Une description de la Noblesse de province en France par Honoré de Balzac, dans son livre La Femme abandonnée, écrit en 1832.
« En 1822, au commencement du printemps, les médecins de Paris envoyèrent en Basse-Normandie un jeune homme qui relevait d’une maladie inflammatoire causée par quelque excès d’étude, ou de vie peut-être. Sa convalescence exigeait un repos complet, une nourriture douce, un air froid et l’absence totale de sensations extrêmes. (…) Il vint à Bayeux, jolie ville située à deux lieux de la mer, chez une de ses cousines, qui l’accueillit avec cette cordialité particulière aux gens habitués à vivre dans la retraite, et pour lesquels l’arrivée d’un parent ou d’un ami devient un bonheur.
A quelques usages près, toutes les petites villes se ressemblent. Or, après plusieurs soirées passées chez sa cousine Mme de Saint-Sevère, ou chez les personnes qui composaient sa compagnie, ce jeune Parisien, nommé M. le baron Gaston de Nueil, eut bientôt connu les gens que cette société exclusive regardait comme étant toute la ville. Gaston de Nueil vit en eux le personnel immuable que les observateurs retrouvent dans les nombreuses capitales de ces anciens Etats qui formaient la France d’autrefois.
C’était d’abord la famille dont la noblesse, inconnue à cinquante lieues plus loin, passe, dans le département, pour incontestable et de la plus haute antiquité. Cette espèce de famille royale au petit pied effleure par ses alliances, sans que personne s’en doute, les Navarreins, les Grandlieu, touche aux Cadignan, et s’accroche aux Blamont-Chauvry. Le chef de cette race illustre est toujours un chasseur déterminé. Homme sans manières, il accable tout le monde de sa supériorité nominale ; tolère le sous-préfet, comme il souffre l’impôt ; n’admet aucunes des puissances nouvelles créées par le dix-neuvième siècle, et fait observer comme une monstruosité politique, que le premier ministre n’est pas gentilhomme. Sa femme a le ton tranchant, parle haut, a eu des adorateurs, mais fait régulièrement ses pâques ; elle élève mal ses filles, et pense qu’elles seront toujours assez riches de leur nom. La femme et le mari n’ont d’ailleurs aucune idée du luxe actuel : ils gardent les livrées de théâtre, tiennent aux anciennes formes pour l’argenterie, les meubles, les voitures, comme pour les moeurs et le langage. Ce vieux faste s’allie d’ailleurs assez bien avec l’économie des provinces. (…)
A cette famille fossile s’oppose une famille plus riche mais de noblesse moins ancienne. Le mari et la femme vont passer deux mois d’hiver à Paris, ils en rapportent le ton fugitif et les passions éphémères. Madame est élégante, un peu guindée et toujours en retard avec les modes. Cependant elle se moque de l’ignorance affectée par ses voisins ; son argenterie est moderne ; elle a des grooms, des nègres, un valet de chambre. Son fils aîné a tilbury, ne fait rien, il a un majorat ; le cadet est auditeur au Conseil d’Etat. Le père, très au fait des intrigues du ministère, raconte des anecdotes sur Louis XVIII et sur Mme du Cayla ; il est membre du conseil général, se fait habiller à Paris, et porte la croix de la Légion d’honneur. Enfin ce gentilhomme a compris la Restauration, et bat monnaie à la Chambre ; mais son royalisme est moins pur que celui de la famille avec laquelle il rivalise. Il reçoit La Gazette et les Débats. L’autre famille ne lit que La Quotidienne.
Monseigneur l’évêque, ancien vicaire général, flotte entre ces deux puissances qui lui rendent les honneurs dus à la religion, mais en lui faisant sentir parfois la morale que le bon La Fontaine a mise à la fin de L’Ane chargé de reliques. Le bonhomme est roturier.
Puis viennent les astres secondaires, les gentilshommes qui jouissent de dix ou douze mille livres de rente, et qui ont été capitaines de vaisseau, ou capitaines de cavalerie, ou rien du tout.. A cheval par les chemins, ils tiennent le milieu entre le curé portant les sacrements et le contrôleur des contributions en tournée. Presque tous ont été dans les pages ou dans les mousquetaires, et achèvent paisiblement leurs jours dans une faisance-valoir, plus occupés d’une coupe de bois ou de leur cidre que de la monarchie. Cependant ils parlent de la charte et des libéraux entre deux rubbers de whist, ou pendant une partie de tric-trac, après avoir calculé des dots et arrangé des mariages en rapport avec les généalogies qu’ils savent par cœur. Leurs femmes font les fières et prennent les airs de la cour dans leurs cabriolets d’osier ; elles croient être parées quand elles sont affublées d’un châle et d’un bonnet ; elles achètent annuellement deux chapeaux, mais après de mûres délibérations, et se les font apporter de Paris par occasion ; elles sont généralement vertueuses et bavardes.
Autour de ces éléments principaux de la gent aristocratique se groupent deux ou trois vieilles filles de qualité qui ont résolu le problème de l’immobilisation de la créature humaine. Elles semblent être scellées dans les maisons où vous les voyez : leurs figures, leurs toilettes font partie de l’immeuble, de la ville, de la province ; elles en sont la tradition, la mémoire, l’esprit. Toutes ont quelque chose de raide et de monumental ; elles savent sourire ou hocher la tête à propos, et, de temps en temps, disent des mots qui passent pour spirituels.
Quelques riches bourgeois se sont glissés dans ce petit faubourg Saint-Germain, grâce à leurs opinions aristocratiques ou à leurs fortunes. Mais, en dépit de leurs quarante ans, là chacun dit d’eux : « Ce petit un tel pense bien ! » Et l’on en fait des députés. Généralement ils sont protégés par les vieilles filles, mais l’on en cause. »
(Extraits de La Femme abandonnée (Scènes de la vie privée), dans La Comédie humaine d’Honoré de Balzac, tome II, Etudes de mœurs, Pléiade Gallimard, p.463 et suiv.)
Honoré de Balzac
1799-1850
°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°
°°°
Partout et de plus en plus rapide, la vulgarité pénètre dans tous les milieux, n’épargnant ni les sexes, ni les puissants, ni les humbles. Les femmes ont renoncé à l’élégance, les hommes à la culture de l’esprit. C’est le règne des journalistes d’une presse (tous medias confondus) de plus en plus médiocre, prétentieuse, menteuse, et subsidiée par les partis ou les publicités. Lors des interviews télévisées, les hommes de pouvoirs portent des tenues débraillées, chemises largement ouvertes, bientôt jusqu’au nombril, pour faire jeunes, pour montrer que l’ancien monde n’est pas le leur, sans respect pour les spectateurs obligés de supporter cette grossièreté. L’argent est roi. Cette époque qui place au sommet du bonheur l’achat de biens de consommation, fait la rage des pauvres obligés d’avaler jour et nuit les réclames de produits de grand luxe, voitures rutilantes, croisières, sociétés d’assurances, tirages du lotto où des millions d’euros se jettent chaque soir, mais pas pour eux.
Une pollution nouvelle gagne les villes : ce sont les horribles trottinettes et bicyclettes électriques flamboyantes, abandonnées sur les trottoirs par des crétins, jetées de-ci, de-là, sans égard pour les piétons âgés forcés de slalomer entre ces déchets modernes que l’Autorité admet, autorise, encourage.
Dans les restaurants, un public de toutes les couleurs, ne fait plus l’effort de se présenter habillé correctement aux serveurs en tenue qui les reçoivent en souriant, mais qui n’en pensent pas moins. Des femmes moulées dans des pantalons raccourcis ou déchirés, de luxe, précèdent leurs compagnons à la tête d’acteurs pornos ou de supporters de foot. Il sera bientôt préférable de ne plus sortir et de manger seul dans sa cuisine.
Tout le monde s’embrasse et tout le monde se déteste. Z a 400 amis sur Facebook et se suicide de n’être pas aimé.
A Bruxelles, un couple sur deux divorce. Vive les mariés ! « Le plus beau jour de votre vie est celui de votre mariage », crie la publicité pour les robes de mariée. Pauvres femmes hypnotisées et bien vite déçues. A trop compter sur l’amour, elles perdent tout.
°°°
Poèmes
_______
L’air aigu du violoncelle
___________________
Plaçant la cassette dans le walk-man
Il regarda le paysage
De sa fenêtre ouverte
Alors s’éleva l’air aigu
Du violoncelle
Emotion folle
De la beauté de Dieu
Il vit des oiseaux
Monter dans le ciel
Colombes grises et pigeons roses
Plonger vers le sol
Avec des arabesques dans l’air
Eblouissant
Des flèches de pureté fusaient
Vers les arbres rajeunis
Tout le vert du printemps
En grande fête
Sur les vastes prairies
D’azur et d’or pâle
Il rappelait des cieux
Les anges de Dieu
Comment voulez-vous que je m’y fasse
Que je m’habitue
De tant de grâces, de tant de dons
Je suis rempli mon Dieu
Alors dans le cœur du cœur
Finit l’air aigu
Du violoncelle
Emotion folle
De la bonté de Dieu
Un oiseau noir se pose
Sur le marronnier en fleurs
Dans le secret des cieux.
Henri de Meeûs 1994
°°°
La Chanson de Josée la Bossue
_________________________
Y a pas d’avance
Faut que ça avance
Toute la journée
Ces mijaurées
Me cassent les pieds
Je suis la bossue
Qu’est jamais nue
Comme ma patronne
La grosse trombonne
Qui s’en va l’soir
En soutien-gorge
Toute seule dans l’noir
Gare à sa gorge !
Y a l’musicien
Le beau gamin
Le ptit chaton
De la Dekorte
Qui tape ses notes
Sur l’piano
Et lui apporte
Des ptits gâteaux
C’est son lapin
Quel rintintin !
Y a pas d’avance
Je vais pleurer
C’est la malchance
J’ai un goût rance
Dans mon cerveau
De mal mariée
Faut la voir
Faisant des mines
A son chéri
Pas très gentil
Pour qu’il l’embrasse
Lui tient le bras
Quel chocolat !
Ce musicien sage
M’a pris en cage
Dans sa java
Quel tralala !
Œil de velours
Cœur de papier
C’est bien trop lourd
Y a pas d’avance
C’est un guêpier !
Henri de Meeûs, novembre 1994
°°°°°°°°°°°°°°°°°°
Lectures à conseiller de livres très récemment publiés :
- Michel Onfray, La Danse des simulacres, une philosophie du goût, édité chez Bouquins, Robert Laffont, mars 2019, 1465 pages.
- Michel Onfray, Théorie de la dictature précédé de Orwell et l’empire Maastrichien chez Robert Laffont, mai 2019, 230 pages.
- Un numéro de L’Herne consacré à Michel Onfray, janvier 2019, 288 pages.
- Philip Roth, Pourquoi écrire ?, collection folio Gallimard, 2019, 635 pages.
- Louis-Ferdinand Céline, Cahiers de prison, février-octobre 1946, Gallimard 2019, 226 pages..
- Edward St Aubyn, Patrick Melrose (Intégrale), Le Livre de poche, novembre 2018, 1075 pages.
- Oscar Wilde, Rien n’est vrai que le beau, Œuvres choisies, Lettres, Collection Quarto Gallimard, 2019, 1163 pages.
- Nicolas von Below, A droite d’Hitler, Mémoires 1937-1945, Editions Perrin, 573 pages.