Mes quatre trésors
J’ai eu successivement quatre chiens dans ma vie. Des cadeaux du Ciel. Des êtres adorables. Cela a duré quarante-huit ans, jusqu’à ce jour, soit douze années pour chacun des trois premiers chiens, et mon quatrième, Lola, toujours en vie, qui vient d’avoir douze ans, et qui se porte très bien.
Les trois premiers chiens étaient de la race des bouledogues français, et le quatrième, toujours en vie, est un lévrier anglais dit whippet.
CORA
Le premier bouledogue français, une femelle de couleur bringée, noir et feu, fut achetée à trois mois dans un élevage de cette race situé dans la Flandre profonde ; elle s’appelait Cora. C’était en 1976. Je l’avais ramenée emballée dans deux serviettes de coton et placée sur le siège avant droit de ma voiture, à portée de main pour la rassurer et, après une heure de route, la présentai à mes parents.
Je venais de changer de situation, très fatigué par 6 années le stress dans une société de courtage immobilier et par l’anxiété caractérielle du directeur général (dont le visage ressemblait à celui de Dostoïevski) et qui, de 1969 à 1976, s’il me faisait une entière confiance, n’hésitait pas, à m’interroger sans cesse sur le montant du chiffre d’affaires mensuel.
Vivant seul à Bruxelles, et y travaillant, il était impossible de garder Cora chez moi enfermée toute la journée dans un appartement sans pouvoir sortir pour des promenades.
Elle fut donc confiée à mes père et mère qui habitaient une jolie propriété en Campine anversoise, château, parc, étang.
A Cora, la liberté et la vie campagnarde. Pelouses, taillis, et petits gibiers.
Mes parents aimaient Cora qui le leur rendait bien. Elle accompagnait chaque matin mon père dans sa voiture quand il allait acheter les journaux au village. En semaine, Cora était la fidèle compagne de mes parents mais aussi une rivale pour les deux teckels, fameux chasseurs, qui occupaient la maison déjà depuis quelques années et qui n’envisageaient pas de laisser toute la place à la bouledogue. Mais elle apprit à composer et devint à leur contact une chasseresse passionnée de lapins, de chats et de rats musqués dans le parc. Elle courait aussi vite que les teckels mais plus lourde qu’eux, elle ne pouvait rattraper les zigzags d’un lapin que les bassets finissaient par coincer dans un terrier.
Folles chasses des chiens ivres d’espace. Aucun fusil.
A dater de 1976, je passais le weekend chez mes parents pour me reposer d’un nouveau job qui durera 27 ans dans une banque bruxelloise.
Lors de mes arrivées, le samedi midi, arrêtant ma voiture devant les cuisines, j’entendais les hurlements de joie de Cora qui savait que son maître était là. Cris d’amour, aboiements stridents, elle était la première à m’accueillir, descendant comme une folle les escaliers menant au jardin.
Aucun être vivant ne m’a jamais porté un tel amour. Cela dura toute sa vie de douze années. Quand j’étais là, mes père et mère n’existaient plus pour elle. Cette adorable créature me suivait partout. C’était moi son chéri, moi seul jusqu’au dimanche soir quand je la quittais pour rentrer à Bruxelles.
Jusqu’à ses derniers jours, à chacune de mes présences de week-end, elle refusait de s’éloigner de moi, et durant ses derniers mois de vie, elle se traînait encore pour me suivre, ses pattes arrières bloquées par une arthrose paralysante.
Mon âme pleure cette créature exceptionnelle, et cet amour, plus vrai, plus intense, que l’amour d’un être humain.
Le vétérinaire du village abrégea ses souffrances.
Pleurs et tristesse.
PYM
Après la mort de Cora, j’achetai en 1988, dans un élevage de bouledogues français en province d’Anvers un chiot bouledogue mâle, qui adulte devint magnifique de proportions, costaud, au large poitrail, à la grosse tête admirablement expressive, les oreilles toujours naturellement dressées droites, les courtes pattes supportant un corps trapu, et comme celui de Cora, un pelage de couleur bringée (noir et feu). Son caractère doux contrastait avec son apparence redoutable. On dit que lorsque un bouledogue tient une proie entre les mâchoires, il ne la lâchera pas. C’est vrai. Mais je n’ai jamais eu le moindre incident avec les bouledogues, ils n’ont jamais mordu personne.
Excellent gardien, il était toujours le premier à nous avertir d’une visite, en aboyant à la fenêtre du hall, perché sur une banquette, inspectant de haut les visiteurs, avant même le coup de sonnette.
Pym aimait beaucoup la famille, les enfants, les petits-enfants et, comme les bouledogues souvent fascinés par les bébés, ils sont de véritables nurses protectrices ne quittant pas la voiture d’enfants.
Il adorait jouer. Dans le salon, ses nombreux jouets étaient éparpillés sur les tapis. Il connaissait le nom de chaque jouet.
Quand on lui demandait d’apporter le canard en caoutchouc
qu’il gardait sur sa couche à la cuisine, il fonçait dans les escaliers qu’il remontait tout aussi vite pour nous montrer le canard jouet. Fier de sa prouesse. Même chose avec d’autres jouets. Son extrême intelligence nous captivait.
Dehors, outre la chasse au lapin, un de ses passe-temps favoris était de parcourir les pelouses, d’une taupinière à l’autre, pour s’arrêter subitement, le corps tendu, la tête immobile au-dessus d’une taupinière, guettant le passage de la taupe dans une des galeries souterraines des pelouses. Tout à coup, subitement, sentant la taupe approcher, et vif comme l’éclair, il plongeait son museau dans la terre accumulée par l’animal aveugle - persuadé à chaque attaque, de la ramener entre ses dents - mais la taupe plus rapide avait eu le temps de s’enfoncer dans ses souterrains.
Pym jamais découragé de rater sa proie.
Pym m’accompagnait à chacune de mes promenades. Un jour, au bord de l’étang, nous rencontrâmes un gros rat musqué. Pym se précipita sur lui sans hésiter et avec sa large mâchoire, lui brisa les reins. Le rat musqué eut le temps de mordre une de ses babines. Je craignis une infection, mais le vétérinaire désinfecta la plaie. Il n’y eut pas de suite heureusement.
Les bouledogues français sont très intelligents, fidèles, n’aiment ni la chaleur ni les trop longues promenades. Leur museau écrasé entrave l’aisance de la respiration. Ils sont l’idéal pour une famille, et notamment pour les enfants.
J’en veux à ma sœur aînée d’avoir discerné un hypothétique cancer de testicule à Pym qui se portait le mieux possible. Elle voulut le montrer au vétérinaire. Je le lui permis, hélas.
L’avis du vétérinaire fut d’opérer par précaution. Je ne réagis pas, étant trop occupé à Bruxelles par mon job à la banque.
Le chien fut donc endormi et le testicule enlevé. L’horreur fut que le vétérinaire avait injecté une dose trop élevée d’anesthésie à mon Pym qui, quand il se réveilla, avait perdu l’esprit, ne se retrouvait pas dans ses habitudes de vie, devint peureux. Il avait perdu son intelligence exceptionnelle. Quand je l’appelais, il arrivait en courant et s’il ne voyait pas qu’une porte était fermée, il se cognait la croyant ouverte. Il était désorienté, infirme, de la faute d’un vétérinaire incompétent. Depuis, je suis devenu extrêmement méfiant lorsqu’un on évoque une anesthésie.
Pym mourut en 2000 amoindri par cette erreur médicale.
BILLY adulte
Billy fut mon troisième bouledogue français. Les standards avaient un peu modifié l’allure du bouledogue, préféré plus petit à cette époque, avec des pattes plus courtes, mais les oreilles étaient toujours dressées bien droites, et la petite queue en s bien dessinée.
J’achetai Billy en 2000. Il garda le lit et les jouets de Pym, et comme lui fut un chasseur et le gardien de la maison de mes parents.
Commençant ma retraite en 2004, je résolus de le prendre avec moi dans l’appartement à Bruxelles. Billy avait un caractère calme, flegmatique et aimait dormir. Exemple : Je passais une journée à Paris, quittant Bruxelles à 8 heures et rentrant chez moi à 21 heures, je retrouvais Billy dormant profondément dans son panier. Mon absence n’avait causé ni dérangement ni désordre, et il restait toujours propre.
Il était gourmand, aimait les restaurants, suscitant la curiosité des clients. Il m’accompagnait toujours dans les promenades. Nous allions chaque samedi matin au Sablon au marché des Antiquaires. Billy était bien connu des marchands. Billy suscitait l’intérêt des touristes asiatiques qui me plaçaient au premier rang avec Billy pour une photo souvenir.
Nous allions aussi prendre le petit-déjeuner chez Wittamer où les croissants et le chocolat chaud nous rendaient la vie joyeuse. A Billy comme à moi.
Retraité, ayant davantage de temps, j’eus l’idée saugrenue d’acheter un second chien, mais d’une autre race que le bouledogue français. Mon choix s’arrêta sur le lévrier whippet, très différent du bouledogue. J’entrepris de chercher un élevage de lévriers whippets, en trouvai un excellent près de Liège, et réservai un chiot femelle pour octobre 2011.
Et ce fut une whippet que j’allai chercher à l’élevage dans les Ardennes. Elle portait le nom de Lost in love sur son pedigree, mais je simplifiai en la nommant Lola.
Billy vivait encore et dut accepter cette jeune chienne pleine d’exubérance et partager avec elle la couche et les jouets, ainsi que les promenades, dorénavant celles d’un maître et de ses deux chiens. L’attelage était comique, vu les différences de tailles : le vieux petit bouledogue trapu, à pattes courtes et la princesse whippet au profil aristocratique et au pelage tigré de grande dame snob.
Billy avait observé la donzelle ; il ne fit rien pour corriger les excès d’énergie, mais Lola dominante le houspillait dans l’appartement, courant derrière lui en lui mordillant les oreilles.
Billy jeune
Toutes ces émotions n’améliorèrent pas la santé de Billy. Il se réfugiait sous mon bureau, sachant que je le protègerais. En octobre 2011, sa santé déclina ; il commença des petites attaques qui l’étendaient raide sur le sol.
En mai 2012, il fallut l’euthanasier. Lola ne semblait pas affectée, mais exigea en hurlant la première nuit qui suivit la mort de Billy, de dormir dans le salon sur le canapé trois places. Ce que Billy n’avait jamais osé demander. Ce canapé la fit taire immédiatement et devint le lieu de repos diurne et nocturne de Lola. Elle détruisit en huit jours, à coups de dents, les 17 jouets de Billy. Je lui achetai quatre nouvelles peluches, toujours intactes à l’heure actuelle.
Lola a maintenant 12 ans. Elle est toujours bien vivante et en excellente santé.
Lola (suite)
Lola née Lost in Love en juillet 2012 est un chien magnifique de la race lévrier whippet, c’est-à-dire « chien du vent ». Une tête extrêmement distinguée, un long museau, des dents longues et pointues de chasseresse, un pelage strié de bruns, de noirs et de gris, de longues pattes fines aptes à la course. Ces chiens atteignent en course 60 km à l’heure.
Son éleveuse était renommée pour la beauté de ses chiens.
Le spectacle d’un lévrier courant est d’une extraordinaire beauté. La chasse avec cette race de chiens est interdite en Belgique car le gibier n’aura aucune chance d’échapper.
Je continue donc mon récit à propos de Lola.
Ce chien n’a qu’un seul maître, celui qu’elle adopte au début de sa vie, avec qui elle demeure, se promène. Elle est gourmande mais s’arrêtera de manger ses croquettes si elle voit que je me prépare à sortir. Elle supporte sans problème la laisse ou un lien plus long pour qu’elle puisse courir. Après une expérience de l’avoir attendue une demi-heure dans un bois où elle avait flairé un gibier, et ne revenait pas malgré mes appels
angoissés, je ne l’ai plus lâchée, de crainte de la perdre, ou qu’elle soit volée.
Personne n’existe vraiment pour elle que son maître, c’est-à-dire moi.
Au restaurant, dans les magasins, étendue sur les sièges arrières de ma voiture, elle est avec moi, elle participe, elle n’oublie jamais un restaurant où nous sommes allés, elle a une mémoire incroyable pour se repérer dans le paysage qu’elle voit depuis la fenêtre de l’auto. Elle adore les endroits où les serveurs avec ma permission, lui glisse une petite écuelle de blancs de poulets, qu’elle avale en deux bouchées.
Il y a toujours des clients, fascinés par sa beauté, qui viennent la caresser ou lui dire des mots doux. Elle se laisse faire mais en réalité, c’est son maître qui compte seul pour elle.
Je ne voyage plus depuis que j’ai ce chien. Le garder près de moi à Bruxelles me suffit pour mon bonheur. Avec elle, c’est du vrai. Après nos sorties, elle rentre dans l’appartement, et se précipite dans le canapé où elle domine la situation et peut s’endormir. Mais rien ne lui échappera, elle surveille d’un oeil mon fauteuil, mon bureau, si elle entend un certain déclic quand j’éteins l’ordinateur, cela lui laisse prévoir une promenade à pied ou en voiture.
Je remercie le Créateur de m’avoir donné tant de bonheur et de joies au contact de ces chiens superbes, dispensateurs de pur amour durant toute leur vie. Je crois que, s’ils sont au Paradis, et si Dieu le permet, je les retrouverai. Merci Seigneur.
Henri de Meeûs
2024