Pour certaines femmes, l’histoire de leur couple commence avec le Prince charmant et finit avec Barbe-bleue.
La mode actuelle des couples avec enfants est d’envoyer leurs cartes de vœux toutes imprimées avec adresse, prénoms et noms, et les enfants photographiés dans les paysages les plus variés, palmiers, volcans ou pyramides, mais l’écriture manuscrite est absente, aucune signature même à la pointe bic. Ces cartes de vœux ressemblent de plus en plus à une publicité de grands magasins.
On ne donne jamais assez aux pauvres qu’on rencontre. Soudain, vous apprenez que Z ou X qui dormaient dans la rue, sdf, anciens délinquants perdus et sans repères, sont morts sans secours. Le cœur a des prudences affreuses dans l’acte de charité. A la sortie des églises, en général, les mendiants reçoivent des miettes. Parfois, certains prêtres avertissent les fidèles de ne pas donner tant ils craignent l’envahissement des pauvres dans la Maison de Dieu.
Mieux valent les concerts qui rapportent !
Lire une revue d’astronomie écrase notre orgueil. Que sommes-nous dans cet univers infini ? Ainsi je lis que les planètes dans notre galaxie, La Voie Lactée, sont au moins aussi nombreuses que les étoiles. Il y en aurait au moins 200 milliards, mais seules environ 4.000 sont pour l’heure répertoriées. La plupart des exoplanètes détectées sont des géantes gazeuses, mais les planètes comparables à la Terre, les « super-Terre », seraient majoritaires.
Mon ami, religieux à 18 ans, est mort à 75 ans dans le couvent de sa vocation. Son corps est exposé dans un parloir, cercueil ouvert, avec trois chaises pour ceux qui veulent prier. Mais à part le cadavre allongé, il n’y a personne. Sa famille est à l’étranger et ses confrères sont sans doute trop occupés. O beata solitudo !
A-t-il connu l’amour durant sa vie ? Très peu de monde dans l’église le matin des funérailles. Or, il fut un bon professeur durant plus de trente années. Vite oublié.
« Au Jugement dernier, quelqu’un viendra qui dira : « Seigneur, j’ai écrit Guerre et Paix. » Un autre dira : « Seigneur, j’ai écrit La Montagne magique, où le monde repose sur le sacrifice d’un enfant. » Un autre dira : « Seigneur, j’ai écrit plus de quatre-vingts romans et recueils de nouvelles. » Un autre dira : « Seigneur, moi j’ai reçu un grand prix international. » Un autre dira : « J’ai écrit Finnegans Wake, exprès pour Toi, car personne d’autre ne peut le lire. » Un autre : « Seigneur, voici Cent ans de solitude. On n’a jamais rien écrit de meilleur. » Ils formeront des files et des files, chacun avec sa pile de livres et ses coupures de presse, comme les fondateurs d’églises dessinés dans le naos avec leurs édifices en miniature reposant entre leurs mains. Tous seront soulignés d’arcs-en-ciel et de flux d’énergie, leurs visages éclaireront comme des soleils. Le Seigneur leur dira : « Oui, je les ai bien sûr tous lus avant même que vous les écriviez. Vous avez donné aux hommes des heures de délectation, vous les avez poussés à la méditation et à la rêverie. Vous avez dessiné en trompe-l’œil les plus étonnantes, les plus baroques, les plus ornementales, les plus massives portes sur la paroi intérieure de leur front, sur son os lisse et jaune. Mais laquelle s’est-elle réellement ouverte ? Dans quelle porte a-t-on vu la paupière du front se lever sur l’œil du cerveau ? Quelle porte a permis au cerveau de commencer à voir pour de vrai ? » Un peu à l’écart, il y aura, dans leurs guenilles, Kafka et le président Schreber, Isidore Ducasse et Swift et Sabato, et Darger et Rezzori, auprès de milliers d’anonymes, auteurs de journaux déchirés, brûlés, avalés, enterrés dans le vacarme du temps. Eux, ils auront les mains vides, mais avec des lettres gravées sur la paume : « Maître des rêves, le grand Isachar… » Derrière eux viendront des millions d’écrivains qui n’ont écrit qu’avec des larmes, du sang, de la substance P, de l’urine et de l’adrénaline et de la dopamine et de l’épinéphrine, directement sur leurs organes ulcérés de peur, sur leur peau excoriée d’extase. Chacun portera entre ses bras sa propre peau écrite recto verso, dont le Seigneur fera, en les assemblant entre les couvertures de la naissance et de la mort, le grand livre de la souffrance humaine. »
(Extrait de Solénoid de Mircea Cărtărescu, Editions Noir sur Blanc, août 2019, p.268-269)
Note : Mircea Cărtărescu est un écrivain roumain, né à Bucarest , le 1/06/1956.
Il obtient son doctorat en littérature roumaine en 1999, avec la thèse
"Le Postmodernisme Roumain", sous la direction du professeur Paul Cornea.
Sa thèse
est publiée la même année, par la maison d'édition Humanitas.
Critique et théoricien littéraire, il est un représentant de la Génération '80. À la fin de ses études, entre 1980-1989, il est professeur de roumain, occupant ensuite des fonctions
administratives à l'Union des écrivains roumains, et rédacteur au magazine "Caiete Critice"("Feuilles critiques").
En 1991, il devient lecteur et ensuite professeur, en 2004, à la Faculté des Lettres de Bucarest, spécialité Histoire de la littérature roumaine. Il vit en partie à Bucarest et en
partie en Allemagne où il enseigne à l'université de Stuttgart.
Il est
aussi collaborateur régulier de la presse écrite roumaine.
Actuellement, il est considéré comme un possible candidat au Prix Nobel de littérature.
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Faute de fidèles chrétiens chaque année plus rares, plus âgés, les églises se vident, sont désaffectées ou désacralisées, c’est bientôt le désert, les jeunes renoncent à assister aux messes, à écouter les homélies ennuyeuses prononcées sans le feu sacré par des prêtres fatigués, qui lisent des textes préparés par une administration de fonctionnaires ecclésiastiques, loin de la vie réelle, des difficultés des couples, des problèmes vécus entre parents et enfants. Tout s’en va, les vocations sont absentes, il n’y a plus de relève. Dieu acceptera-t-il encore longtemps ce reflux ?
Arrivent en Occident les migrants, les fidèles musulmans, pas timides, cherchant des mosquées nouvelles pour leurs imams du Maroc ou de Turquie, prêts à occuper, grâce à leurs importantes ressources financières, les bâtiments chrétiens consacrés et vides.
Le Concile du Pape Jean XXIII fut une catastrophe majeure du XXe siècle avec la critique systématique de l’Autorité et des dogmes. Conséquences : couvents vidés, religieux et religieuses défroqués, divorces multipliés chez les chrétiens, éducation religieuse devenue inexistante, etc.
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A L’ASILE
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à A.M
I
Horreur de te laisser à l’asile
Qui va te défendre, s’occuper de toi
Caché derrière plusieurs portes
Fermées à triple tour
Gardé par des infirmières
Qui prennent des airs supérieurs
Quand j’annonce ma visite
J’entends ton nom retentir dans les couloirs
Comme dans une prison
Quel malheur pour toi, pour moi
Cela fait tant de douleurs
Dans le parloir où nous bavardons
Tu annonces la couleur
A tous les visiteurs
Le Royaume de Dieu est proche.
II
Horreur de te laisser à l’asile
Les médicaments ne changent rien
Poussé par la force de Dieu toujours tu proclames
Combien de temps, de jours, de mois, tiendras-tu ?
Ils ne te lâcheront plus
Je t’avais prévenu
Tes beaux yeux gris sont si tristes
Tu me demandes la liberté la sortie
Combien y a- t-il de portes de guetteurs
C’est un très grand malheur
Qui pétrifie mon âme et noircit mon cœur
Couvert de deuil je prends la plume
Pour chanter ton malheur
Exceptionnel ami tant aimé Mon cœur est ravagé
Le Royaume de Dieu est proche.
III
Horreur de te laisser à l’asile
Ta brave mère peut enfin te visiter
Ne comprenant rien, ne sait que faire
T’apporter le linge et des gémissements
Elle est bien résignée
Pour elle tu es mieux à l’asile
Alors que pour toi vive la liberté
Le Royaume de Dieu est proche.
IV
Par toi les pauvres furent recueillis
Nourris logés lavés par toi
Valet de Dieu comme il t’appelait
Felix le pauvre, clochard la misère
Tu l’as couché sur ton lit
Tu dormais sur le plancher
Horreur de te laisser à l’asile
Mon âme est à vif. Je pleure
Le Royaume de Dieu est proche.
V
Le soldat de carrière l’ancien commando
Si pauvre abandonné qui vécut chez toi
Sans rien, le plus pauvre des pauvres
Fut chassé de ton logis par la police
Quand ils décidèrent de t’arrêter
Fut retrouvé par toi
Sous des cartons près de la rue Royale
Tu clamas ta fureur
Quand je t’emportai dans ma voiture
Accueille-le tu m’as dit
J’ai répondu impossible
Qu’est-il devenu, Seigneur, est-il mort
Le pauvre ami de mon ami
Il m’avait demandé de l’aide
Je ne l’ai pas donnée
Horreur de te laisser à l’asile
Le Royaume de Dieu est proche.
VI
Je t’ai mal accueilli
Quand tu étais poursuivi
J’aurais dû faire beaucoup plus
Ouvrir mon cœur davantage
Calmer les battements
De l’émotion J’ai eu peur
Pourtant Jésus m’aidait
Il était là
Mon cœur n’était pas tendre
Quand tu venais dormir
Dans mon salon
Sur le matelas de réserve
Je voulais maîtriser ta force
Que chez moi tu ne proclames plus
Tu en faisais si peu J’ai failli te battre mon pauvre ami
Valet de Dieu comme il t’appelait.
VII
Je devrais tous les jours
Venir te regarder
Me nourrir de ta lumière Et de ta sainteté
Tu n’es pas fou je le sais Dieu qui est jaloux
T’a voulu pour Lui
Et tu as répondu Oui
Me laissant dans ma douleur
Horreur de te laisser à l’asile
C’est un très grand malheur.
VIII
Tu m’as dit
Apporte-moi Jésus
Ici il n’y a pas de messe
Je voudrais communier
Une religieuse passe de temps en temps
Mais souvent elle t’oublie
Tu voulais tant te nourrir de Jésus
L’Agneau de Dieu
Mon pauvre agneau si doux
Quelle tristesse de te laisser à l’asile.
IX
Seigneur Jésus pitié pour nous
Agneau de Dieu pitié pour nous
Qu’on ne lui fasse pas de mal
Qu’il garde votre lumière
Qu’il connaisse votre plan
Mais dans combien de temps
Seigneur mon ami est à l’asile
Il Vous aime tant.
X
Que Votre volonté soit faite
Pour lui
Que Votre nom soit sanctifié
Par lui
Que Votre règne vienne.
Poème de Henri de Meeûs, 15 mai 1994
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Livres à conseiller :
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- Mircea Cărtărescu, Solénoïde, Les Editions Noir sur Blanc, 791 p. Août 2019
- Jean-Luc Bitton, Jacques Rigaut, Le Suicidé magnifique, Gallimard, 706 p. Octobre 2019
- Tout Homère, Nouvelle traduction, Editions Albin Michel - Les Belles Lettres, 1291 p. Novembre 2019.
- Joseph de Maistre, Correspondance, Paris, Les Belles Lettres, 1534 p. Octobre 2017.
- Michel-Ange, Correspondance - Carteggio, tome 1, 262 p. et tome 2, 270 p. Les Belles Lettres, Août 2011.
- Sainte Catherine de Sienne, Œuvres complètes, Paris Les Belles Lettres, 1657 p. 2019.