La pandémie quitte l’Europe si on lit les courbes graphiques des contaminés, des soins intensifs et des décès. Tant mieux. Soulagement. Finie la terreur de chaque jour. Finies les obsessions des gestes préventifs, de distanciation, de lavages compulsifs des mains avec des gels à base d’alcool, de se moucher dans le creux de l’épaule ou dans des mouchoirs en papier, de porter un masque derrière lequel on respire difficilement – (de toutes tailles et de toutes couleurs, en rupture de stock pendant le premier mois du confinement par la faute des hauts responsables politico-sanitaires jamais coupables) – finies les consultations données chaque jour devant les télévisions hagardes par des soi-disant spécialistes trop jeunes, ignorant tout du virus, mais heureux d’apparaître, on parlera d’eux, de leur mine contrite ou de leurs sourires niais, jamais convaincants, lecteurs de statistiques qui accumulent les morts, distinguant les pauvres décédés dans les maisons pour vieillards et les défunts dans les cliniques de La Guerre des Mondes, avec les entubages par des araignées aux longs bras qui entrent dans les poumons pour apporter le dernier bol d’air des condamnés à mort.
Les Médias photographient les corps nus à peine revêtus d’un drap, leur lit encadré par des machines de science-fiction et servis par des hommes et des femmes habillés en astronautes. La mort solitaire dans un film de terreur.
Plus de 5.000 morts dans nos hôpitaux si modernes, si en pointe dans la recherche, la meilleure médecine au monde disaient les docteurs et doctoresses belges ! Et plus de 5.000 morts encore, dans les maisons des horreurs dénommées « séniories » où les médecins responsables n’ont ni le temps, ni l’organisation pour envoyer leurs malades âgés vers les hôpitaux, ceux-là obsédés de garder des lits destinés à d’autres malades plus jeunes qu’il faudra sauver d’abord.
On a compris qu’à partir de 65 ans, la créature humaine ne compte plus pour grand-chose : elle est « à risques », vous comprenez ? En cas de débordement dans les arrivées des malades, il faudra trier à l’entrée de la clinique et réserver les respirateurs et autres techniques sophistiquées aux jeunes, car on annonce des centaines de milliers de morts, ont crié dès le début de l’épidémie, certains spécialistes Infectiologues, virologues, dont les prévisions étaient relayées jour et nuit par des médias aux pages, aux écrans, nourris d’angoisses multiples.
C’est le fait d’avoir cru à ces oiseaux de malheur au début de l’épidémie qui a paniqué les politiciens ignorant tout du dossier épidémie, qui faisaient confiance aux spécialistes. Ils ont appliqué le principe de précaution tardivement à propos des masques, du gel, des respirateurs, tous manquants ou trop insuffisants encore en mars, ils ont voulu ne plus faire d’erreur, ils ont mobilisé tous les hôpitaux, dégagé les espaces réservés aux services soignant d’autres maladies, pour prévoir assez de lits de soins intensifs où allonger les victimes du Covid-19. Des lits ! Des lits ! D’abord et avant tout ! Que les agonisants ne s’entassent pas dans les couloirs !
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Je lis dans L’Echo de la Bourse du 23 mai :
« Nos sociétés occidentales semblent avoir oublié l’existence des maladies infectieuses pandémiques. (…) L’évolution de la médecine, de l’enseignement et de la recherche en portent la marque. L’infectiologie, la virologie, l’épidémiologie ne rencontreraient pas l’adhésion nécessaire. L’infectiologie est une sous-spécialité de la médecine interne, elle-même une des filières les moins prisées. Les meilleurs étudiants se détournent de ces spécialités moins rémunératrices requérant plus de présence et d’engagement, et préfèrent se tourner par exemple vers la radiologie. Cela expliquerait en partie notre déficit de réaction face à l’épidémie ou la pandémie.
(Professeur Olivier Faure, Historien de la santé)
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ODE AUX TREPASSES
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Qui verra le sourire de la dame quand
Sortie de l’ambulance feux allumés
Les infirmiers portent la civière
Ils sont quatre, il est minuit, les draps ont des ailes blanches
Le vent du soir est le vent de la maladie
Elle est si fatiguée
Ils ont téléphoné aux urgences
Elle est tombée dans la maison des vieux
Ne pouvant se relever
Du sang coulait de l’oreille gauche
Il a fallu la soutenir, titubante, Avez-vous mal ?
Elle ne disait rien
Elle n’avait pas vu les anges, ni ses chers chiens morts
Ses seuls chéris
Car les vieux des Mimosas sont gentils, jeux de cartes, parlottes,
Guetter la mieux habillée aux repas et celle qui rit jamais.
Ils l’ont embarquée dans l’ambulance et Mariette accompagne
On va à Saint Luc, c’est la clinique des contaminations
Elle a le covid-19, elle a entendu l’infirmier qui la croit sourde
Bon à mon âge, pas de chance, même si la vie n’est pas drôle
Vieillesse cauchemar, petits pas, peur de mourir, ou la chute.
A tous les repas les médicaments du Docteur.
La voilà dans un lit aux couvertures bleues
On l’a déshabillée, enfilé une chemise de nuit blanche qui touche ses orteils
Tout ira bien Madame, tout ira bien, on s’occupe de vous
Voici un masque à vous mettre sur le nez, la bouche
Attention aux élastiques
On croit que vous avez le Corona
Na na na
Je ne vois plus Mariette
Leur racontera l’expédition sirènes mugissantes
Passée à rouge sur l’avenue de Tervuren
Derrière les autos lentes
Bonsoir petite Madame a dit le docteur moustachu
En survêtement blanc,
Les médecins aiment bien l’uniforme
Qui fait peur et donne mauvaise mine
Stéthoscope autour du cou
Un serpent compte mes battements de cœur
Si j’en ai un
Vous avez de la fièvre, 38 degrés, quel est votre âge ?
J’ai quatre-vingt-deux ans dis-je dans un souffle
Il n’a pas entendu Il feuillette quelques papiers.
Il se lève, on l’appelle, d’autres entrées sans doute
Deux heures du matin
Qui va me soigner, regarder mon crâne fracturé
Je voudrais savoir
Mes enfants ne m’ont plus vue depuis le trente mars,
Un mois de confinement, concon,
Cela ne fait pas rire les vieux neu neu
Qui pense encore à sa maman ? c’est moi leur mère
Je suis malade.
Des gens passent dans ma chambre
Je ferme les yeux, j’ai froid et chaud dans la tête
Je suis une théière sous un chapeau de laine
Une grosse blonde m’a tendu un verre d’eau, j’ai bu, soif, soif.
Merci, j’ai dit, lui ai pris la main,
Elle a de beaux yeux de vache
Sont gentilles les vaches, des innocentes
Un autre lit à trois mètres du mien
On y dépose une dame plus jeune
Je crois qu’elle pleure
Trop de bruit, de monde,
On a saisi mon lit, on le pousse dans un long corridor
La salle des examens à trois heures du matin
On va radiographier votre crâne et vérifier si vous êtes contaminée
Il y a des cas de Covid dans votre home.
C’est une immense clinique aux mille couloirs
J’ai le tournis, je danse la valse au plafond
Si je perds pied comment retrouver mes bébés ?
J’ai trop chaud, je vais vomir, où est le docteur ?
Ma civière attend devant la porte grillagée des radiographies
On me fait une piqûre dans le bras.
Ma pauvre fille me dit un ange en saisissant ma main
Tu n’as pas ri beaucoup sur cette terre.
J’ai vu le soleil ce matin,
Mes chiens morts sont revenus.
Henri de Meeûs
Mai 2020
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