On vit des dizaines d’années, chaque jour, chaque nuit, avec un être; on s’aperçoit soudain qu’il ne vous connaît pas, qu’il ne vous a jamais aimé, que ses yeux seront secs le jour de vos funérailles.
Le courage de rompre une relation toxique, et de la rompre férocement. « Allez au diable ! » et de refuser toute réconciliation.
Le vide cérébral de certains jeunes que rien n’intéresse. Aucune culture, aucune lecture, aucun hobby, aucun sport. Vautrés dans un canapé à regarder des programmes d’une TV médiocre, ils perdent leur vie. Coupables ? Ils ont manqué de guides ou de parents pour les réveiller, les éclairer. Mais quand on rencontre les parents, on comprend que la partie était perdue avant qu’elle ne commence.
« Faire confiance à un être après avoir connu sa méchanceté, aller au-delà de sa méchanceté, vous donne la même puissance qu’aller au-delà de la crainte de votre propre mort. Le : « Je ne suis pas arrêté par la méchanceté de cet être », égal au : « Je ne suis pas arrêté par la pensée de ma mort ». (Montherlant, Carnets XXI, Pléiade, Essais, NRF, page 1045).
La grande gentillesse de personnes connues il y a longtemps, qui ne vous ont pas oublié, qui vous retrouvent à l’occasion d’un évènement imprévu, qui affirment que ce fut la plus belle période de leur vie de travailler avec vous.
J’entre dans le restaurant où je déjeune souvent. Le visage des serveurs s’éclaire. Et mon chien me précède. Encore un instant de bonheur …
Dire la vérité, dire ce qui est, certains ne le supportent pas et c’est la brouille. Ils disparaissent de l’écran radar. Bon débarras.
Vous aimez une jeune fille. Elle se laisse aimer. Puis sans crier gare, elle se tourne vers un autre, se marie, a des enfants, vous oublie. Valait-elle d’être aimée ?
Le 21 septembre : anniversaire de la mort tragique de Montherlant (1895-1972) et de celle d’Arthur Schopenhauer (1788-1860). Etonnant rapprochement de ces deux génies. Schopenhauer a nourri Montherlant et Montherlant m’a nourri.
De Thomas Bernhard (1931-1989): 3 citations :
« Les malades ne comprennent pas les bien-portants, tout comme, inversement, les bien-portants ne comprennent pas les malades, et ce conflit est très souvent un conflit mortel, que le malade, en fin de compte, n'est pas de taille à affronter, mais, bien entendu, pas davantage le bien-portant, qu'un tel conflit, souvent, rend malade ». (Le neveu de Wittgenstein, trad. Jean-Claude Hémery, p.65, Folio n°2323)
« Les remises de prix littéraire sont, si je fais abstractions de l'argent qu'elles rapportent, ce qu'il y a de plus insupportable au monde. [...] Accepter un prix, cela ne veut rien dire d'autre que se laisser chier sur la tête parce qu'on est payé pour ça. J'ai toujours ressenti ces remises de prix comme la pire humiliation qu'on puisse imaginer, et pas comme un honneur. Car un prix est toujours décerné par des gens incompétents qui veulent vous chier sur la tête quand on accepte leur prix en mains propres ».
(Le neveu de Wittgenstein, trad. Jean-Claude Hémery, p.89, Folio n°2323)
« Et je pense maintenant que les êtres qui ont vraiment été importants dans notre vie peuvent se compter sur les doigts d'une seule main, et, bien souvent, cette main se révolte contre la perversité que nous mettons à vouloir consacrer toute une main à compter ces êtres, là où, si nous sommes sincères, nous nous en tirerions probablement sans un seul doigt ». (Le neveu de Wittgenstein, trad. Jean-Claude Hémery, p.108, Folio n°2323).
Montherlant, ennemi des femmes ? Rien de plus ridicule que cette accusation de misogynie sans cesse répétée, sans vraiment connaître la vie de l’écrivain. Si Montherlant rejetait l’idée du mariage, (« Plutôt le cancer ou la tuberculose », écrivait-il à Alice Poirier, folle d’amour pour lui durant 35 ans, et obsédée par des épousailles avec son Rilet adoré), il avait de nombreuses amies. Son unique héritière fut d’ailleurs une femme, Marguerite Lauze, morte trois mois après lui en 1973.
Voici le témoignage d’une femme remarquable, Elisabeth Zehrfuss (1907-2008), amie de Montherlant : « Je mesurais avec ravissement la toujours égale humeur de Montherlant, son amitié souriante, taquine, toujours indulgente et complice. Nos rencontres presque quotidiennes empreintes de gaieté et de connivence étaient une grâce du ciel. Il m’apprenait beaucoup de la vie, avec toujours tant de délicatesse, de retenue et une telle désinvolture que tout était léger. Avec lui, jamais rien de trouble ou de malsain dans ses propos, une hauteur naturelle, et pour les choses de l’existence, un rire et des gambades (…) De toute ma vie, je n’ai jamais rencontré avec personne la même miraculeuse entente ».
Elisabeth Zehrfuss
1907-2008
Et de la comtesse Govone (Mariette Lydis, artiste peintre), ce texte :
« Comment est Montherlant ? Combien de fois m’a-t-on posé cette question car Montherlant est invisible, inaccessible, entouré de légendes, de mystère. Son téléphone est dressé, il a des journées interdites, il n’est pas un moyen de communication, plutôt le contraire. Montherlant habite une forteresse.
Montherlant m’invite à dîner. J’arrive Quai Voltaire à huit heures. Le domestique m’introduit dans la pièce que je connais, froide, pleine de statues romaines, vide de tout confort.
Mon préféré : un masque troué de guerrier. (1)
Le domestique est un long type qui s’appelle Monthéry malgré qu’il soit russe. Il se qualifie au téléphone comme « l’ordonnance de M. le Comte ». Montherlant commente : « Et voilà les gens qui me détestent qui doivent dire : il a dressé son domestique comme s’il était général ». Au début, il y a dix ans, à peine entré à son service, Monthéry demandait : « Monsieur le Comte moi pouvoir faire pipi ? » à la suite de quoi, Montherlant l’engagea à le faire sans autorisation.
Quelle vue noble celle de ses fenêtres sur Le Louvre au-delà de la Seine ! Quel calme, cette fin de journée au mois d’août !
Montherlant ne ressemble à personne, ni physiquement et encore moins dans sa personnalité. Les soirées avec lui (car grands travailleurs lui et moi), nous ne nous permettons le luxe de nous rencontrer qu’à la fin du jour.
Je sens avec lui une liberté de paroles dans tous les domaines comme avec personne. Son grand esprit libère les restrictions que l’on a besoin de s’imposer généralement.
La qualité multiforme de son esprit étonne toujours à nouveau. Sa conversation produit une étincelle, une vibration inégalable ; on devient plus intelligent à son contact. C’est comme si des régions, en vous, s’éclairaient qui, généralement, étaient restées dans l’ombre. Tout cela malgré une apparente sécheresse, une distance qui le font paraître rêche et « infléchissable ». En plus, lui qu’on traite de cynique, ce qui devrait être traduit par pudique, pudeur du sentiment de ceux qui sont ultra-sensibles, ultra-vulnérable, lui que l’on appelle égocentrique et Dieu sait qu’il l’est, cependant est le seul être qui sache écouter avec respect, intérêt, concentration et mémoire.
Combien de fois l’ai-je entendu dire : je me souviens de ce que vous m’avez raconté il y a dix ans. Quelle est la personne qui se souvient de ce qu’on lui a dit, il y a dix ans ? (…)
Espèce de déité en acier, sa clarté de jugement sur le monde et sur lui-même sont désarmantes (…). Prestigieux auteur, écrivain de première ligne.
(Il s’agit du « Masque de Conflans » de la Collection d’Antiques de Montherlant mise en vente le 7 novembre 2017 à Paris à 14h30 chez Artcurial)
Les Nuages par Mariette Lydis (comtesse Govone)
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