Montherlant, sur le Front en 1918, fut blessé. Le 6 juin 1918, son unité subit un tir d’artillerie. Son sous-officier est tué devant lui. Montherlant, simple soldat, comptera parmi les blessés. Il a sept éclats d’obus dans le dos, l’épaule et les reins. Une opération ne permettra de retirer qu’un des sept éclats. Il souffrira toute sa vie de cette blessure qui, à l’époque, fut considérée comme superficielle. Il en donnera le récit dans Mors et Vita. Il dira qu’il l’avait bien cherché. Il reçut la Croix de Guerre. Voici un court extrait de ce livre :
« Souvenirs.
Toute une nuit, par excès de tension nerveuse (sous un bombardement continu et prolongé), lutter contre l’évanouissement. La sensation qu’il n’y a plus une goutte de sang dans votre face. La sensation que votre corps s’est allongé sans mesure, que vos pieds sont à des kilomètres de votre tête. La sensation qu’on se vide par les jambes. La sueur au front, les mains glacées, toute la charpente nerveuse vibrant à l’intérieur de vous. Très éprouvant.
La certitude qu’il arrivera un instant où votre volonté se cassera net : comme toute chose humaine, sa résistance n’est pas infinie. Croire que la résistance morale peut suppléer indéfiniment à la résistance physiologique, c’est une erreur qui a fait fusiller des milliers d’hommes courageux, et désespérément courageux, mais en qui, malgré une contrainte héroïque, la machine, puis la volonté, avaient flanché. Hommes de qui le mérite a pu être, et sans comparaison, supérieur à celui de braves plus solidement bâtis. La physiologie commande à un tel point que les condamnations pour abandon de poste, comme aussi bien les citations, ne peuvent être tenues que pour des présomptions, non des preuves. Le conseil de guerre est une présomption de lâcheté, la citation une présomption de bravoure. C’est tout.
A cet instant où votre volonté se cassera, on se dressera comme un Lazare, toutes ses forces soudain galvanisées, et on fichera le camp. On descendra au galop à l’échelon, on abordera le premier officier rencontré et on lui dira : « Mon lieutenant, je viens d’abandonner mon poste. Demain, quand mes forces de corps et d’âme seront revenues, je remonterai. Mais maintenant je ne remonterai pas. Faites de moi ce que vous voudrez. »
Toute la question est de savoir ce qui durera le plus longtemps, le bombardement ou la résistance de votre volonté.
… Quand on reprend conscience après s’être évanoui, d’abord on se dit (cela dure quelques secondes, une seule peut-être) : « Je sais bien que je suis vivant, et que je ne rêve pas. Pourtant l’univers que je vois autour de moi est insensé. C’est donc que je suis devenu fou. Oui, c’est cela, je suis devenu fou. » Cet univers « insensé », ce sont les pieds des hommes, de grandes pierres, un autre homme étendu, mais tout cela à hauteur de votre visage, car vous-même on vous a étendu sur le sol, et c’est ce changement de plan qui vous le rend fantastique. »
(Extrait de Mors et Vita, Courage et peur, Essais de Montherlant, Pléiade Gallimard, pages 539 et 540).
Henry de Montherlant en 1917
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Les évènements en France de novembre et du 1er décembre 2018 comme une répétition de mai 1968 montrent combien les Français nombreux sont mécontents de ceux qui les dirigent, n’hésitant pas à bloquer les routes, les centres commerciaux, les usines, les raffineries, et cassant, en habits de moutons (gilets jaunes), du flic, jusque sous l’Arc de Triomphe au bord de la tombe du Soldat inconnu, honoré il y a quelques jours par une soixantaine de chefs d’état du monde entier invités par E. Macron, le président d’une République française très fatiguée.
1830, 1848, 1871, 1934, 1968, furent des années de manifestation de la colère française avec, sauf pour 1968, le renversement des gouvernements.
L’année 2018 donnera- t-elle naissance à de profonds changements ? A voir...
Les grands piliers de la société humaine, soit la Justice, l’Armée, l’Eglise, la Famille, le respect dû à l’autorité civile moquée chaque jour par les humoristes qui ridiculisent les gouvernants sans crainte d’être poursuivis, la haine entre les partis préoccupés d’abord par leur intérêt particulier, le monde de la culture sous la férule de la pensée unique, une presse craintive, l’endettement colossal des Etats incapables de le réduire, sont les agrégats d’un chaos généralisé qui finira par tout emporter.
Un scandale inouï en Belgique est celui de voir l’état de délabrement et l’insalubrité ignoble des bâtiments (palais de justice, tribunaux) (effondrement de plafonds, plomberie et sanitaires dévastés, inutilisables, installations électriques en infraction et dangereuses, etc…) dans lesquels les Juges exercent leur profession, et celui des prisons où les délinquants condamnés survivent à 3 ou 4 par cellules à coup de tranquillisants, moins bien traités que des chiens, et remplis de haine à leur sortie.
La presse est gravement coupable de ne pas éclairer davantage ce scandale d’une Justice humiliée, devenue sans force, incapable de fonctionner sous l’œil souriant de politiciens qui n’en ont rien à f… Il faudrait hurler mais la presse préfère les petits scandales people et autres divertissements qui ravissent les crétins.
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La lâcheté de l’Occident par Alexandre Soljenitsyne :
« Le déclin du courage est peut-être le trait le plus saillant de l’Ouest aujourd’hui pour un observateur extérieur. Le monde occidental a perdu son courage civique, à la fois dans son ensemble et singulièrement, dans chaque pays, dans chaque gouvernement, et bien sûr aux Nations unies. Ce déclin du courage est particulièrement sensible dans la couche dirigeante et dans la couche intellectuelle dominante, d’où l’impression que le courage a déserté la société tout entière.
Bien sûr, il y a encore beaucoup de courage individuel, mais ce ne sont pas ces gens-là qui donnent sa direction à la vie en société. Les fonctionnaires politiques et intellectuels manifestent ce déclin, cette faiblesse, cette irrésolution dans leurs actes, leurs discours, et plus encore dans les considérations théoriques qu’ils fournissent complaisamment pour prouver que cette manière d’agir, qui fonde la politique d’un Etat sur la lâcheté et la servilité, est pragmatique, rationnelle et justifiée, à quelque hauteur intellectuelle et même morale qu’on se place. » (Discours prononcé par Alexandre Soljenitsyne en 1978 à Harvard.)
Alexandre Soljenitsyne
Ecrivain russe
(1918-2008)
Prix Nobel de Littérature 1970
Ses romans, parmi d’autres écrits :