Ce temps de grippes, de frissons, de vent, de froid et de pluie, m’oblige à me refermer sur un espace, – ma chambre, mon bureau –, plus étroit pour récupérer mes forces et essayer de retrouver la santé. On réfléchit à son passé le plus lointain, on essaie de comprendre : tout s’est déroulé si vite qu’on a à peine le temps de dire ouf ; je suis d’un âge certain que je n’espérais pas atteindre à vingt ans.
Il faut d’abord remercier le Créateur de m’avoir permis de vivre jusqu’aujourd’hui.
Ensuite, même s’ils furent des intermédiaires, remercier mes père et mère qui, ayant gardé une bonne entente, ont élevé leurs enfants en leur donnant affection, nourriture et vêtements, et permis de nous inscrire dans un interminable cycle d’études primaires, secondaires et universitaires. Que de temps consacré aux études, aux préparations d’examens ! Des centaines d’examens : il allait de soi que la réussite était une évidence. Un échec, recommencer une année ? Inenvisageable catastrophe.
Stress et angoisses durant seize années de vie… Là fut selon moi, une violence très importante subie par l’enfant des bons parents qui ne cherchaient que son bien en vue de lui construire un avenir radieux.
Il faut remercier mes parents pour le cocon qui m’abrita durant cette période de longues études. Mais pour rien au monde, je ne voudrais revivre la période des études, trop nombreuses, souvent inutiles. Trigonométrie, Algèbre, Chimie, Géométrie, un amateur de littérature n’en avait rien à f… Et pourtant, pas question d’échouer si on voulait gravir les marches. Dans la vie réelle, ces branches scientifiques ne me furent d’aucune utilité.
L’enfant, l’adolescent étaient réglés comme sur du papier à musique et priés de chanter les notes indiquées. Sinon, c’était terminé. Un avenir de raté vous était promis.
Ensuite après l’Université, ce fut le temps de l’armée, période unique, où jeune officier j’apprenais, durant quinze mois, l’art du commandement, expérience magnifique, où le respect témoigné au soldat est une des qualités du chef, sans oublier la fermeté et la clarté de ses ordres. Pas de familiarités. Etre juste.
Maintenant, il n’y a plus de service militaire depuis longtemps. Les politiques ont détruit l’armée et ses traditions.
Ensuite, recherche d‘une profession, c’est une loterie. Vos diplômes universitaires ont montré vos capacités.
Diriger du personnel est encore un challenge. Manœuvrer avec un chef, parfois caractériel, est une autre gageure. L’argent reçu, votre traitement, dépend de la bonne appréciation du chef tout puissant.
Dans la vie professionnelle, vous découvrez les surcharges de travail, l’accumulation de problèmes à résoudre, le caractère particulier des collègues qui sont des rivaux, le stress qui épuise votre semaine, qui vous empêche de vous reposer le week-end, et bientôt de dormir la nuit, tant les problèmes tournent dans votre tête. Arrivent alors l’épuisement et le burn-out. Pour éviter l’effondrement physique, après six années de vie survoltée par le souci de faire du chiffre, vous donnez votre démission. Pour sauver votre peau.
Ensuite, c’est une banque qui vous engage et vous y resterez 27 années, car le stress y est supportable. Ne sont toxiques que certaines relations hiérarchiques, perturbées par l’origine linguistique (ce sont toujours les flamands qui obtiennent les premiers postes, pour les francophones, ce seront des responsabilités d’adjoints de direction. Et les partis politiques se partagent aussi les postes ! Il ne sert à rien de protester sinon, c’est la porte.)
Certains chefs flamands sont grossiers, et souvent peu compétents. La période du combat professionnel atteint son apogée entre 30 et 50 ans. Il faut rapidement devenir le spécialiste dans un domaine important pour la Banque. Vous devenez indispensable. Chez moi, ce fut le droit immobilier et l’art de la négociation. Je n’ai jamais regretté d’avoir suivi des études de droit.
Agés, les parents reviennent dans vos principales préoccupations et la gestion de vos week-ends. Ce sont les enfants célibataires qui sont les meilleurs protecteurs de leurs parents. Les enfants mariés, on les voit peu. Et les petits-enfants encore moins.
La mort (et l’avant-mort) des parents est une période intense de souffrances. Il faut accompagner leur fin, les aider à affronter un cancer ou le délabrement du grand âge. Pour rien au monde, revivre, en tant qu’être humain, ces souffrances.
C’est quand on est orphelin de père et de mère, qu’on devient adulte.
Ce qui compte, c’est d’avoir été là.
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La vulgarité règne sur le monde et l’argent l’accompagne, la nourrit. Les émissions de divertissement à la TV deviennent insupportables à regarder, tant les rires sont faux, tant les visages grimaçants sont des masques hideux. La familiarité déplacée des présentateurs n’a d’égale que le manque de distinction des donzelles-faire valoir qui meublent ces émissions, dont le niveau culturel frise le zéro absolu. Il faut rire de tout et de n’importe quoi. Plus larges seront les bouches hystériques, plus le succès est acquis. Se moquer est un sport apprécié surtout si la victime invitée perd ses moyens et n’a pas le courage de lever la séance et de tout planter là.
Comment les êtres humains, responsables de ces émissions, ne réalisent-ils pas que leur âme est morte, qu’ils ont déjà éteint la lumière ? Futurs démons.
La méchanceté de certains humoristes, parfois talentueux, devient impossible à freiner. Canteloup, au réel talent d’imitateur, grisé par son succès, se moque maintenant des symboles chrétiens comme l’enfant Jésus, sa mère, son père, la crèche, etc.
Il ose tout. L’Eglise de France doit rire aussi vu qu’elle ne proteste pas et ne réagit pas. Ils se gondolent tous devant leur écran.
Les défauts physiques des cibles moquées, sont amplifiés pour bien les ridiculiser. Attention Canteloup ! L’argent et le succès ne vous permettra pas d’échapper au retour du boomerang. On ne se moque pas longtemps du sacré et de la justice immanente.
Le même sort est destiné à tous ceux qui, par amour de leur audimat et du fric, enfoncent de plus en plus profond dans les marécages, les décérébrés connectés à leurs programmes.
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Extraits du Journal de Jean Cocteau, Le Passé défini, tome VI, 1958-1959, Gallimard, 794 pages :
Novembre 1958 : Dîner au château que les Simenon ont loué et transforment de fond en comble. Les pièces, l’éclairage, le personnel reflètent l’étrange atmosphère inculte où vivent Georges, sa femme et le fils aîné. C’est l’inconfort impersonnel d’une vaste entreprise commerciale de romans écrits à la chaîne. L’admiration que Georges me porte est une manière d’acte de foi, car je me demande s’il connaît une ligne de mon œuvre. (Même jeu pour Marcel Pagnol). Ni Georges ni sa femme n’écoutent même si on répète et s’efforce de crier ce qu’on essaye de leur dire (p.379). (…)
Georges Simenon ne boit plus. Sa femme m’aime parce que je suis le seul à ne pas lui avoir fait grise mine lorsqu’i revint avec elle du Canada. C’était alors une petite paysanne avec des nattes roulées sur les oreilles et la taille lourd. La voilà de nouveau enceinte et heureuse de parler de son ventre. Mais la paysanne a changé de style. Alexandre la coiffe. Dior l’habille. Poudre et rouge à lèvres complètent le tableau. Après le déjeuner, Simenon (qui parle des voitures comme un connaisseur parle des vins et conduit fort mal) nous mène chez Viviani le tailleur des princes. C’est du moins Georges qui l’affirme et le présente comme n’habillant que les personnes capables de montrer patte blanche. La boutique est plein de toiles de maîtres dont presque toutes sont fausses. Georges les admire et lui offre huit millions d’un faux Modigliani assez mal imité par un peintre de Montparnasse. Rien de plus naïf que ce Georges. Il se croit passé maître dans l’art de rouler le fisc. (P. 382).
Jamais je ne me décernerai assez d’éloges puisque les autres mourraient plutôt que de me les décerner (p. 403).
Mes différentes vies successives. Ce soir (très seul) je pensais à tous ceux qui ont été intimement mêlés à ma vie et qui en sont sortis pour toujours sans que jamais je ne reçoive de leurs nouvelles. Tous ne sont pas morts, mais ils sont morts pour moi t il est probable que je suis devenu un autre à leurs yeux, puisqu’ils ne cherchent pas à me revoir.
C’est pourquoi j’attache un prix extrême à ceux qui m’ont été fidèles et ne sont pas entrés par une porte pour sortir par l’autre. (p. 464).
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