouvert la porte de sa prison-cuisine, et elle a couru jusqu’au salon, a sauté sur le canapé trois places, pour s’y allonger et terminer sa première nuit sans Billy. « Tu peux te recoucher maintenant. C’est ici que je dormirai dorénavant » me dit-elle de ses yeux sans réplique.
En cinq jours, elle a détruit tous les jouets de Billy, achetés durant les douze années d’existence du bouledogue qui en prenait soin. Aucun ne résista. Je remplaçai les débris par un teddy jaune en peluche, très doux, qu’elle câline encore intact six ans plus tard, cadeau de son amour.
Il faut couper les ongles de Lola une fois par mois car ils poussent trop vite. Pour Billy, son poids et ses courtes pattes n’ont jamais nécessité ces visites chez le toubib. Ses ongles s’usaient dans les promenades.
Chez Lola, ce n’est pas une partie de plaisir mais une obligation qu’elle déteste. Les premiers mois, le docteur W. essaya de couper les ongles de ma chérie, sur une haute table dans le cabinet médical. Aucun lien de cuir pour la sangler, l’’immobiliser. Elle crie, se débat, tandis que le docteur avec sa pince qui claque, tente de couper les ongles longs de Lola que je tiens serrée contre moi, la bouche dans son cou, lui disant je t’aime chérie, ne crains rien, je suis là. Elle est terrifiée, se dresse à la verticale sur la table métallique à roulettes, gémit, hurle, veut sauter en bas de l’établi de torture. Je suis en nage. Le docteur, – cela ne rate pas –, coupe parfois l’ongle trop court, et le doigt de Lola saigne. Il faut cautériser !
J’ai pris la décision de renoncer à ces séances trop stressantes et d’aller près du Shopping de Woluwé, Chez Toutou, le toiletteur. Cinq jolies jeunes femmes sont occupées toute la journée à laver, brosser, tondre, peigner des chiens de toutes les races et de toutes les couleurs, sur rendez-vous.
Elles ont accepté de lui couper les ongles. Elles ont aussi de hautes tables.
Elles hissent Lola sur l’une d’elles et la sanglent de lanières de cuir bouclées autour du cou, du torse et du ventre. Je garde ma bouche collée à son cou pour la rassurer.
De voir d’autres chiens sur d’autres établis en train d’être pomponnés, la rassure un peu, elle est plus calme quoique méfiante. Cette manucure dure dix minutes. On la détache. Elle reçoit un biscuit, et elle me tire hors du salon de beauté pour rejoindre au plus vite ma voiture où elle reprend ses esprits.
(A suivre)
Poèmes de Henri de Meeûs
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Mort de l'Oiseleur
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Il faut toujours attendre
L'oiseau rentrant au nid
Dans son divin plumage
Et son chant d'étoiles pures.
Le paon n'a pas ses couleurs
Ni le rossignol son ramage.
Divine lenteur de l'Amour
Derrière ses obscures caches
Jamais venu, jamais revu
Le soleil embrasse le ciel
Du jaune d'or de sa vêture
J'écoute le vent, j'écoute la nuit
L'oiseau met tant de temps
A regagner son gîte.
Qui me demande, qui m'appelle
Un souffle léger passe
Je dormais, je m'éveille
Je tends les bras dans l'ombre
Quel est ce baiser sur ma bouche
Quelle est cette joie qui me porte ?
Ah mon Dieu si longtemps attendu
Vous en aviez des secrets, des réticences,
De longues prudences
Vous fûtes remplacé, j'ai chanté l'oubli
Les cornes de brume et les brouillards du Nord
Dans l'attente de Celui qui me serre dans ses bras.
Vous fûtes retrouvé bien malin petit Dieu
Caché dans les forêts du monde.
Pour vous attraper, j'ai perdu ma certitude.
Brûlons les barques, les filets, rejetons à la mer
Les poissons qui pourrissent
Qui sans votre saveur ne seront pas mangés.
L'oiseau sur le nid s'est enfin posé
On m'embarque dans le dernier cortège
Celui des fous, des amants perdus
Qui me reconnaîtra quand l'ombre me saisit
Quelle main sur mon front, quel soupir
Pour la mort de l’oiseleur ? 2010
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Portrait de Raphaël
-------------------------------- à R.P.G
Dressé sur tes piques
Tu ratisses du revers
De manche les escarboucles
Pointant d'un doigt les écarts
De ceux qui n'en peuvent mais.
Ah sommet de la gloire
Quand le verras-tu ?
Le matin frais dispos très net dans les cris
Lentement tu t'efforces
D'apparaître
Vespéral auguste croquant de tes dents nacrées
Les vertus du hasard.
Tu as le coeur philosophe
Et la mèche qui tombe
Si la peine t'étouffe
Tes yeux noirs ont l'éclat
D'un oracle confus.
Tu avances ta garde
Vainqueur qu'une peine terrasse
Et la solitude tâte la consoeur écarlate.
Un enfant qui refuse d'avancer dans le noir
Que lui veux-tu dans la poussière du temps ?
Carrément, dis-le fort, il doit pousser le cri
Strident de ses mystiques joies.
J'attends sur la mer la barque et le pêcheur
Pour lancer les filets dans le bleu crépuscule
Tu n'as pas vu dans l'ombre le court esquif
Le Maître du sommeil qui gouverne les vagues
Le reflux des écumes et des marins soupirs.
Vienne la nuit.
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Deuil
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Ton silence me tue
Ton absence m’épouvante.
Dans ton lointain pays, les oiseaux se sont tus
Ton cadavre traîné le long des rues
Passe devant les statues des philosophes.
La foule s’incline, les enfants sont immobiles,
Le cortège est si lent
Les volets sont fermés, nulle fleur sur le bitume,
Il n’y a que des femmes dans les chambres closes
Priant ton âme solitaire
Tu as fui dans une cavalcade
De poètes, de filles, d’ermites
Ta vie s’est refermée dans un rideau de sang
C’était le temps des mitrailleuses, tu ne pouvais survivre
Tant nombreux les poignards derrière ton ombre
Quelle odeur infecte se répand sur la terre
Tu as cessé de vivre et je vais mourir.
Tu es mort si vite
Sans prévenir
Pas le moindre mot
Pas un cri, pas un geste,
Tu as craint l’amour de mon âme d’enfant.
Tu as craint ma pureté
Mon âme douce, mes gestes contrôlés
Pour ne pas t’effrayer
Quelle misère, quel raté
Je suis entouré de précipices
Les perroquets aux mille couleurs
Te voyant avancer
Ont crié Alerte mon amour
Fuis, fuis, fuis mon chéri,
Les chevaux noirs du deuil
Emportent le cercueil
Où tu reposes muet, glacé,
Ton intelligence morte
De n’avoir pas osé.
2018
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Te revoir
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Je n’aurai plus ton sourire
Deux heures par-ci, une heure par-là
O misère de ton éloignement
Te revoir, te revoir, de t’attendre c’est long.
Porto c’est loin, ce n’est pas la porte
D’en face pendant que tu t’égosilles
Pour des projets de communication
Savants, mirifiques, d’argent promis
Et moi dans cette ville froide que je n’abandonne pas
Bruxelles, Bruxelles, grise, sale.
Mon soleil s’est couché
J’avance en âge, il ne fallait pas me quitter
Il ne fallait pas mentir ni chercher la Bretagne
Car l’amour s’en va, fuyant toujours, vous laissant là
Perdu d’illusions, toujours trahi
Ton corps rayon de vie tendu vers mon souffle
Et ces baisers d’oiseau sur tes lèvres.
2018
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L’amour dans les champs dévastés
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J’entends les pleurs
Des femmes vierges
Confiantes belles
Trahies par l’amour.
Loup, loup, es-tu là ?
Elles ont cru à la dentelle blanche
Aux souliers de satin, aux fleurs d’innocence
Cueillies dans la forêt nocturne
Ignorant les loups dans les taillis.
Loup, loup, que fais-tu ?
Les pensées d’amour
C’est mauvais pour la ligne
Les femmes vieillissent trop vite
Adieu les visages de printemps
Les chansons dans la chambre
Le rire, le vent joyeux
Sous la jupe volante.
Loup, loup, y es-tu ?
2019
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Départ du Prince
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Dis-moi quand tu t’en vas
Quand la porte s’ouvrira
Que je sonne la trompe
Aux échos des ravins
Que les enfants revêtus
D’habits de deuil
T’applaudissent au passage
Les yeux rougis de larmes
Et la bouche grimaçante
Que les vieillards cachés dans la maison des pauvres
Chantent les couplets de la désespérance
Devant les saintes statues
Toutes bougies allumées
Ils regardent les murs et n’ont plus d’avenir
Ton départ en armes est le signe d’une guerre
On a préparé les tombes, les cercueils
De ceux qui reviendront dans la charrette des morts.
Ta statue se dresse sur la place
Des fleurs mauves ornent les terrasses
A toi, mon Prince, je suis ton dévoué
Que tes amis te gardent.
2019
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Le Jeu de Dieu
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Mon Dieu, l’exquise joie que vous donnez,
A peine apparue déjà disparue
Est-ce un jeu que plein d’humour
Et de délicatesse
Vous m’invitez à jouer ?
Je ne connais pas les règles
Vous trichez ? Je ne puis le croire
J’accepte votre amour
Tel présent si vite effacé.
J’ai goûté les miettes de la divine joie
La lumière du paradis.
Je suis si seul ce soir comme dirait la chanson
Des amants ridicules.
Dans le cabinet noir,
Je rumine l’absence de l’amour.
Tout s’est desséché
L’exquise douceur s’en est allée.
Le vent souffle sur les arbres noirs
Vous n’aimez pas les effarements charnels
Vous ne gâtez pas ceux qui vous aiment.
Je n’ai pas compris les règles du jeu.
2019
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Lectures à conseiller :
- L’Enquête de Wittgenstein, par Roland Jaccard, 115 pages, Editions Arléa, 2019.
- Œuvres de Kenzaburo Oé, 1.340 pages, Quarto Gallimard, NRF, 2016.
- Barbarossa, 1941, La Guerre absolue, par Jean Lopez et Lasha Otkhmezuri, aux Editions Passés composés, 957 pages, août 2019.
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